Le jeudi 27 juin 2019 restera un jour à marquer d’une pierre blanche pour l’affairiste et homme de réseaux Kamel Eltaïef. C’est le jour où il a eu une peur bleue que le chef du gouvernement Youssef Chahed, qui lui a limé les ongles au ministère de l’Intérieur, restée longtemps sa chasse gardée, fasse un coup d’Etat et ne s’empare du pouvoir, un pur fantasme qu’il prend pour une réalité… mais tout de même un fantasme qui trouve son explication dans les années de jeunesse de M. Eltaïef. Décryptage.
Par Imed Bahri
«Youssef Chahed voulait faire un coup d’État. Abdelkrim Zbidi, ministre de la Défense de l’époque, le héros qui a fait capoter le coup d’Etat et qui a sauvé la République» : telle est la fable (car c’en est une vu qu’il n’y a aucune preuve) qui nous a été servie par Abdelkrim Zbidi, candidat à l’élection présidentielle en 2019 que l’affairiste Kamel Eltaïef et son réseau ont soutenu activement.
Cette fable devenue une lubie de très mauvais goût nous a été resservie par l’ancien président par intérim Mohamed Ennaceur dans ses mémoires en citant Abdelkrim Zbidi, tout en mentionnant (tout de même !) qu’il s’agit d’une simple hypothèse. Il n’en fallait pas plus pour que depuis la semaine dernière tous les hommes de Kamel Eltaïef ne parlent plus que de ça en affirmant avec leur mauvaise foi légendaire que M. Ennaceur a confirmé les propos de Zbidi alors qu’il l’a seulement cité en hypothèse.
Le véritable putschiste n’est pas celui que l’on désigne
Ces obligés en service commandé affirment à longueur de journée que Chahed voulait faire main basse sur le pouvoir mais toujours sans preuve à l’instar du sulfureux Ridha Belhadj qui zozote de plateau télé en plateau télé et de station de radio en station de radio pour rabâcher cette même rengaine. Sauf que ce fantasme de M. Eltaief trouve son origine dans les années de jeunesse de l’homme d’affaires devenu un homme d’influence. Lui qui fut l’un des artisans du coup d’Etat médico-légal du 7 novembre 1987 croyait que Chahed voulait faire à l’ex-président Béji Caïd Essebsi ce que lui et ses camarades Zine El Abidine Ben Ali et Habib Ammar avaient fait, il y a 34 ans, à l’ancien président Habib Bourguiba. Une sorte de 7-Novembre estival. Il pense que tout le monde fonctionne comme lui et qu’en 2019 on était encore comme en 1987.
Hier, lundi 29 mars, le dirigeant au sein d’Ennahdha Abdellatif Mekki déclarait sur les ondes de Radio Med: «Un homme d’affaires impliqué dans la politique, qui avait l’un de ses hommes conseiller au Palais de Carthage et qui avait ses entrées au gouvernement via deux ministres et à l’Assemblée via des députés avait une peur bleue que Youssef Chahed prenne le pouvoir le jeudi 27 juin 2019». Et ce n’est pas parce que c’est une déclaration faite par un islamiste qu’elle n’est pas crédible. Son parti est au cœur du pouvoir et est bien informé sur les moindres détails même si l’on peut s’opposer à eux.
Dans tous les cas, toute la Tunisie a deviné dans la vidéo, qui est devenue virale, qu’il s’agissait de l’ancien copain de Ben Ali, ça ne pouvait pas être le chef de gare du village. Il fallait être un simplet pour ne pas deviner qu’il s’agissait de notre Kamel Eltaïef national, infatigable homme de réseaux depuis les années 1980… quelle longévité!
Personne n’a oublié que le fils cadet de Youssef Eltaïef avait son fidèle bras droit et homme de confiance Noureddine Ben Ticha comme conseiller à Carthage sous la présidence de Caïd Essebsi et ses yeux au Palais.
Les amis de Kamel Eltaief en service commandé
Pour revenir au 27 juin 2019, journée durant laquelle Béji Caïd Essebsi – d’ailleurs vieil ami de Kamel Eltaïef – était alité à l’hôpital militaire, l’homme de réseaux avait une peur bleue que le chef du gouvernement de l’époque, Youssef Chahed, sa bête noire d’hier et d’aujourd’hui, prenne le pouvoir. Ce n’était qu’un fantasme mais vu que l’ancien chef de gouvernement lui a limé ses ongles au ministère de l’Intérieur, sa chasse gardée, et surtout avait limogé en juin 2018 Lotfi Brahem qu’il destinait à un grand avenir, son protégé, ce dernier voyait rouge.
En vérité, Kamel Eltaïef voyait en Youssef Chahed non pas ce qu’était Youssef Chahed mais ce qu’il était lui-même dans ses années de jeunesse car, comme on le dit dans la psychanalyse, on voit toujours dans les autres ce que nous sommes nous-mêmes. Bref, on se projette dans les autres et on projette en eux nos désirs, nos fantasmes et nos craintes.
Voilà d’où venait le fantasme de Kamel Eltaïef qu’il a imposé via ses relais médiatiques comme une vérité, faisant croire à une partie de la classe politique et de l’opinion publique que Zbidi, proche de lui et son candidat aux dernières élections présidentielles, était le héros, celui qui avait fait saboter la présumée tentative de prise de pouvoir. Et qui, selon ses propres dires, faillit disposer des chars blindés en face des deux portes de l’Assemblée au Bardo pour… parer à toute tentative de coup d’Etat. Cherchez l’erreur !
Kamel Eltaief doit arrêter de prendre tous les Tunisiens pour des idiots
Kamel Eltaïef commet une faute monumentale en prenant ses décisions, planifiant et mettant en ordre de bataille ses relais et soldats en se basant sur ses fantasmes, humeurs et affinités en lieu et place des idées et des informations exactes. S’il veut continuer à peser sur la vie politique tunisienne – son désir le plus fou –, il devrait se montrer plus rationnel, ne pas prendre les vessies pour des lanternes et les Tunisiens pour des idiots, comme il l’a fait jusque-là, en se prenant pour un as de la magouille politique.
En définitive, le docteur Freud et sa disciple la princesse Marie Bonaparte ont raté un patient dont l’étude des fantasmes aurait été d’un grand intérêt pour la psychanalyse, et pas seulement, car avec Kamel Eltaïef, nous ne sommes plus devant un cas clinique purement et strictement personnel mais devant un homme influent avec tout ce que ceci a pour conséquences sur la vie d’une nation. Avec lui sur le divan, bien des secrets auraient été percés dont sa longévité et sa capacité inexplicable à ne jamais se lasser à agir dans l’ombre, à tirer les ficelles et à faire jouer son orchestre pour diriger l’opinion dans un sens ou un autre.
Cependant, ce qui est certain c’est que le fils cadet de Youssef Eltaïef gagnerait beaucoup à ne plus prendre ses fantasmes pour la réalité; et que le bon Dieu l’assagisse («Rabbi Yehdi Kamel», comme on dit).
Donnez votre avis