Après le virus, et le climat, le nucléaire est là pour rappeler que l’entente entre les nations demeure une condition indispensable à la survie de l’espèce humaine. C’est la première grande leçon de la guerre actuelle en Ukraine. Il est temps que la diplomatie reprenne ses droits, au lieu de voir se perpétuer ce jeu international de la roulette russe, dont chaque pression de la gâchette confie au hasard la responsabilité de rapprocher le genre humain de l’abîme.
Par Dr Mounir Hanablia *
Cette guerre en Ukraine est en train de prendre une tournure préoccupante, et pas seulement pour le peuple ukrainien, avec la mise en état d’alerte des forces nucléaires russes. Il ne faut certes pas dramatiser; déjà en 1973 le président américain Richard Nixon avait enclenché l’état d’alerte nucléaire au moment de la guerre d’Octobre 1973 entre Israël et la coalition syro-égyptienne, alors que l’armée israélienne était en sérieuse difficulté.
Une inquiétante logique de l’escalade
Actuellement, ce qui semble inquiétant c’est la logique de l’escalade qui prévaut dans les deux camps. Aux opérations militaires en cours , on a opposé ce qui est en réalité un acte de guerre, à savoir un embargo économique sévère ainsi que l’engagement d’exporter des armes vers le pays agressé, y compris par des Etats jusque-là connus pour leur plus grande prudence en la matière, comme la Suède, ou l’Allemagne. Des pays demeurés neutres comme la Finlande évoquent désormais la possibilité de s’enrôler sous la bannière de l’Otan.
La peur s’installe en Europe et les médias sont les premiers à s’en faire l’écho.
Désormais, on évoque le prochain pas de Poutine, et on désigne déjà la Roumanie comme une possible victime, à moins que ce ne soit les Etats baltes ou la Finlande. Ce pays qu’on avait omis de mentionner au moment où il aurait été le plus intéressant de le faire, avant le début des opérations militaires en Ukraine, alors qu’une solution politique était envisageable, sort ainsi de l’ombre, mais pour être cité en contre-exemple, désormais désireux de sortir de sa neutralité. Qu’on s’abstienne de dire au passage que durant 80 ans, et au plus fort de la guerre froide, ce pays se soit vu respecter sa souveraineté et sa neutralité par son voisin est plus que significatif du climat partisan qui prévaut et du procès d’intention qu’on fait à la Russie.
Les médias devenus des outils de propagande
Les médias en Occident sont en ce moment et plus que jamais des outils de propagande au service des politiques de leurs gouvernements, et celles-ci ne sont pas à l’apaisement. Si Poutine était Hitler, alors il aurait en plus la bombe atomique, ce qui pousserait à la plus grande prudence.
Qu’on en arrive ainsi au seuil de l’affrontement nucléaire ne constitue que l’aboutissement logique d’un processus excluant la dissuasion, c’est-à-dire la crainte de la destruction mutuelle totale.
L’Otan savait, en promettant à l’Ukraine d’examiner sa demande d’adhésion, après l’occupation d’une partie de son territoire en 2014, qu’on créait un «casus belli», une raison de guerre, avec la Russie.
Il serait fastidieux de décrire l’histoire des relations mouvementées entre les Etats-Unis d’Amérique et la Russie depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir, mais il est apparu que ce dernier ne s’accommodait pas des interférences extérieures dans les élections de son pays pour le chasser du pouvoir, ni dans les affaires de ses alliés, en particulier ukrainiens, voire des pays limitrophes. Intervenant lui-même dans les élections américaines, il a aidé à faire élire Donald Trump, ce que les Démocrates qui en ont fait les frais ont eux-mêmes vraisemblablement considéré comme un «casus belli», en se promettant, une fois de retour au pouvoir, de lui renvoyer la monnaie de sa pièce. Qu’une puissance extérieure arrive en effet à user du fleuron de leur propre puissance, l’internet, pour leur damer le pion en violant le symbole même de leur souveraineté, aurait des conséquences.
A cela, il faut aussi ajouter la volonté d’exclure du marché un concurrent exportateur de gaz et de pétrole, de provoquer une augmentation substantielle des prix susceptible d’éponger les pertes subies lors de la pandémie, et de placer l’Europe en coupe réglée en la rendant exclusivement tributaire des exportations énergétiques américaines. Sauf que tout cela a ignoré une réalité cruciale, celle que la Russie dispose toujours de plusieurs milliers de têtes nucléaires, et qu’il n’est pas possible de la traiter comme l’Iran, l’Afghanistan, la Libye, l’Irak, ou le Venezuela. D’autre part la Russie s’est vue ainsi pousser dans les bras de la Chine, ce qui risque d’avoir des conséquences en mer de Chine et à Taiwan.
Désamorcer la logique de l’affrontement
Il est donc crucial de désamorcer la logique de l’affrontement qui prévaut actuellement et qui rend la perspective d’un conflit nucléaire envisageable à brève échéance. L’humanité se retrouve ainsi au bord du gouffre et il faudrait peut-être commencer à discuter de l’avenir dans des termes autres que ceux qui avaient été déjà définis. Mais en supposant que la catastrophe finale n’ait pas lieu, le sort militaire de l’Ukraine sera logiquement réglé dans les prochains jours, et on ignore quels gages sécuritaires et politiques la Russie s’assurera alors, avant d’entamer les inévitables négociations de paix.
Parmi les choses entendues dans l’hystérie collective qui prévaut, celle que les jours de Poutine soient comptés demeure discutable; seul l’avenir le dira. Mais avec lui à sa tête, ou un autre, la Russie demeurera une grande puissance que nul ne pourra ignorer, sans encourir le risque d’un conflit global et fatal.
Il est temps que la diplomatie reprenne ses droits, au lieu de voir se perpétuer ce jeu international de la roulette russe, dont chaque pression de la gâchette confie au hasard la responsabilité de rapprocher le genre humain de l’abîme. Après le virus, et le climat, le nucléaire est là pour rappeler que l’entente entre les nations demeure une condition indispensable à la survie de l’espèce humaine.
* Médecin de pratique libre.
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