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Tunisie : Et si les «missiles» de Kaïs Saïed n’étaient que des pétards mouillés ?

Kaïs Saïed, professoral, donne une leçon d’histoire à sa Première ministre Najla Bouden, géologue de son état.

Pièce maîtresse du projet de Kaïs Saïed, la consultation nationale numérique avance, cahin-caha, vers son terminus du 20 mars prochain, fête de l’indépendance de la Tunisie. Jusqu’ici, force est de constater que l’opération ne semble pas avoir convaincu la masse du «peuple [qui] veut». Contrairement à ce qu’espérait le chef de cette œuvre, les maisons de jeunes et le site e-istichara (e-consultation) sont, le moins que l’on puisse dire, boudés… Que fera le Chevalier d’El-Mnihla si la cette timide mobilisation se confirme ?

Par Moncef Dhambri *

Les premières données dont nous disposons indiquent clairement que cette consultation, dont les résultats sont censés non seulement accorder le dernier mot aux foules immenses qui se sont soulevées le 25 juillet dernier mais également confirmer les choix de M. Saïed et la tournure que ce dernier a souhaité, seul, donner aux choses, c’est-à-dire faire table rase de tout ce qui a été fait depuis le 14 janvier 2011 jusqu’au 24 juillet 2021. En d’autres termes, la refonte totale du système, la déconstruction complète du régime, la réorganisation de fond en comble de tout ce que l’Assemblée nationale constituante du 23 octobre 2011, la nouvelle Constitution du 27 janvier 2014, la IIe République et les élections présidentielles et législatives de 2014 et 2019 ont fait pour notre pays.

Allah, l’Histoire et le «peuple [qui] veut»

Bien sûr, tout cela n’était pas parfait. Bien sûr aussi, la Tunisie aurait pu mieux faire et mériter meilleur sort. Bien sûr également, notre classe politique et nos élites n’ont pas été à la hauteur de ce à quoi les Tunisiens avaient légitimement droit. Assurément aussi, Ennahdha, Nidaa Tounes et les autres partis –de près ou de loin– n’en ont fait qu’à leurs têtes et, malheureusement, ils ont tous été, sans exception, mal inspirés.

Et voilà que, le 25 juillet 2021, arrive Kaïs Saïed, avec son article 80 de la Constitution, pour redresser tous les torts. Et pour la construction de sa IIIe République, le Chevalier d’El-Mnihla y mettra le fond et la forme –pour que rien, absolument rien, ne soit comme avant.

Partant du principe que les autres sont tous pourris, il institua, dans un premier temps, son état d’exception qui lui a permis d’accaparer les pouvoirs exécutif et législatif, car il y avait un «danger imminent» qui menaçait l’intégrité nationale, et il procéda ensuite, par décrets, au détricotage du 14 janvier 2011 –selon les souhaits du «peuple [qui] veut», qui sont bien entendu les siens, devant Allah et l’Histoire.

Plus rien, à partir du 22 septembre 2021, n’allait résister au bulldozer saïedien. Il rase tout sur son passage et remet tout à plat pour réaliser son rêve d’étudiant de la Fac’ de droit… sa démocratie participative, sa pyramide inversée du pouvoir décisionnel, ses comités populaires. Et le public, enthousiaste et enivré, est là pour applaudir. Et les Emrhod Consulting et Sigma Conseil sont là également pour dire et redire que Kaïs Saïed est notre sauveur… Les 72-73% de voix, lors de la présidentielle de 2019, ne suffisent plus. M. Saïed surfe sur les cimes des 80 et 90% de popularité et performance. Que demande le peuple?

Bref, rien ne semble arrêter le locataire du Palais de Carthage, rien ni personne ne pourra l’arrêter. En fin de semaine dernière, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) l’a appris à ses dépens : à présent, cette institution constitutionnelle «fait partie du passé» et un CSM provisoire la remplace jusqu’à nouvel ordre (!?).

Au suivant, comme dirait l’autre. Le tour viendra pour tous ceux qui oseront se mettre sur la voie du rouleau compresseur saïedien. Gare à la Haica, l’Isie, les partis, les syndicats… et les médias aussi !

Mais que fera Kaïs Saïed si, comme tout semble l’indiquer, son e-istichara fait pschitt ?

Un petit, un très petit 2,2%

Jusqu’ici, la consultation, qui doit déterminer le reste, tout le reste, du projet de Kaïs Saïed, progresse à la vitesse d’un escargot –at a snail’s pace– comme disent nos amis anglo-saxons.

Les six chapitres et les suggestions de réponses de cette consultation n’ont pas suscité l’enthousiasme –comme si le peuple voulait autre chose ( !?) que ce que le Chevalier d’El-Mnihla leur a proposé.

En tous cas, pour l’instant, les faits sont têtus: jusqu’aujourd’hui, c’est-à-dire un mois exactement après le lancement officiel de cette opération, seulement près de 185.000 de toutes les personnes éligibles à le faire ont pris la peine de remplir les formulaires de la consultation. Ce chiffre, en rapport avec le total des 8,4 millions de Tunisiens âgés 18 ans et plus, représente un petit, un très petit 2,2%.

En attendant la fin de l’opération, dans un autre mois, rien ne semble pouvoir sauver la mise de M. Saïed: pour ce qui reste comme temps, même en mettant les bouchées doubles et en y investissant tous les moyens (!?), la e-istichara ne récoltera –si l’on se fie aux estimations de notre collègue Zied Krichène, de Mosaïque FM– que 400 à 500.000 répondants, soit entre 5,5 et 6% des Tunisiens âgés de plus de 18 ans.

Là, la question se pose : où se trouve le «peuple [qui] veut» ? Est-il vraiment du côté de Kaïs Saïed, Taoufik Charfeddine, Ridha Lénine, Amine Mahfoudh, Ahmed Chaftar et autres hurluberlus de la table rase?

Fidèle parmi les fidèles, Nadia Akacha a quitté le navire, le 24 janvier dernier, pour des «divergences fondamentales». Son départ de la présidence de la République, qui n’était certes pas le premier, ne peut être écarté d’un simple revers de la main. Sans doute, la tambouille qui se prépare dans les cuisines du Palais de Carthage n’était plus de son goût…

Que fera, donc, Kaïs Saïed face à ce flop. Continuera-t-il de nous «bassiner» avec ses théories complotistes ? Continuera-t-il de gesticuler et de menacer de lancer ses «sawarikh» (missiles) ? Continuera-t-il de croire qu’il a toujours raison et que tous les autres ont tort ? Ou… Ou…

Non, il n’y a pas de ou, car le Chevalier d’El-Mnihla n’est pas du genre à entendre raison. C’est un monomaniaque. Il fonce droit devant, convaincu qu’il est seul à détenir la vérité absolue.

* Universitaire à la retraite et journaliste.

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