Né en 1952 à Bir El Karma (Ghomrassen), dans le sud tunisien, le poète Souf Abid a publié une quinzaine d’ouvrages, à partir de 1980 «La terre a soif». Il a enseigné l’arabe dans des lycées et a été à l’origine de clubs et d’événements littéraires qui ont joué un rôle non négligeable dans la littérature tunisienne.
La poésie de Souf Abid est marquée par le réalisme social, ancrée dans la mémoire personnelle et collective, où priment le quotidien et le labeur des jours, dans une expression poétique limpide, rythmée entre vers libres et classiques.
Parmi ses recueils (en arabe) : Fleur de sel, 1984; L’âme rouillée, 1989; Une seule vie ne suffit pas, 2004; Couleurs sur des mots, traduction et peintures de Othmen Babba 2008; Haut … loin, 2014.
Tahar Bekri
Tant de pays sont de toute beauté
Mais l’amour de mon cœur est Ghomrassen
Son nom désigne le généreux des hommes
Honore-les ils sont tous de qualités
La voiture en argile…celle-là
Il l’a malaxée de pure terre
Terre des entrailles d’une grotte
Grotte sur la cime d’une colline
Pour atteindre le haut de la colline
Il faut…et il faut…
D’épines de rochers escarpés
Gare au serpent ou au scorpion
Cette voiture-là d’argile …
Dans la cour de la maison
Avec deux sceaux d’eau de Bir el Karma
Il a pétri son fer brillant
Sa vitre luisante
Ses phares
Rouges
Et oranges
Elle s’est adonnée à ses mains polie élancée
Il l’a laissée sécher
Le soleil par-dessus sa tête balle de braise
Cette voiture …d’argile
Ses roues ont séché et se sont endurcies…
Maintenant il lui est possible de la monter facilement
Sur deux rouets
Leur bois d’une branche de l’olivier du pont
Délicatement il les a troués
L’un après l’autre
Hourra ! Hourra !
Elle est en équilibre et tourne dans sa paume
Deux… trois… quatre
Avec le coude
Il a ouvert sa porte – c’est ainsi qu’il se distrayait –
Puis il s’est mis droit derrière le volant
Sa main droite le tenant avec douceur
Sa main gauche dehors à travers la fenêtre
Parfaitement…comme conduisent
Les expérimentés parmi les chauffeurs
D’un seul geste
Il mit le moteur en marche
Qui démarra comme le sifflement du vent
Comme le frémissement des ailes des hirondelles
Comme le murmure du fleuve dans les ruisseaux
Comme l’écho du chanteur dans les fêtes de mariage
Comme l’écho des you-yous des femmes
Il n’a pas dit au revoir
Il n’a pas dit au revoir
Le désir des distances lointaines l’appela
Il appuya sur l’accélérateur
La voiture d’argile n’a laissé derrière elle que poussière
Combien de montagnes a-t-elle parcouru
Combien de plaines de prairies de forêts de steppes de rivières
Des années et des années
Combien de vents de neiges de pluies
A-t-elle traversé
Combien de pays
Tant d’années
La voiture d’argile…
Ne s’est pas fatiguée n’a pas été lasse ne s’est pas arrêtée
Tant d’années
A l’étroit dans les lieux
Tant d’années
Des continents et des villes
Les routes ne l’ont fait arriver
Que
Vers elle
Ghomrassen
La boussole du cœur indique
Vers elle au sud
Même si le nord a ses séductions
Ghomrassen
Le commencement et la fin
Quelles que se soient succédées les époques
-Ghomrassen-
Dans le dictionnaire de la langue berbère- le meilleur du monde-
Fierté…générosité…qualités
Ghomrassen
Par le passé
Les pluies étaient abondantes même pendant les canicules
Se promenaient dans ses forêts les dinosaures
Combien les descendants de ses descendants ont-ils chassé de lézards
Dans les cavernes
Ghomrassen
Au passé très reculé
Les premiers ancêtres
Ont peint dans les cols des grottes des éléphants des girafes
Et des cerfs
Ghomrassen
Dans les lits de sa vallée palmiers figuiers et oliviers
Fragrance du thym et du romarin
De tout col profond vinrent campement et cavaliers
Ghomrassen
Les maisons sculptées et les meules dans les rochers
Ils font trôner sur les cimes des montagnes
Des palais
Ghomrassen
Dans le vieux marché il stationna sa voiture
Il marcha de son école vers – Bir El Karma –
Il marcha
Comme il marchait le long des années à travers la vallée
A pied
«Haut… loin», 2014.
Traduit de l’arabe par Tahar Bekri
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