J’écris ce texte après avoir lu de très nombreux articles de juristes constitutionnalistes et hier l’article de Mezri Haddad dans Kapitalis. Une très grande majorité pour ne pas dire l’unanimité dresse un constat accablant des règles constitutionnelles et électorales qui gouvernent la Tunisie et qui ont été voulues, ne l’oublions pas, par les islamistes.
Par Jean-Pierre Ryf *
Ces règles dans leur principe ont été élaborées et certains les justifient encore par le fait qu’elles empêcheraient tout retour à la dictature.
Alors certes aucune dictature n’est possible car il n’y a en réalité aucun pouvoir: le Président à Carthage n’a aucune réel pouvoir, l’Assemblée divisée et composée d’une multitude de partis qui ne représentent rien n’a pas, non plus, le pouvoir et le Premier ministre est, malgré tout, sous la coupe de quelques partis qui font des alliances contre-nature et qui ont le pouvoir de nuisance et celui de le démettre.
Autant dire que le pays n’est absolument pas dirigé, qu’aucun réel programme n’est en place et cela se constate jour après jour depuis dix ans avec une régression dans tous les domaines telle que le pays n’en a jamais connu!
Beaucoup des constitutionnalistes que je lis font ce constat et estiment que la Constitution et les règles électorales doivent impérativement être changées.
Des raisons fondamentales pour interdire les partis utilisant la religion
Pourquoi malgré cette belle unanimité de l’analyse cela ne se fait pas? Et bien tout simplement parce que les islamistes d’abord mais aussi quelques partis opportunistes et sans patriotisme savent qu’avec un changement des règles ils sont à peu près sûrs de perdre leurs postes et leur maigre pouvoir de nuisance.
Mais il y a autre chose! Et cela je ne le lis jamais.
Il faudrait aussi interdire les partis qui utilisent la religion. Et je vais dire pourquoi car, selon moi il existe des raisons fondamentales de le faire.
La première des raisons est que les partis islamistes qui instrumentalisent la religion ont, partout où ils ont eu le pouvoir, conduit leurs pays au désastre et au déclin. Ils ont fait régresser des pays qui étaient sur la voie du progrès et les ont fait faire un bond en arrière évident.
Ceux qui ont eu une apparente réussite ne l’ont eu qu’au prix d’une dictature et parce que ils avaient des richesses sur leur territoire. Examinez le cas de l’Iran et celui de la Turquie et demandez-vous si c’est une réussite en terme de démocratie et de liberté !
Quant aux autres, ceux qui soutiennent, hors de chez eux, une démocratie islamiste, ce sont des dictatures plus ou moins familiales et dans lesquelles il n’existe aucune liberté!
Les partis islamistes ont nécessairement une vocation dictatoriale
La seconde raison, plus juridique celle-là, est que les partis islamistes qui accaparent le religieux ont nécessairement une vocation totalitaire et dictatoriale dans la mesure où ils prétendent parler au nom de Dieu, usurpant de manière d’ailleurs blasphématoire le nom et la parole de Dieu.
Quand vous parlez selon la «parole de Dieu», en tous cas celle qu’apparemment vous adoptez, pensez-vous qu’il y a une place pour une autre pensée, pour d’autres règles?
Avez-vous déjà entendu une religion dire: «Voilà ce que veut Dieu» mais faisons autre chose plus conforme à notre intérêt?
Toutes les religions et pas seulement l’islam ont une vocation totalitaire et veulent de manière univoque le respect de ce qu’elles croient ou présentent comme étant la volonté divine. Le catholicisme a été totalitaire: il a été à la base de la monarchie absolue.
Une religion cesse d’être totalitaire non pas dans sa vocation mais dans la pratique quand dans un pays elle est minoritaire où que la volonté populaire l’a mise en dehors du jeu politique, en dehors du pouvoir. L’histoire nous démontre cela avec éclat.
Troisièmement, en dehors de cette dérive totalitaire inévitable, puisque parlant soi-disant au nom de Dieu, ils ne peuvent se tromper et ne peuvent admettre une opposition, ces partis dans les pays à grande majorité musulmane ne peuvent qu’aboutir à une division inacceptable entre «les bons musulmans» ceux qui adhérent à leur parti et «les mauvais musulmans» ceux qui les combattent.
Et puis je demande aux musulmans de réfléchir au fait qu’il y a, de toute évidence, de nombreuses obédiences de l’islam. Quel rapport entre des soufis et des fondamentalistes? Alors qu’est un parti qui se fonde sur l’islam? Quel islam? Cette simple réflexion montre qu’il y a grand danger de divisions et la division est dangereuse pour tout peuple et une Constitution doit tenter d’éviter tout ce qui peut être source de division et de paralysie.
Alors ce qui s’est passé en Tunisie a été un contre-sens par rapport à cette situation, pourtant, selon moi, évidente.
Il ne faut jamais accepter qu’un parti instrumentalise la religion
Yadh Ben Achour qui est, je n’en disconviens pas, un grand universitaire, a tenté, en allant chercher dans le Coran, ce qui pouvait lui permettre de dire que l’islam était compatible avec la démocratie. Je dois dire que sa démonstration est assez laborieuse et qu’elle est contredite par des milliers d’années d’histoire.
Par ailleurs, savoir si l’islam est compatible avec la démocratie ne résout pas le vrai problème qui est celui de l’existence même de partis politiques basés sur l’islam. Même si l’islam est compatible avec la démocratie, cela veut seulement dire qu’un pays, dans lequel la majorité des citoyens sont musulmans, peut avoir un pouvoir politique démocratique mais cela ne veut en aucun cas dire qu’il faille accepter qu’un parti instrumentalise la religion car dans ce cas, outre que ce parti divisera les citoyens musulmans entre les bons et les mauvais, il aura, lui, une vocation totalitaire même s’il veut la camoufler et la réalité dans tous les exemples de l’histoire l’a démontré.
Je pense donc que le professeur Ben Achour a commis une très grave erreur en favorisant la Constitution actuelle de la Tunisie.
Certains de ceux qui, avec lui, voulaient cette Constitution avaient peut être un agenda et des projets cachés. Je n’en sais rien mais, une chose est certaine, ils ont nui et gravement par leur idéologie à ce pays en le faisant régresser, le mettant en danger et en le traitant avec un certain mépris puisqu’ils lui donnaient une règle qu’ils se gardaient bien d’appliquer chez eux !
Je pense donc fortement qu’il appartient aux règles constitutionnelles de faire en sorte d’empêcher une telle dérive totalitaire et elle n’est possible qu’en interdisant les partis religieux car ils créent de manière inévitable et très grave une division de la société, une «fitna» qui ne peut que nuire au fonctionnement des pays. Et ce d’autant qu’ils utilisent abusivement les mosquées et les imams pour leur propagande mettant tous les autres partis dans une position d’inégalité contraire aux règles d’une réelle démocratie.
Depuis la survenue de ce véritable cancer qu’est l’islamisme politique, la politique est devenue inefficace et donc a été atteinte dans son essence même car elle a conduit les citoyens à douter d’elle mais, d’un autre côté, la religion aussi a perdu du terrain car beaucoup se sont demandé à quoi croire quand ils voyaient les dérives commises par les prétendus «religieux». On ne compte pas les jeunes et moins jeunes qui, désormais ont relégué la religion au rayon des idées nuisibles.
De toute manière, l’histoire a montré que toutes les religions étaient dictatoriales lorsqu’ elles étaient au pouvoir .
Je pense donc qu’il existe des raisons objectives et majeures d’interdire ces partis et c’est une question dont les Constitutionalistes devraient s’emparer.
Article lié :
Tunisie : Pourquoi la Constitution de Ben Achour/Feldman doit-elle être abrogée ?
Articles du même auteur dans Kapitalis :
La Tunisie est un pays génial, sa justice juge désormais les… morts !
L’article 25 de la Constitution tunisienne, un texte scélérat
Le débat autour du rapport de la Colibe entre anathème et réflexion
Donnez votre avis