Le 25 juillet 2021, les Tunisiens se sont soulevés contre le système de prédation mis en place par la pseudo révolution de 2011 et le président de la république a répondu à son appel en sanctionnant les usurpateurs islamistes et leurs alliés qui se sont érigés en un pouvoir derrière lequel toute la mafia du pays s’est cachée. Mais Kaïs Saïed doit faire vite pour assainir la situation générale dans le pays et ne pas décevoir ceux qui le soutiennent aujourd’hui. Leur soutien n’est pas inconditionnel ni illimité dans le temps.
Par Mounir Chebil *
Le 7 novembre 1987, les Tunisiens se sont réveillés sur un coup d’Etat médical. Ben Ali prenait le pouvoir. Un certificat médical était présenté au peuple pour justifier cet acte, et l’application de l’article 57 de la constitution de 1959 était brandie pour satisfaire les inconditionnels du juridisme.
Le 14 janvier 2011 le même article 57 condamna Ben Ali à une ômra viagère, et donna au coup d’Etat un simulacre de légitimité constitutionnelle.
Le proverbe dit: «Jamais deux sans trois». Voilà le troisième coup de force, fait cette fois-ci par le président de la république en place pour concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Dans ce cas, Kaïs Saïed s’est avéré un bon joueur de foot. Il a été bon en défense, puisqu’il a réussi à bloquer la mise en place de la Cour constitutionnelle par laquelle les islamistes du mouvement Ennahdha et leurs alliés ont voulu le destituer. Puis, il a lancé une attaque fulgurante qui a laissé ses adversaires cloués à leur place, et a placé le ballon dans leurs filets.
L’article 80 de la Constitution donne une facette constitutionnelle au coup de force présidentiel
Dans un communiqué prononcé le soir du 25 juillet 2021 à l’issue d’une réunion avec des cadres supérieurs de l’armée et du ministère de l’Intérieur, le président de la république a annoncé, qu’il a décidé, conformément aux dispositions de l’article 80 de la Constitution de 2014, de geler les travaux de l’Assemblée pendant 30 jours et de lever l’immunité sur tous les députés.
Il a déclaré, également, qu’il va présider le ministère public afin de poursuivre en justice les députés ayant des affaires en cours, ajoutant qu’il limoge le chef du gouvernement Hichem Mechichi et qu’il présidera le pouvoir exécutif, aidé par un gouvernement dirigé par un chef qu’il désignera lui-même. «Le chef du gouvernement dirigera le gouvernement et sera responsable devant le président de la république. Il présidera le conseil des ministres sur ordre du président de la république qui est le président du conseil. Le président de la république désignera les membres du gouvernement, proposés par le chef du gouvernement», a indiqué le chef de l’Etat.
L’article 80 de la Constitution est balancé pour donner une facette constitutionnelle au coup de force présidentiel. Mais le président de la république aurait dû ne pas se référer à cet article par respect pour notre intelligence. Le commun des mortels est conscient que c’était une forme de coup d’Etat par lequel il s’est octroyé les prérogatives d’un roi que l’article 80 ne supporte pas.
En l’absence d’une Cour constitutionnelle, le délai de 30 jours de l’état d’exception peut être reconduit selon le bon vouloir du président de la république qui dispose, par le fait l’absence de cette cour, de la compétence discrétionnaire de décider du cas du péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays. Cela veut dire que nous aurons du provisoire qui va durer assez longtemps. Espérons que ce ne seront pas les trois années de la funeste «Troïka», la coalition gouvernementale issue des élections de 2011.
Cela dit, on ne voit pas le président nommer un gouvernement rien que pour un mois alors qu’il veut engager tant de réformes. Mais, devenir maître de l’exécutif et du législatif peut être salutaire pour un pays en pleine déconfiture. Et vouloir agir par lettre de cachet ne peut que nous laisser perplexes. La Bastille est tombée en 1789, et il y avait des innocents aussi qui ont fait les frais de cette procédure de l’absolutisme comme en période des tribunaux de l’inquisition.
Dans les moments historiques, peut-on rester pointilleux sur le plan juridique ?
Certes, je suis d’habitude pointilleux sur le plan juridique, mais dans les moments historiques, il faut prendre son courage à deux mains et prendre les décisions qui s’imposent. Les lois sont faites pour faire avancer les choses. Quand elles deviennent un frein à l’évolution du cadre social qu’elles sont censées régir, ou surtout un alibi pour certains pour nuire au pays, en usant de subterfuges de l’abus de droit, la raison d’Etat légitime qu’on les contourne.
La Constitution de 2014 est la cause même des blocages institutionnels qui paralysent la marche des affaires du pays depuis 2015. Toute coordination entre les deux têtes de l’exécutif et entre le président de la république et le président du parlement était devenue impossible. Le passage en force par l’un de ces derniers protagonistes pour résoudre la crise institutionnelle était devenu une fatalité. Alors que Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste Ennahdha, préparait le sien, le président de la république mettait son quinte flush royal sur la table.
Aujourd’hui, tout le contexte par lequel passe le pays, les attentes d’une bonne partie du peuple, les dangers qui guettent le pays, le pouvoir tentaculaire des Frères musulmans assassins qui veulent nous réduire au servage… légitiment l’acte du président, car, la légalité pure n’a pu et ne peut pallier aux multiples tares qui enveniment le quotidien du Tunisien.
Kaïs Saïed a répondu à l’appel du peuple qui rejette toute la classe politique
Dans mon article «Tunisie, qui va enfin siffler la fin de la récréation», publié par Kapitalis le 4 juillet 2021, j’ai conclu que pour la Tunisie de tous les maux, il ne fallait pas une nouvelle Constitution, mais des hommes capables de siffler la fin de la récréation et de mettre les égarés dans les rangs, et c’est aux militaires que j’ai pensé. C’est Kaïs Saïed qui a franchi le pas, l’histoire retiendra qu’il a répondu positivement à l’appel du peuple qui n’en veut plus de toute la classe politique, gangrenée par la corruption et l’incompétence.
Je suis convaincu que nous sommes dans un État de non-droit depuis 2011 et ni la Constituante ni la Constitution elle-même n’ont de valeur juridique probante. Tout ce qui est bâti sur la base depuis la Constituante jusqu’à nos jours ne constitue que des situations de fait et non de droit. Les élections à la Constituante elles-mêmes sont entachées d’illégalité (voir mes articles publiés par Kapitalis «Tunisie, un Etat de non droit, 1, 2, 3» (20, 24, 30 juin 2011).
Aujourd’hui, si la Constitution doit s’imposer, il serait judicieux que celle de 1959 reprenne du service après une petite opération de lifting. Nous sommes dans une situation de non-droit depuis 2011. Tous les actes qui constituent les fondements juridiques de la Constituante sont nuls et de nuls effets. Ils sont réputés non écrits. Donc la Constitution de 2014 est elle-même réputée non écrite. En plus, la Constituante de 2011 a usurpé la volonté populaire qui a élu ses membres pour élaborer une Constitution dans un délai d’une année et non de trois. Contre cette usurpation il n’y a aucun recours juridictionnel possible. Il n’y a plus qu’au peuple de se soulever pour sanctionner le hold-up de sa volonté. Le 25 juillet 2021 le peuple s’est soulevé et le président de la république a répondu à son appel pour sanctionner ces usurpateurs et qui se sont érigés en un pouvoir derrière lequel toute la mafia du pays se cachait.
Il s’agit donc, pour Kaïs Saïed, de réviser au plus vite le code électoral, d’apurer la Constitution de 1959 et d’appeler à de nouvelles élections législatives. Un référendum sur la Constitution de 1959 serait une perte de temps et d’argent. D’un côté, le pays ne peut s’offrir le luxe des interminables palabres des personnes qui croient qu’une Constitution doit être aussi parfaite qu’une montre suisse.
Saïed va-t-il réussir à débarrasser la Tunisie de la pègre qui gouverne alliée à la pieuvre islamiste ?
D’un autre côté, si Kaïs Saïed va tenir à son modèle de démocratie participative, alors, il plongera le pays dans une anarchie qui me donne déjà des frissons. Le peuple l’a soutenu parce qu’il a espéré qu’il le débarrasserait de la pègre qui gouverne et de la pieuvre intégriste. Mais, il se rappellera très vite de ses conditions sociales pitoyables. Et quand la faim lui pressera les tripes, rien ne retiendra sa colère et ses retournements d’humeur.
Enfin, Monsieur Kaïs Saïed, le peuple ne te suivra pas dans ton utopie conseilliste. Le système des conseils est resté depuis le XIXe siècle un sujet de débat dans des cercles très restreints de l’extrême gauche internationale. Le peuple est hanté par la rareté de l’oxygène dans les hôpitaux ainsi que des aliments à mettre dans son couffin. Bientôt on va recourir à l’incinération des morts par manque de cimetières. La planche à billets ne fonctionnera pas à l’infini. De grâce monsieur le président, évitez à ce peuple meurtri la libanisation, et au pays l’atomisation.
Si l’Occident s’est montré indulgent vis-à-vis du coup de force du 25 juillet, c’est parce qu’il a déjà tiré le tapis de sous les pieds des Frères musulmans, ses protégés d’hier, et par souci pour son argent. Donc, il ne faut pas se leurrer.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Tunisie : Qui va enfin siffler la fin de la recréation ?
La Tunisie, un Etat de non droit : 3- Kaïs Saïed fournit des munitions à ses adversaires
Rached Ghannouchi, à quand la retraite ?
Donnez votre avis