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Le musulman, l’Occident et la peur de la liberté

Samuel Paty et son tueur musulman, Abdoullakh Anzorov : les deux visages d’une impossible réconciliation.

Pour sortir de son tribalisme culturel, entaché d’une religiosité de façade, le musulman doit d’abord s’émanciper de l’aliénation communautaire. Et pour cela, il devrait prendre conscience de son statut d’homme et de sa qualité d’individu autonome sans pour autant renier sa religion. Il doit admettre son appartenance à une communauté plus large, celle du genre humain avec laquelle il partage les mêmes angoisses, les mêmes espoirs et un même destin.

Par Salah El-Gharbi *

Chaque fois qu’il y a un attentat terroriste en France, en lisant les commentaires sur les réseaux sociaux et en écoutant les palabres du café du commerce, je suis pris d’effroi. Ainsi, alors que les plus «sages» parmi nous s’empressent d’inonder les médias de stéréotypes pour nous rappeler que «l’islam est une religion de tolérance, d’amour et de paix» et terminent leurs arguties en citant le prophète selon lequel : «Celui qui tue un homme c’est comme s’il tuait l’humanité toute entière…», les plus excités se lâchent. «C’est bien fait pour leurs gueules», fulminent-ils. «Ils l’ont cherché… Ils nous provoquent», ajoutent-ils, avant d’agrémenter leurs propos du fameux proverbe : «La liberté des uns commence là où s’arrête celle des autres», transformé en la circonstance comme suit : «La liberté des uns se termine là où commence celle des autres».

Et face à l’horreur, embarrassés, ces esprits bien inspirés trouvent toujours un moyen pour minimiser, et, éventuellement, pour excuser. Même quand il n’y a pas de propos supposés haineux à l’encontre de leur communauté ou des caricatures du prophète Mohamed publiées, ces gens trouvent toujours le moyen de ressortir pour l’occasion tout l’arsenal du discours victimaire pour blanchir les terroristes et les présenter comme le produit de «l’injustice et de la discrimination» que la France imposerait à la communauté musulmane issue de l’immigration maghrébine.

L’Occident comme source présumée de tous les malheurs des Arabo-musulmans

Pourtant, la réalité est probante et tenace. Aux mois de mars et de juin 2015, les touristes occidentaux du musée du Bardo et de l’hôtel Impérial de Sousse, tombés lâchement sous les balles des terroristes, quels crimes avaient-ils commis pour mériter une mort aussi atroce ? Que leur reproche-t-on ? Avaient-ils porté atteinte à l’islam ou aux musulmans en foulant le sol de notre pays? «Oui, mais…», se hâtent d’objecter les esprits les plus subtiles qui, pour détourner notre attention et justifier l’ignominie et la barbarie, nous rappellent sentencieusement : «Tout compte fait, que pèsent les quelques milliers de morts du World Trade Center, ou ceux du Bataclan par rapport aux crimes commis par l’État d’Israël?»

Ce qui est pénible, voire terrible, c’est que ce type de discours n’est pas l’apanage de gens ordinaires qui se laissent abuser par des esprits malsains. Le pire, c’est qu’il est soutenu et développé, légitimé et diffusé par des femmes et des hommes instruits que nul ne peut soupçonner d’avoir une quelconque accointance, de près ou de loin, avec les mouvements terroristes. Pourtant, ces personnes, qui d’ailleurs, n’ont rien à voir avec la religion, dès qu’il est question de l’Occident, horripilés, les yeux exorbités, ils se mettent en transe pour pourfendre ce monstre hideux et condescendant qui serait la source des malheurs des «arabo-musulmans».

Les musulmans face à un Occident qui les séduit et les terrifie à la fois

Cette attitude de méfiance et de défiance à l’égard de l’Occident trahit un profond malaise qui trouble notre sérénité et nous condamne à être constamment dans la défensive et, par conséquent, dans le déni. Ainsi, incapables de s’assumer, de penser leur devenir avec les autres et non pas contre eux, se complaisant dans une sorte de différenciation positive, tous ces peuples dits musulmans cultivent en eux le sentiment de repli sur soi, favorisent un certain esprit communautariste, qui serait, pour eux, le seul salut contre la déperdition. Une sorte de fierté outrancière qui frise l’arrogance les anime et les empêche d’aller vers l’autre, incarné par cet Occident qui les séduit et les terrifie à la fois, un Occident dont ils cherchent la reconnaissance mais qu’ils n’hésitent pas à vilipender, à la moindre occasion, dans l’espoir de retrouver l’estime perdue d’eux-mêmes.

«Mais nous sommes les élus de Dieu ! Ils ont pour eux l’ici-bas, on a la chance de gagner les faveurs de l’au-delà», scandent-on. À travers cette ridicule hiérarchisation qui fonctionne comme un soporifique, nourrissant à peu de frais un orgueil presque pathologique, que fait-on sinon dissimuler un sentiment d’infériorité qui nous ronge.

Dans un livre autobiographique, un ancien du groupe musical Zebda (‘‘Tomber la chemise’’) raconte comment, adolescent, sa mère le sermonnait en lui répétant : «Sois Français, mais ne deviens jamais un Français», comme si «devenir un Français» pour un enfant qui est né en France et ayant, par conséquent, des attaches avec ce pays, était condamné à rester, durant toute son existence, prisonnier d’une identité indéterminée, aux contours flous…

Dès lors, on peut imaginer l’impact de ce troublant discours, où la part de l’affect est importante, sur cet être en construction, dont les parents, en quittant leur Kabylie, devaient emporter avec eux comme legs cette méfiance et l’insoluble différenciation qui allaient les empêcher de se reconnaître dans l’autre chez qui ils allaient s’installer.

Emanciper le musulman de l’aliénation communautaire

On est musulman avant d’être un être humain. Et pour le rester indéfiniment, on aurait besoin du rejet de l’autre pour affermir le lien communautaire, une sorte de vigilance paranoïaque qui devrait nous préserver de cet ennemi, produit de notre imaginaire morbide.

«Comment tu me le fais à moi qui est (suis) musulman comme toi ?». Cette parole fut prononcée, un jour, pendant la récréation, dans une école française par un gamin d’origine maghrébine qui se disputait avec un autre enfant de «sa communauté». Et ces mots, puérils et terrifiants à la fois, qui germent dans ces cervelles fragiles et qui nourrissent la différenciation gratuite, vectrice de haine, témoignent du degré de perversion culturelle qui est ancrée en «nous».

Ce tribalisme culturel, entaché d’une religiosité de façade, n’a comme antidote que l’émancipation du musulman de l’aliénation communautaire. Pour s’en guérir, ce dernier devrait prendre conscience de son statut d’homme et de sa qualité d’individu autonome sans pour autant renier sa religion. Pour surmonter ses hantises, il devrait cesser de se mesurer à l’autre avec cette jubilation béate et admettre qu’il appartient à une communauté plus large, celle du genre humain avec laquelle il partage les mêmes angoisses, les mêmes espoirs et un même destin.

* Universitaire et écrivain.

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