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Madame Bovary : l’adaptation de Claude Chabrol de loin meilleure que celle de Didier Bivel

Deux adaptations d’une œuvre monumentale.

France 2 a diffusé, hier soir, lundi 13 décembre 2021, la nouvelle adaptation de Madame Bovary, le classique de Gustave Flaubert réalisée par Didier Bivel et dont le scénario est signé Nathalie Carter et Eve Castro. Ils prétendent offrir un nouveau prisme de lecture et un regard moderne sur cette œuvre classique. En réalité, ils ont agi de façon quasi blasphématoire en tentant à tout prix de soumettre le chef-d’œuvre de la littérature française aux nouvelles idéologies.

Par Mohamed Sadok Lejri *

En effet, des pans entiers de l’Histoire, des mythologies et des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale commencent à être sérieusement menacés par le révisionnisme féministe, antiraciste et puis je ne sais quoi encore. Je préfère de loin l’adaptation de Claude Chabrol qui est sortie au début des années 1990.

Madame Bovary de Claude Chabrol

Dans le film de Claude Chabrol, le jeu des acteurs est bon. Isabelle Huppert incarne merveilleusement bien ce personnage mythique. François Balmer est absolument parfait dans le rôle de Charles Bovary. Il en est de même pour Jean Yanne dans le rôle du bouillonnant Homais, le pharmacien scientiste et athée, et Christophe Malavoy dans celui de l’amant séducteur, faussement passionné et cynique.

Même si des passages entiers de l’œuvre sont passés à la trappe, Chabrol restitue assez bien ce roman classé parmi les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Il faut dire qu’il n’est pas aisé d’adapter à l’écran un monument littéraire tel que Madame Bovary. Claude Chabrol a beau rester fidèle à la trame narrative du roman, on comprend que la puissance littéraire de l’œuvre est difficilement transposable à l’écran, quel que soit le nom du réalisateur. Cela étant, la voix off du narrateur François Périer offre au film un caractère littéraire plus prononcé. Qui plus est, cette voix narratrice n’est pas sans nous rappeler le beau cinéma de François Truffaut, un des parangons de la Nouvelle Vague avec Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Éric Rohmer, Jacques Resnais…

Chassé-croisé entre le roman et son adaptation à l’écran

S’inspirant d’un fait divers banal dont il décrit les personnages et le cadre (des bourgs de Normandie) avec un réalisme scrupuleux, Flaubert entreprend de peindre un sentiment d’insatisfaction complaisante dans les domaines affectif, sexuel et social, baptisé depuis le bovarysme.

En effet, cette provinciale romantique, insatisfaite, rêveuse, vivante, pulsionnelle, mélancolique et désespérée est devenue la métaphore des femmes qui sont installées bourgeoisement dans leurs meubles, mènent une vie des plus conventionnelles et qui, en même temps, s’ennuient en étant englouties dans un quotidien sans réelle saveur et suffoquent sous le poids du conformisme bourgeois. En effet, de nombreuses femmes se reconnaissent dans le personnage de Madame Bovary car son histoire est celle de tant de cœurs et d’âmes en peine. Ce chef-d’œuvre de Flaubert agit comme un miroir.

Emma Bovary est une fille de paysan dont l’éducation au couvent a exacerbé les aspirations romanesques. Elle s’ennuie parmi les bourgeois de province qui peuplent son quotidien et auprès d’un époux terne et médiocre, mais bon et très amoureux d’elle. Nourrie comme elle est de lectures romanesques, aspirant à des amours romantiques et une vie de luxe que ne lui apportent ni son mari ni la bourgeoisie terne et pontifiante de la ville, elle s’évade de cette réalité terne dans un romantisme de pacotille, puis dans un double adultère qui la laisse insatisfaite.

Ce tableau réaliste et sévère des «mœurs de province» est également une satire de la société bourgeoise et de toutes les formes de conventions. D’ailleurs, l’ouvrage est taxé d’immoralité à sa sortie. Claude Chabrol, maître incontesté dans l’observation des mœurs bourgeoises, mais aussi dans celle de la lâcheté et des monstruosités que recèle la nature humaine, glanait dans son domaine de prédilection.

En 1856, le roman est achevé après maintes souffrances et tortures car la rédaction de ce roman a été un véritable supplice pour Flaubert : «Ce livre me tue; je n’en ferai plus de pareils. Les difficultés d’exécution sont telles que j’en perds la tête dans les moments. On ne m’y reprendra plus à écrire des choses bourgeoises», écrivait Flaubert, en 1853, dans une lettre destinée à sa maîtresse Louise Colet. Dans une autre lettre envoyée à Hyppolyte Taine (historien, philosophe et lecteur de Faubert), en 1866, Flaubert lui fait part des brûlants tourments qu’il a éprouvés en rédigeant Madame Bovary : «Quand j’écrivais l’empoisonnement de Madame Bovary j’avais si bien le goût de l’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup sur coup, – deux indigestions réelles, car j’ai vomi tout mon dîner.» D’ailleurs, la longue et douloureuse agonie d’Emma Bovary a été formidablement portée à l’écran par Claude Chabrol; c’est une des plus belles scènes du film.

Le roman est achevé en 1856. Il commence à paraître en feuilleton dans La Revue de Paris qui en supprime certains passages jugés osés. Flaubert en est meurtri. Malgré cette censure, le succès tourne rapidement au scandale. La justice trouve que certaines pages portent atteinte aux bonnes mœurs. Flaubert comparaît au tribunal correctionnel pour outrage à la morale publique et religieuse. Ce procès, à la suite duquel il sera acquitté, portera un coup rude à Flaubert. Ce décide de ne plus rien écrire, avant d’entamer la rédaction de Salammbô un an plus tard.

En définitive, l’adaptation de Claude Chabrol est de loin meilleure que celle de Didier Bivel et mérite d’être vue, même si l’ancien critique des Cahiers du cinéma a fait preuve de frilosité. Mais cela est tout à fait compréhensible, on ne peut se hasarder à bousculer une œuvre littéraire aussi imposante et intimidante que Madame Bovary.

* Universitaire.

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