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Tunisie : De quoi Rached Ghannouchi est-il le nom ?

Rached Ghannouchi croit pouvoir se refaire une virginité politique en se transformant en opposant au pouvoir actuel.

Le leader islamiste Rached Ghannouchi croit-il vraiment que l’histoire se rappellera de lui un jour? N’a-t-il pas conscience qu’il est la personnalité politique la plus décriée voire la plus détestée en Tunisie? Est-il capable aujourd’hui de faire deux pas dans la rue sans être insulté par le premier quidam? La jeunesse sur laquelle il a tant misé l’exècre et lui fait porter toute la responsabilité de son désarroi, dans un pays que son parti, au pouvoir au cours des dix dernières années, a accablé de dettes et réduit à la mendicité pour survivre.

Par Adel Zouaoui *

La récente promesse de Rached Ghannouchi de convoquer une seconde réunion virtuelle du bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), dont il est le président, en guise de pied de nez à la Présidence de la République, est une gesticulation de trop.

La promesse d’une seconde réunion après l’échec de la première ayant eu lieu le 30 mars 2022 et tout le chahut politique qu’elle a provoqué, prouvent, à n’en point douter, l’indigence mentale et intellectuelle d’un homme qui ne sait plus à quel saint se vouer. Elle témoigne aussi de l’entêtement et de l’obstination de ce géronte pour qui sa propre revanche compte plus que l’intérêt général de tout un pays.

Après une série d’échecs cuisants à diriger son propre parti, Ennahdha, et à présider l’ARP, l’on se pose la question suivante : pourquoi Rached Ghannouchi s’accroche-t-il au pouvoir comme une arapède ?

Avant même de tenter de comprendre ce qui se trame dans la tête de cet homme, jetons d’abord un regard, ne serait-ce que furtif, sur les actions qu’il avait accomplies depuis la prétendue révolution du 14 janvier 2011.

Un bilan catastrophique

Des tentatives vaines et éhontées de vassaliser la Tunisie à des puissances étrangères: tout au long de ces dix dernières longues années, Ghannouchi et ses séides se sont obstinés à vendre la Tunisie à leurs commanditaires du Moyen-Orient, leurs bailleurs de fonds, en l’occurrence le Qatar et la Turquie, lesquels leur ont permis de se maintenir la tête hors de l’eau grâce aux centaines de millions de dollars qu’on leur envoyait.

Rappelez-vous le passage calamiteux des deux de leurs ministres, Zied Laadhari et Rafik Abdessalem, respectivement ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale et ministre des Affaires étrangères. Tous les deux se sont échinés à réorienter nos échanges commerciaux au profit de la Turquie, quitte à sacrifier toute notre économie nationale. Pour preuve, les échanges avec le pays d’Erdogan sont devenus à un certain moment complètement déséquilibrés et asymétriques.

Outre le soutien financier et politique que Ghannouchi pouvait tirer pour son parti, ce dévouement à ces pays part d’une conviction bien ancrée chez lui, celle d’aligner la Tunisie sur l’axe Turquie-Qatar, lequel constituerait pour lui et ses comparses un début dans la construction du Grand Califat, cher à Hamadi Jebali, ancien chef de gouvernement issu du parti islamiste.

De l’incrédulité à réislamiser la Tunisie : un autre coche raté par Ghannouchi est celui de vouloir réislamiser une nation convertie à l’islam depuis quatorze siècles. Ridicule. Et pour cause, notre Ghannouchi national a toujours pensé que la Tunisie s’est progressivement éloignée des vraies valeurs de l’islam à cause d’une politique laïque appliquée, au forceps, par feu Habib Bourguiba, père-fondateur de la Tunisie moderne.

D’ailleurs, pour Ghannouchi, la société tunisienne est clivée entre laïcs et islamistes. Sa mission à lui, une fois au pouvoir, est de la fédérer, la remodeler de fond en comble et la réorienter vers le chemin du salut, le sien.

Sauf qu’il oublie que la Tunisie pratique, depuis des siècles, un islam pétri et forgé par des illustres érudits tels que Mohamed Tahar et Fadhel Ben Achour, pour ne citer que ceux-là. Lesquels prônent un islam modéré et ouvert. Un islam qui appelle à l’ouverture, à l’acceptation et à l’amour du prochain quel qu’il soit et non à la haine, à la vengeance et au sang.

Un débat infructueux autour d’une identité fantasmée : à propos de notre identité, Ghannouchi s’est leurré encore une fois. Lui et ses comparses se sont empêtrés, dix ans durant, dans un débat infructueux autour de la question identitaire. Pour lui, notre identité, la vraie, l’authentique, nous a été usurpée, d’où la nécessité et l’urgence de la restaurer.

Mais au fait ce qui se cache derrière son galimatias insensé autour de ce sujet est un funeste dessein, celui de nous enchâsser dans un carcan identitaire rigide et moyenâgeux. Un carcan venu d’un ailleurs lointain et désertique, celui des chameliers d’un temps antédiluvien.

Souvent, ce que les Frères musulmans oublient ou feignent d’oublier c’est que notre identité tunisienne a éclos au sein d’un creuset où trente-trois civilisations se sont succédé. Elle est véritablement le fruit d’un brassage de cultures riches, multiples et variées.

La femme n’est ni l’avenir ni l’égale de l’homme : pour Ghannouchi, la femme n’est pas l’égale de l’homme, elle est plutôt son complément. Cette idée devenue projet, les Fréristes l’ont défendue mordicus. Ils voulaient l’inscrire dans la sinistrement célèbre constitution de 2014, dont la première mouture, si elle avait été adoptée, aurait sapé tous les acquis pour lesquelles les femmes tunisiennes se sont ardemment battues.

Encore une fois c’était sans compter avec le courage de nos lionnes de l’Atlas qui se sont levées comme un seul homme, «une seule femme», pour défendre leurs droits et acquis et mettre à sac le projet macabre du parti Ennahdha.

Le combat pour la démocratie, un écran de fumée : depuis la date du 25 juillet 2021, Ghannouchi se force d’apparaître comme le héraut de la démocratie et des libertés, alors qu’en réalité il s’en soucie comme une guigne. Et pour cause, voilà plus de cinquante longues années qu’il est à la tête de sa formation politique tant et si bien qu’il a fait le vide autour de lui. Même les plus obséquieux parmi ses thuriféraires l’ont déserté. Ghannouchi est-il un démocrate sans conviction ? D’ailleurs, la démocratie pour lui est synonyme de népotisme, favoritisme et passe-droit. Au sein de son propre parti, qui a tout d’une secte, la parole est bâillonnée. Il est le seul maître à bord, et c’est à lui seul que la dernière décision revient. Quant à le Conseil de la Choura, elle n’est en fait qu’un écran de fumée. Conséquence : son parti est devenu en fin de parcours l’ombre de lui-même.

De l’incapacité à gouverner : le parlement dans toute son histoire n’a jamais été aussi mal gouverné qu’au moment où Ghannouchi en a pris la présidence. Ce dernier est responsable de la perversion qui en a fait une véritable foire d’empoigne. Et pour cause, son manque de charisme et d’impartialité.

Même au sein de sa formation politique, Ghannouchi a connu la même débâcle. Sa politique des deux poids et deux mesures a lésé plus qu’un. Seuls ses gendres, neveux, proches et à défaut ses hommes liges ont pu bénéficier de ses prébendes.

De quel bois donc cet homme est-il fait ? 

Qu’a apporté Ghannouchi à la Tunisie depuis la période de sa clandestinité jusqu’à son accession arrangée au poste du président du parlement ? Que destruction, désespoir et discorde. Son parcours politique a confiné à l’absurde, au ridicule et à une gesticulation insensée et fantasmagorique. Il s’était escrimé vainement à imposer à toute une nation un modèle social qui ne lui sied pas et qu’elle a rejeté en bloc.

La Tunisie n’a jamais cumulé autant d’ancres qui l’ont empêchée d’exploiter son immense potentiel qu’au moment où elle était sous la coupe des islamistes. En-est-il conscient? Certainement pas. A le voir lever la main en signe de victoire le jour de son interrogatoire, le 1er avril 2022, on tombe des nues. Une preuve en plus que cet homme en déconnexion totale avec son temps n’arrive pas à se dépêtrer de ses certitudes aveugles.

Croit-il candidement que l’histoire se rappellera de lui un jour ? N’a-t-il pas conscience qu’il est, selon les sondages d’opinion, la personnalité politique la plus haïe de toute la Tunisie? Pis encore. Est-il capable aujourd’hui de faire deux pas en dehors de chez lui sans qu’il ne soit insulté par n’importe quel quidam? La jeunesse sur laquelle il a tant misé l’exècre. Elle lui fait porter toute la responsabilité de son désarroi.

Son expulsion, le soir du 8 avril 2022, d’une mosquée de Mellassine, et deux jours plus tard, d’une autre mosquée à Ben Arous atteste de cette haine envers cet homme devenue presque viscérale.

C’est aussi à se demander si le chef de file des islamistes trouve tout son plaisir à être insulté, humilié et vexé.

Pour ne pas conclure

Les combats de Ghannouchi n’ont été que des coups d’épée dans l’eau. Il n’a fait que se battre contre le vent. La Tunisie, dépositaire d’une civilisation trois fois millénaire, ne s’est pas laissé corrompre. Elle est plus forte que ses idées moyenâgeuses. Et plus forte encore pour avoir été défendue par les descendantes de la Reine Didon, de la Kahena, de Aziza Othmana et les filles de Bourguiba. Farouches et irrésistibles, ces gardiennes du temple ont défendu bec et ongle nos libertés, nos valeurs d’ouverture sur les altérités, de tolérance et d’acceptation et de laïcité.

* Ancien haut fonctionnaire.

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