L’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, réputé corrompu, n’a pas osé le faire. Tous ses successeurs y ont aussi pensé mais ils se sont bien gardés de sauter le pas. Il a fallu attendre Kaïs Saïed, l’actuel locataire du palais de Carthage, pour que l’inacceptable péché soit commis : offrir un cadeau royal aux hommes d’affaires véreux qui n’ont pas remboursé les prêts que leur avait accordé la Banque franco-tunisienne (BFT), dont ils ont causé la faillite.
Par Ridha Kefi
M. Saïed a, en effet, donné son feu vert à une décision prise récemment par la Banque centrale de Tunisie (BCT) et qui avait reçu l’aval du gouvernement Najla Bouden, celle de liquider la BFT, établissement bancaire qui fait l’objet d’un litige entre ABCI, un fonds d’investissement basé aux Pays-Bas, qui l’avait racheté au milieu des années 1980, avant d’en être dépouillé par l’Etat tunisien, lorsque Ben Ali décida d’escroquer cette société dont le capital est détenu, en majorité, par des Saoudiens.
Les escrocs exonérés, les contribuables casquent
L’affaire, qui a connu de nombreux rebondissements au cours des quarante dernières années et a beaucoup terni l’image de la Tunisie auprès des investisseurs étrangers, est examinée par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), lequel avait rendu un premier verdict, en juillet 2017, inciminant l’Etat tunisien et donnant raison à ABCI.
En vertu de cette décision, le fonds d’investissement va devoir se faire payer des compensations financières que les experts évaluent à un minimum de 1,5 milliard de dinars tunisiens. Des estimations plus larges vont cependant jusqu’à parler de 3 milliards de dinars que devra payer le contribuable tunisien, c’est-à-dire moi, toi et nous, les pauvres contribuables tunisiens, qui n’ont pris rien pris à personne et qui vont devoir casquer parce que ces chers hommes d’affaires véreux ont refusé de rembourser leurs prêts contractés auprès de la BFT et que, profitant de la «générosité» d’un dictateur appelé Ben Ali, ils ont cru pouvoir se faire complètement exonérer du paiement de leurs dettes.
Et pourquoi ne le croiraient-ils pas, puisqu’après la chute de Ben Ali, ils ont continué à être cajolés et protégés par tous ceux qui ont gouverné la Tunisie depuis 2011, chefs d’Etat, chefs de gouvernement, ministres des Finances, gouverneurs de la Banque centrale ?
Et zorro est arrivé…
Avec l’élection de Kaïs Saïed, ces insatiables, dont certains sont «pourris» d’argent et possèdent des pans entiers de l’économie nationale, et qui avaient soutenu l’adversaire de l’actuel locataire du palais de Carthage, le sieur Nabil Karoui, aussi «pourri» d’argent qu’eux, ont tremblé un moment, parce que le professeur de droit constitutionnel, réputé intègre et peu soluble dans la corruption, avait juré, lors de sa campagne électorale, de défendre les pauvres contre les riches, de combattre la corruption qui gangrène le pays et de rendre la vie impossible aux corrompus.
Cependant, près de deux ans après, et même s’il continue de jurer, un trémolo dans la voix, la main sur le cœur et en se bouchant le nez, qu’il va mettre tous les corrompus hors d’état de nuire, ne voilà-il pas que notre cher président bien-aimé, le si intègre Kaïs Saïed, prend la décision qu’aucun de ses prédécesseurs n’a osé prendre pour ne pas perdre la face auprès de ses électeurs : celle, justement, de décider la liquidation de la BFT.
Les citoyens contribuables, qui sont encore plus de 80 % à faire confiance à M. Saïed, selon la plupart des sondages d’opinion, doivent savoir que les principales conséquences d’une telle décision c’est que l’ardoise des créances impayées de la BFT sera définitivement effacée, que les archives de ladite banque ne tarderont pas à disparaître et que tous ceux qui ont causé sa faillite pour grossir leurs fortunes personnelles n’auront plus rien à payer à personne. Ils pourront même désormais dormir tranquille. Et pour cause : un chef d’Etat réputé intègre ne vient-ils pas de légaliser leur crime financier, dont les conséquences seront supportées par le peuple tunisien dans son ensemble, qui aura finalement à payer les fameuses compensations que le Cirdi ne tardera pas à décider en faveur d’ABCI. Qui plus est, dans une conjoncture financière dramatique, où notre pays, au bord de la banqueroute, frappe aux portes des bailleurs de fonds dans l’espoir de collecter les ressources nécessaires au financement de son budget pour l’exercice en cours.
Morale de l’histoire : on a beau être (ou se prétendre) président des pauvres, en définitive, comme tous les bipèdes, on ne donne qu’aux riches.
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