Dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, seuls comptent au final l’intérêt bien compris de la Tunisie, et la sécurité de ses ressortissants partout dans le monde, y compris et d’abord en Ukraine, où certains d’entre eux affirment avoir été maltraités par une partie de la population locale dont le comportement – la guerre ne pouvant tout justifier – a été ignoble par certains aspects.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le premier vol ramenant nos compatriotes d’Ukraine a atterri hier matin, mardi 1er mars 2022. Il est toujours hasardeux de généraliser à partir de témoignages qui ne sont que le reflet d’expériences individuelles ou sur une petite échelle, particulièrement lorsque il en résulte une idée péjorative du pays d’accueil. On présentera donc les faits avec la prudence qui s’impose.
Une dizaine d’étudiants tunisiens coïncés à Soumy, une ville ukrainienne située à une trentaine de kilomètres de la frontière russe dans une zone militaire, en ont vu de toutes les couleurs. Obligés de se ravitailler, ils ont été obligés d’attendre que les indigènes finissent leurs courses avant de se voir autorisés à faire leurs achats. Evidemment, avec les restrictions de la guerre, il ne leur restait en général plus grand chose, une fois les Ukrainiens partis.
Des comportements que n’excuse pas la guerre
Un journal tel que ‘‘The Guardian’’ s’est fait l’écho des protestations des autorités nigérianes se plaignant de ce que leurs ressortissants étaient souvent empêchés de monter dans les bus à destination de la frontière, renvoyés systématiquement en bout de queue au moment de présenter leurs passeports dans les postes frontaliers, et même débarqués des bus en cours de trajet en Pologne quand le chauffeur s’apercevait de leur présence. Beaucoup se sont plaint des gardes frontières polonais, particulièrement brutaux, et responsables de plusieurs agressions graves contre les migrants.
Tout cela rappelle un peu l’ambiance de l’arbitraire absurde qui prévaut dans le roman de l’écrivain roumain Virgil Gheorghiu ‘‘La vingt cinquième heures’’. Le plus désolant est que dans leur bonté naïve, certains parmi nos jeunes étudiants ont excusé ce genre de comportement par la guerre et la nécessité de privilégier les nationaux.
Non, mesdemoiselles messieurs, étant les hôtes de ces pays, et y étant allés pour étudier, vos droits n’auraient pas dû être bafoués de cette manière là. Dans la queue d’un magasin, la seule règle qui vaille dans les pays du monde entier, c’est l’ordre, et nullement le passeport; et dans un poste frontalier, si on veut discriminer les étrangers, c’est en établissant un guichet réservé aux nationaux qu’il faudrait le faire.
En Tunisie, depuis 2011, nous avons l’habitude de ces migrants étrangers qui viennent du fin fond de l’Afrique pour étudier, travailler, ou traverser à destination la terre mythique d’Europe; jamais les autorités ni la population ne les ont délibérément traités d’une manière si peu cavalière, même si on a parfois rapporté des faits de racisme du reste assez rares pour inquiéter.
Des terres d’où la tolérance fut souvent bannie
Mais l’histoire nous enseigne que la Pologne et l’Ukraine furent des terres d’où la tolérance fut souvent bannie. La première apparition de l’Ukraine dans l’histoire date de son intégration dans l’union polono-lituanienne en 1569. Soumise au servage par les seigneurs polonais catholiques, sa population composée de slaves en rupture de ban venus chercher de la terre et de la liberté, de Tatars, et de Turcs de la steppe (Qipchaks, Khazars, Petchenègues), regroupés dans des compagnies dites de cosaques, était en majorité orthodoxe, dirigée par des chefs appelés Hetmans. Les Cosaques se soulevèrent contre les Polonais en faisant allégeance au Tsar de Moscou et les chassèrent. Et depuis lors ils constituèrent le fer de lance de la colonisation russe le long du Dniepr, de la Volga, et en Sibérie. Mais il n’y eut jamais d’Etat ukrainien libre.
Les Ukrainiens étaient appelés ruthènes, ou bien Russes du Sud, partagés entre la Pologne, l’empire austro hongrois et l’empire russe. Et ils se rendirent coupables de pogromes , particulièrement après l’assassinat en 1882 du Tsar Alexandre II.
En 1917 une république d’Ukraine vit le jour et survécut pendant deux années avant d’être intégrée à l’Union soviétique. Et quand les Allemands occupèrent leur pays durant la seconde guerre mondiale, de nombreux Ukrainiens collaborèrent avec eux et furent responsables de la mort de plusieurs centaines de milliers de juifs. Le massacre de Babi Yar perpétré par des milices locales antisémites est demeuré un souvenir tragique dans la mémoire des juifs ukrainiens.
Les certitudes morales des libéraux blancs
Depuis la guerre de Poutine en Ukraine, les journaux israéliens rapportent sur leurs pages le débat entre ceux qui estiment nécessaire de condamner la Russie, au nom de la morale et du droit international, et ceux qui refusent de le faire, au nom de l’intérêt national. L’argument de ces derniers est que comme l’a dit un fonctionnaire des affaires étrangères, quand les missiles iraniens véhiculant des charges hautement explosives, commenceront à pleuvoir sur Israël, personne ne se rappellera qu’il eût été moral de maintenir l’Iran sous embargo et de le désarmer, au lieu de parvenir à un accord avec lui, comme le fait selon eux l’actuelle administration américaine. Un professeur d’université a même dit que seul le libéral blanc possède des certitudes morales qu’il tend à imposer, du moment qu’il en juge les conséquences sans importance. Et à un universitaire américain qui estimait que les Ukrainiens avaient en 1917 lutté pour la démocratie, une dame juive a répondu qu’il n’était qu’un ignorant, que le président Zelenski n’était que le juif de service, que Poutine avait raison de les traiter de nazis puisqu’ils en avaient instauré le salut dans leur armée.
On pourrait tout autant rajouter qu’au vu des pratiques polonaises et ukrainiennes, on comprend d’où l’armée israélienne, dont les officiers sont en grande partie d’origine ashkénazes, puise ses traditions homicides contre la population palestinienne.
Finalement, et malgré les remontrances d’un certain Marcus Corniaud, représentant d’une Union Européenne totalement soumise, à commencer par l’Allemagne, aux exigences américaines, le mieux est encore de s’entendre directement avec Washington, sinon le cas échéant avec Pékin.
Dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie, seuls comptent l’intérêt de la Tunisie, et la sécurité de ses ressortissants, et si la cession bail de la rade aéro navale de Bizerte Menzel Bourguiba peut nous aider à rembourser nos dettes et à créer un nouveau Hong Kong en Méditerranée, ce n’est pas l’Europe qui nous en empêcherait. Mieux vaut encore s’adresser au bon dieu qu’à ses saints.
* Médecin de libre pratique.
Article lié :
Guerre en Ukraine : Le racisme occidental étalé au grand jour
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Ukraine : Le sort de l’humanité au jeu de la roulette russe
The New Map : L’Ukraine, Wall Street, et les poupées russes
«Genius devil» : L’ Amérique, de la démocratie à la ploutocratie
Donnez votre avis