Nul ne doute que Abir Moussi soit appelée un jour à gouverner la Tunisie. Pour ce faire, elle doit éviter certaines erreurs dans son combat contre l’islam politique. Elle doit aussi savoir que le courage et la force de conviction seuls ne suffisent pas. Et apprendre à faire preuve de clairvoyance, de doigté, et surtout de patience.
Par Dr Mounir Hanablia *
Après le sit-in de protestation organisé en 2020 et dispersé d’une manière musclée par la police sous les quolibets des islamistes, Mme Moussi la présidente du Parti destourien libre (PDL) comparaît devant la justice pour une plainte déposée contre elle du temps du gouvernement Mechichi, par l’Union mondiale des oulémas musulmans, qui l’accuse de violation de ses locaux et de déprédations contre ses équipements, une accusation selon elle dénuée de tout fondement. Elle devra aussi répondre de la constitution d’une entente criminelle, dans un but de violence et d’atteinte à la propriété d’autrui.
Représailles politiques par le biais de la justice
L’instruction de la plainte par la justice ne signifie pour autant pas condamnation. Et de nombreux députés faisant l’objet de procédures judiciaires pour avoir organisé la fameuse session du parlement, nul ne prétendra qu’elle bénéficie d’un traitement de faveur. Mais la présidente du PDL a accusé le président de la république Kais Saied d’exercer des représailles politiques par le biais de la justice, après ses récentes critiques relativement à une enfant voilée, primée lors d’une cérémonie officielle au palais de Carthage.
L’Union mondiale des oulémas musulmans, accusée d’être liée au terrorisme, a été interdite depuis 2015 en Egypte, en Arabie Saoudite, et aux Emirats Arabes Unis, et il y a donc une nécessité certaine à en réclamer l’expulsion, mais en Tunisie, depuis l’arrivée du parti Ennahdha au pouvoir, en 2012, sa section est reconnue et ses activités sont légales, et après le gel du parlement et l’éviction de Mechichi, rien n’a jusqu’à présent été fait par les autorités pour en remettre en question la présence ou le statut. Et les voies du président Saied étant impénétrables, les appels en ce sens du PDL n’ayant pas reçu de réponses positives, d’aucuns suspectent le chef de l’Etat de collusion avec le parti Ennahdha.
En réalité, dans sa volonté de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains, Kais Saïed semble désireux de se réapproprier, en tant que chef d’un Etat musulman, le capital symbolique et juridique lié aux manifestations publiques du culte et de la foi, et d’en priver ses opposants, islamistes bien sûr, qui s’apprêtent à constituer un contre-gouvernement, mais aussi modernistes.
Son refus d’interdire l’Union des oulémas musulmans est logique s’il s’inscrit dans cette perspective autoritaire où seul l’Etat décide en matière de culte, même, ou surtout, quand il s’agit de terrorisme. Ceci dit, nul ne peut contester la légitimité du combat mené par Mme Moussi contre l’Union du Cheikh Qaradawi, ni son courage.
Il est en effet inopportun d’ouvrir le pays à des prédicateurs et des associations étrangers, qui abstraction faite de la vision rigoriste et rétrograde de l’islam qu’ils enseignent, sont soupçonnés d’être impliqués dans l’envoi à l’étranger de plusieurs centaines de jeunes combattre dans les rangs de Daech.
Les deux erreurs conséquentes de la présidente du PDL
Malheureusement dans le contexte mouvant que connaît la Tunisie, la présidente du PDL semble avoir commis deux erreurs conséquentes. La première est de confondre des manifestations publiques du culte musulman considérées comme normales par la majorité de la population, avec la propagation de l’idéologie terroriste, s’aliénant ainsi au moins une partie de l’opinion publique qui demeure viscéralement attachée à ses racines. La seconde est de choisir de lancer ses critiques contre le président de la république au moment précis où ce dernier apparaît comme le dernier garant de l’unité de l’Etat et fait face au projet sécessionniste de Ahmed Nejib Chebbi avec le soutien du parti Ennahdha. Ce faisant, elle fragilise politiquement son parti, prête inutilement le flanc à des attaques et retarde d’autant son accession aux plus hautes marches de l’Etat.
Nul ne doute que Mme Moussi soit appelée un jour à gouverner le pays. Pour ce faire, le courage et la force de conviction seuls ne suffisent pas, il faut aussi apprendre à faire preuve de clairvoyance, de doigté, et surtout de patience.
* Médecin de pratique libre.
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