Au pays du jasmin, on assiste à un bras-de-fer entre un souverain qui a une aversion à ne pas être craint et entendu et un morchid qui a une répugnance à se faire dicter sa conduite. La raison du plus fort est peut-être toujours la meilleure en temps de guerre quand le vainqueur brandit la menace et impose ses conditions au détriment de la stabilité d’un Etat en panne. Dans ce conflit, la raison revient à l’esprit des lois et à ce que la constitution ordonne et prescrit, les outils fondamentaux dans la vie des sociétés policées.
Par Mohsen Redissi *
Abracorina ! Corina corona corona! À l’écoute de cette incantation maléfique, des éclats de rires ébranlent la salle, certains élus se fondent en larmes. Roulement de tambour, un silence quasi religieux enveloppe la salle, puis trois coups de baguette magique. Simsalabim. Rien ne sort du turban. Le marabout s’est trompé de formule magique, de date et d’audience. Du haut de son autel, il s’est pris à trois reprises pour pouvoir enfin prononcer correctement l’innommable.
Comment peut-on vaincre un ennemi invisible insidieux et insatiable en vies humaines comme aux temps reculés quand on offrait gratuitement par superstition des êtres humains aux dieux pour calmer leur colère ? Comment peut-on prétendre le combattre et l’éradiquer quand on met la vie d’autrui en danger ?
À chacune de ses apparitions (Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple, Ndlr), en lisant son grimoire de magie noire ou en puisant dans les sciences occultes, il balbutie, sa langue se fourche et se noue de peur.
Le virus est partout, nous entoure et nous guette. C’est désolant. Le dernier sort qu’il a jeté est son appel pour une marche à visage découvert pour soutenir un gouvernement qui est l’ombre de lui-même et affaibli derechef par le morchichid (contraction entre morchid, Guide, et Mechichi, Ndlr) en personne. Lui, la tête penchante et toute la confrérie ont délibérément minimisé les risques de contamination mettant ainsi la vie de leurs acolytes en danger. Qu’à cela ne tienne ! La mort entre dans les palais comme elle entre dans les chaumières. Tous les hommes sont mortels. Le marabout est un homme donc le marabout est mortel et d’ajouter avant de prendre le large «après moi le déluge».
Les cartes sont tirées
Publiquement, l’appel du marabout pour une marche est la carte Excuse (1), son atout qu’il joue en faveur du morchichid en soutien du renouvellement de son effectif, mais secrètement une façon d’attiser le feu de la discorde. Si le souverain (le président Kaïs Saïed, Ndlr) trébuche ou tombe, le marabout passera ramadan et une partie de l’été à Carthage. L’obstination doublée d’un aveuglement des responsables politiques mène le plus souvent le pays à la dérive. Les chances de trouver une solution de rechange se réduisent comme une peau de chagrin au fur à mesure que la tension entre les acolytes monte. Le soutien de la majorité parlementaire lui gonfle le torse et lui donne le courage qui lui manque en essayant de bluffer le parterre. Le morchichid vient de réitérer son refus de démissionner. Hocus pocus ! Le point de non-retour est atteint, advienne que pourra.
Bravant tous les interdits, le marabout est pris en flagrant délit. Il vient de violer le devoir de neutralité dans le différend qui oppose le souverain à son morchichid. Dans l’hémicycle qu’il préside dans de rares moments, les lois s’écrivent dans la souffrance, malheureusement sous son toit et par sa bénédiction qu’elles se vont violenter.
Le marabout versé dans l’interprétation des saintes écritures bute devant l’ange gardien de la constitution et son interprétation est son droit… chemin. Notre souverain n’a pas le physique, mais il a la tête de l’emploi, il est taillé dans le carbyne (2) difficile à travailler même à chaud. Il est l’autorité suprême et le garant de la supériorité de la constitution en l’absence de la Cour constitutionnelle. L’atmosphère opaque qui règne enveloppe la scène politique de marasme.
Le marabout d’Oz
À court d’idées et dans l’urgence de faire plier le souverain, le marabout en tant que président de l’ARP a lancé au locataire de Carthage il y a plus de trois semaines un défi difficile pour lui de relever. Ni baguette ni amulettes mais une rencontre entre les trois écoles de prestidigitation : Carthage, La Kasbah et Le Bardo sous le même chapiteau comme premier pas pour essayer ensemble de sortir de l’impasse et mieux préparer la paix après la réconciliation. Le palais du Bardo attend toujours la réponse du palais de Carthage. Entre l’«Impasse des deux palais» la foule attend le dénouement et la fin d’un spectacle mièvre qui a assez duré.
L’instant est fatidique. Tout peut basculer d’un instant à l’autre, mais le triumvirat semble être de marbre kadhel. Chacun campe dans son cercle de pouvoir. La bénédiction peut attendre mais pas les rouages d’un Etat en panne. Ni les noms des ministres suspectés ont été révélés par la présidence, ni les preuves fournies aux parlementaires. Tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire, alibi utilisé par ses adversaires pour forcer la main du souverain et lui faire accepter bon gré mal gré la prestation de serment.
Tours de passe-passe
Le jasmin a perdu son parfum écrasé sous les aisselles d’un un bras-de-fer entre un souverain qui a une aversion à ne pas être craint et entendu et un morchid qui a une répugnance à se faire dicter sa conduite. La raison du plus fort est peut-être toujours la meilleure en temps de guerre quand le vainqueur brandit la menace et impose ses conditions au détriment de la stabilité. Dans ce conflit, la raison revient à l’esprit des lois et à ce que la constitution ordonne et prescrit, les outils fondamentaux dans la vie des sociétés policées.
Les fatwas sur la prestation de serment se contredisent, certaines sont ridicules. Considérée par les uns comme la condition sine qua none pour qu’un fonctionnaire de haut rang approuvé par l’ARP entre dans sa nouvelle charge. Pour d’autres, pour baisser la tension d’un cran, minimisent son importance pour la prise de fonction. Les verdicts des experts reflètent secrètement leur appartenance ou leur allégeance beaucoup plus que le fond de leurs pensées. Le renvoi aux ténèbres la formation de la Cour constitutionnelle devient un handicap de taille pour la marche d’une démocratie en dents de scie. Chaque disciple de cette cour future, 9 au total, est un initié dissimulé dans cette secte sombre. Il n’attend que le moment propice pour bien défendre les couleurs de son fournisseur d’accès au détriment de la constitutionalité des lois.
Les invocations des illuminés, les tours de passe-passe des prestidigitateurs, les clameurs des rues et les plaisanteries de certains rendront-ils la raison au trio de tête ? S’élèveront-ils assez haut pour remplir leur mission ? Seul un devin peut nous le prédire !
* Fonctionnaire international à la retraite.
Notes :
1) Carte maîtresse dans le jeu de tarot.
2) Matériau 40 fois plus résistant que le diamant.
Donnez votre avis