La sécurité alimentaire des Tunisiens est au prix de la refonte globale du secteur agricole, sous-exploité et mal-exploité, alors qu’il offre d’énormes opportunités et que les pressions actuelles sur le marché mondial des produits alimentaires nous obligent à revoir totalement nos stratégies et nos méthodes vers plus d’efficacité.
Par Amine Ben Gamra *
À peine une décennie s’est écoulée depuis le printemps arabe, pour lequel la hausse des prix des denrées alimentaires a été l’une des étincelles qui a allumé la mèche de la révolution, en tout cas en Tunisie. Aujourd’hui, la situation a empiré et notre sécurité alimentaire devient menacée. En effet, à l’heure où l’armée russe se déploie en Ukraine, les perspectives d’une chute de production et d’approvisionnement des céréales font craindre une flambée des prix, alors que notre pays importe l’essentiel de son blé de l’Ukraine et de la Russie, deux pays aujourd’hui en guerre.
Comment on en est arrivé à cette situation
En Tunisie, la production locale de céréales est soit découragée, soit réglementée au profit de quelques opérateurs. Dans le même temps, les entreprises privées de chaque secteur réglementent leurs industries, ce qui leur permet de tenir leurs concurrents à distance. De là à parler de situations d’entente et de monopole…
Les producteurs de blé sont, par exemple, contraints de vendre leur production à un monopole public avec un rabais allant jusqu’à 25% par rapport aux prix internationaux, tandis que les minoteries et les producteurs de pâtes sont subventionnés par l’Etat à différentes étapes de la production.
Le résultat est que les revenus des petits exploitants agricoles ont diminué, que beaucoup d’entre eux ont jeté l’éponge, préférant changer de créneau ou carrément de métier, et que la Tunisie recourt désormais de plus en plus aux importations des denrées alimentaires, vue que la production locale est en baisse d’une année à une autre.
Or, sitôt entamé, le conflit russo-ukrainien a provoqué la hausse vertigineuse du prix du blé. Sur Euronext, le prix de la tonne de blé meunier s’est envolé. Les contrats à terme de référence sur le blé tendre rouge d’hiver ont dépassé la limite quotidienne, grimpant de 7,6% à 10,59 dollars le boisseau (environ 27 kg). Le maïs a grimpé de 2,8% pour atteindre son plus haut niveau depuis 2011 avec 5,9 dollars le boisseau.
L’Etat doit céder la place aux jeunes entrepreneurs
L’agriculture peut contribuer à créer des emplois dans le pays et participer significativement à la relance économique, mais l’État devrait se désengager et céder la place aux jeunes entrepreneurs surtout au niveau des grandes exploitations pour encourager la production à grande échelle.
Aujourd’hui, une grande partie des terres agricoles de l’État sont en friche, dans les régions du nord et du centre, mais la plupart de ces terres sont entre les mains de coopératives, souvent mal gérées sinon déficitaires.
Parallèlement, l’État devrait se concentrer sur les services publics essentiels (exemple : amener l’Office des Céréales à garantir un marché concurrentiel, à maintenir un stock de sécurité, à fournir un appui technique aux entrepreneurs) et veiller à la régulation du marché. D’autant qu’aujourd’hui, le secteur agricole dans notre pays souffre de l’emprise des entrepreneurs puissants qui choisissent d’écarter la concurrence et d’établir des règles selon leurs intérêts.
La sécurité alimentaire des Tunisiens est au prix de la refonte globale du secteur agricole, sous-exploité et mal-exploité, alors qu’il offre d’énormes opportunités et que les pressions actuelles sur le marché mondial des produits alimentaires nous obligent à revoir totalement nos stratégies et nos méthodes, vers plus d’efficacité.
* Expert-comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.
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