Fidèles à l’appel du devoir journalistique, nous avions été au rendez-vous que l’e-istichara nous avait fixé. Nous ne pouvions, d’aucune manière, nous soustraire à cette obligation professionnelle. Dieu, l’Histoire et la volonté populaire –pour emprunter cette formule au lexique de Kaïs Saïed– ne nous l’auraient jamais pardonné. Nous vous livrons ici, par les chiffres que nous avons notés, l’image exacte de ce qu’il convient de qualifier de l’arnaque du siècle. Lisons ensemble ces données objectives…
Par Moncef Dhambri
Hier, dimanche 20 mars, à minuit, le site e-istichara.tn nous donnait à lire les résultats suivants de la «Consultation nationale» suggérée, conçue, pilotée et exécutée de bout en bout par notre président de la république Kaïs Saïed, pendant plus de deux mois et demi : l’opération, financée par l’argent du contribuable tunisien –alors que ce dernier ne finit pas de s’appauvrir–, a suscité l’intérêt de 534.572 citoyens tunisiens sur une population totale de 12 millions d’habitants. Et sur ce total de 534.572 participants, il y a eu 366.024 participants et 168.549 participantes, soit respectivement 68,47% et 31,53% du total.
Les Tunisiennes ont peut-être senti qu’il y avait là anguille sous roche (!?) ou étaient-elles moins convaincues par la propagande présidentielle relayée par les services de l’Etat? A moins qu’elles n’aient aujourd’hui la tête ailleurs, dans le contenu de leur couffin, de plus en plus maigre par ces temps de disette où les prix des produits de première nécessité flambent et le pouvoir d’achat s’amenuise.
Nous lui avons donné le bon Dieu sans confession
Regardons bien la capture d’écran, ci-dessus, effectuée par nos soins. Elle en dit long sur le chemin parcouru par notre pays, depuis le 13 octobre 2019, jour du plébiscite électoral du Chevalier d’El-Mnihla –près de 73% des suffrages exprimés !– à la 2e présidentielle «libre, indépendante et transparente» de notre maudite révolution du 14 janvier 2011, qui a marqué le début de la descente en enfer de notre pays. Cette screenshot en dit très long, aussi, sur ce qu’est véritablement le coup de force opéré le 25 juillet dernier par le président Kaïs Saïed et poussé encore plus loin jusqu’à son extrême extrémité, le 22 septembre qui a suivi.
Rappelons ce secret de polichinelle de l’histoire politique de notre Tunisie malmenée : le 13 octobre 2019, même le plus tocard des candidats aurait pu battre à plate couture Nabil Karoui –qu’il ne nous en veuille, aujourd’hui qu’il est en fuite hors du pays. Rappelons, également, ce fait indéniable : Kaïs Saïed, l’homme intègre et honnête auquel on a «donné le bon Dieu sans confession», a raflé la mise le 25 juillet 2021 en empochant, au nez et à la barbe d’Ennahdha,, les pouvoirs exécutif et législatif. Trop peu pour lui !
Pour un coup de maître, avouons-le, ç’en était un magistral. Il ne restait plus que le judiciaire. Nous savions tous que cela n’allait pas tarder. Il suffisait d’attendre quelque peu pour que Kaïs Saïed réalise son strike. A présent, c’est chose faite, le locataire du Palais de Carthage a renversé toutes les quilles et il est en droit de contempler la première belle œuvre de son grandiose projet, sa démocratie participative, avec, au final, un seul participant : lui encore et toujours !
En pourcentages, les 534.572 participants à la consultation représentent 19,24% des 2.777.931 électeurs tunisiens qui ont glissé dans les urnes des bulletins Kaïs Saïed, mais seulement 7,3% du corps électoral enregistré en 2019. Les prestidigitateurs de Sigma Conseil et d’Emrhod Consulting –eux qui nous rebattent les oreilles avec la satisfaction de leurs sondés du rendement de Kaïs Saïed– devront revoir leurs copies. Comment les Nabil Belaâm et Hassen Zargouni peuvent-ils nous expliquer le fossé béant entre des soutiens populaires au Chevalier d’El-Mnihla qui atteignent les 87, 88, 89 et parfois 90%, et le camouflet –les moins de 7,3 %– de la consultation tant voulue et défendue par M. Saïed et son «peuple [qui] veut» ?
Le plébiscite ardemment souhaité par le chef de l’Etat et les béni-oui-oui qui l’entourent n’a pas eu lieu. Et leur fumeuse démocratie participative tombe en panne au démarrage. Comment faire, donc, pour la suite de la feuille de route, à savoir le référendum du 25 juillet et les élections législatives du 17 décembre 2022 ?
Un locataire est un locataire
Nous connaissons tous –je présume– cette réplique de la fourmi à la cigale, dans une des plus célèbres fables de Jean de La Fontaine (pardonnez-moi ma culture de «colonisé») : « —Vous chantiez ? j’en suis fort aise/Eh bien, dansez maintenant !».
Nous n’avons vraiment rien contre la personne M. Saïed. C’est notre président de la république. Nous lui devons tous les égards que mérite la fonction d’un chef de l’Etat. Là-dessus, il n’y a pas l’ombre d’un doute. Pendant un mandat de cinq années, il a la valeur de notre hymne et drapeau nationaux… Y a-t-il autre chose à ajouter ?
Oui, il y a quelque chose d’important à rappeler : Kaïs Saïed est locataire du Palais de Carthage –et non pas le propriétaire– et, un jour, après cinq ou dix ans de service au maximum (à moins que…), il NOUS remettra les clés du château et l’Histoire –qu’il appelle très souvent à témoigner– appréciera ce qu’il a laissé comme héritage.
Pour notre part, nous sommes journalistes, c’est-à-dire des observateurs du quotidien de notre pays et nos compatriotes. Nous faisons, du mieux que nous pouvons, notre travail de lanceurs d’alerte, pour montrer ce que l’on sait. C’est cela notre rôle démocratique, notre contribution à la réflexion et au débat dans notre pays. Tout cela, au service du droit de savoir de nos concitoyennes et nos concitoyens.
Bien évidemment, cette définition du rôle du Quatrième pouvoir n’est pas faite pour plaire les personnes installées, celles qui détestent les «scribouillards» remettant en cause leurs pouvoirs, leurs privilèges et parfois leurs mensonges et leur corruption.
Que l’auteur ou les auteurs de la Consultation se ressaisissent, qu’ils fassent amende honorable, rectifient le tir tant qu’il est encore temps. Il est déjà trop tard et d’innombrables dossiers attendent d’être traités. Huit mois sont passés depuis le 25 juillet 2021 et le «peuple [qui] veut», comme la cigale de la fable de La Fontaine, continue de chanter les louanges de son providentiel Chevalier d’El-Mnihla, alors que le bateau Tunisie prend l’eau de toutes parts et qu’il va bientôt sombrer, par la faute de l’insouciance, de l’incompétence et sans doute, aussi, du narcissisme de nos dirigeants. Et de l’étourdissement d’un peuple qui ne s’est pas montré plus avisé que ses dirigeants.
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