C’est la semaine des nominations sécuritaires pour Hichem Mechichi. Après le très contesté attaché sécuritaire à l’ambassade de Tunisie à Paris Lazhar Loungou promu au poste très délicat de directeur des services spécialisés, voilà que le chef du gouvernement nomme l’ancien officier de l’armée de l’air et l’ancien PDG de Tunisair au bilan maigrichon Elyès Mnakbi ministre-conseiller chargé de la sécurité et de la défense. Sous sa très performante direction, la compagnie aérienne nationale a creusé tous ses déficits, vivotant sous la perfusion financière des aides de l’Etat, a réduit des deux tiers le nombre d’avions opérationnels de sa maigre flotte et n’a même pas publié ses états-financiers pour trois exercices consécutifs. Ce qui est pour le moins curieux pour une entreprise cotée en bourse et dont la valeur de l’action a touché aujourd’hui le fonds.
Par Imed Bahri
Ces deux nominations ont très critiquées car les deux intéressés sont plus connus pour leurs connexions politiques que par leur compétence. De plus, ces deux nominations sécuritaires interviennent la même semaine, l’une mercredi et l’autre vendredi et comme par hasard après le discours de dimanche dernier de Kaïs Saïed, à l’occasion de la célébration du 65e anniversaire de la création des forces de sécurité nationales, où il a rappelé qu’en tant que chef de l’Etat, et en vertu des Constitution de 1959 et de 2014, les nominations aux hautes fonctions sécuritaires font également partie de ses prérogatives.
Deux nominations sécuritaires de premier plan en une seule semaine
Ce sont là deux nominations sécuritaires de premier plan en une seule semaine, qui plus est, sans consultation préalable avec le président de la république, est-ce un hasard? Sûrement pas. Timing anodin? Sûrement pas.
La première nomination, celle de Loungou, a été passée sous le scalpel par Abir Moussi qui l’a décortiquée et analysée en évoquant la personne de cet ancien attaché sécuritaire à l’ambassade de Tunisie à Paris, dont la tentative de limogeage avortée le 5 janvier dernier a coûté sa place à l’éphémère ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine, proche de Kaïs Saïed, sans parler des suspicions pesant sur sa personne dont la proximité avec le parti islamiste Ennahdha est un secret de Polichinelle.
Mme Moussi a, également, rappelé le timing de cette nomination, intervenue juste après le fameux discours de Saïed devant les cadres des forces sécuritaires, discours vu comme une tentative de rogner sur le pouvoir de Hichem Mechichi, chef du gouvernement cumulant aussi les fonctions de ministre de l’Intérieur depuis le 5 janvier dernier.
La polémique à propos de la promotion de Lazhar Loungou ne s’est pas calmée que, deux jours après, Mechichi nomme comme ministre-conseiller à la sécurité et à la défense Elyès Mnakbi. Au-delà du fait que le chef du gouvernement tente là de sanctuariser ses pouvoirs régaliens à l’heure où il craint de nouveaux assauts de la part d’un Kaïs Saïed plus que jamais déterminé à en finir avec son gouvernement, il faut aussi, comme pour Loungou, se pencher sur le profil de M. Mnakbi, un haut cadre militaire non moins carriériste qui se rapproche des politiques pour obtenir des postes prestigieux. Quand Loungou mise sur Ennahdha, lui misait sur les anciens président Béji Caïd Essebsi et chef de gouvernement Youssef Chahed, car M. Mnakbi, officier de l’armée de l’air dont on ne connaît aucun fait d’arme, en revenant à la vie civile s’est vite rapproché du monde politique et partisan pour lorgner les hauts postes dans les rouages de l’Etat, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il avait de la chance mais aussi quand le vent tourne, il sait suivre sa direction.
Les hommes de Chahed reprennent du service à la Kasbah
D’abord proche de Nidaa Tounes et feu Béji Caïd Essebsi, il a été nommé en décembre 2016 PDG de Tunisair puis quand le torchon a brûlé entre Caïd Essebsi et Chahed, il a soutenu Chahed et même intégré son parti Tahya Tounes en 2020 ce qui lui a permis de conserver son poste à la tête de Tunisair tout au long du passage de Chahed à la Kasbah même si son bilan à la tête de Tunisair était maigrichon.
Durant son passage (décembre 2016-juillet 2020) la descente aux enfers de la compagnie s’est poursuivie. Pire même les états financiers de 2018 et 2019 n’ont pas été préparés et les états financiers de l’année 2017 n’ont été préparés qu’en… décembre 2019. Mais qu’à cela ne tienne, il restera en place et on a même parlé de lui comme ministre des Transports proposé par Tahya Tounes en 2020 dans l’éphémère gouvernement conduit par Elyès Fakhfakh mais celui-ci n’en a pas voulu.
Aujourd’hui, ce militaire assoiffé de postes politiques retourne aux affaires comme ministre-conseiller de Hichem Mechichi. Comment? Si pour Loungou, le piston nahdhaoui n’est pas un mystère, pour M. Mnakbi, les observateurs avertis y voient la patte de Youssef Chahed et de Mofdi Mseddi (conseiller de Chahed fraîchement de retour à la Kasbah) qui ont murmuré le nom de leur ami Mnakbi.
D’autres estiment que c’est un geste fait par Mechichi pour Noureddine Taboubi afin de l’amadouer car Mnakbi est originaire de Béja comme le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le puissant syndicat, et a toujours été présenté comme proche de lui, mais c’est tiré par les cheveux, car Mechichi n’a pas à amadouer Taboubi vu qu’il lui donne tout ce qu’il réclame et en plus, s’il voulait lui faire ce geste, il aurait nommé Mnakbi à la tête d’une entreprise publique ou renommé de nouveau à la tête de Tunisair après le limogeage d’Olfa Hamdi.
Cette seconde lecture est donc tirée par les cheveux et la première nous paraît plus pertinente d’autant plus que Chahed soutient sans équivoque et d’une manière on ne peut plus ostensible Mechichi. Le président de Tahya Tounes a, pas plus tard qu’hier, vendredi 23 avril, déclaré dans la matinale de Shems FM que le départ de Mechichi serait (excusez du peu…) une catastrophe! Mechichi serait-il un Churchill, un de Gaulle ou un Adenauer qu’on n’a pas pu déceler ? On en doute car le résultat de sa gouvernance laisse à désirer.
Maintenant ce qui est certain, c’est que si «la catastrophe», comme dirait M. Chahed, est évitée et M. Mechichi prolonge son bail à la Kasbah, ses amis, MM Mseddi et Mnakbi, resteront avec lui.
Enfin, la question que se posent les observateurs, c’est que M. Saïed, qui a montré ses muscles dimanche dernier et qui a affirmé qu’il était aussi le patron des forces de sécurité, comment appréhende-t-il la semaine des nominations sécuritaires par M. Mechichi? Pour l’instant il ne réagit pas mais ses partisans enragent contre la nomination de Mnakbi comme plutôt dans la semaine contre celle de Loungou. Saïed a-t-il baissé les bras face à Mechichi ou bien prépare-t-il la riposte? Mystère et boule de gomme.
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