Les faits relatifs aux services secrets sont toujours difficiles à rapporter, c’est l’évidence; sans le nécessaire secret, un service spécial ne remplit plus sa mission et met en danger les intérêts du pays qui l’emploie. Les services israéliens en ce sens sont différents, non pas forcément parce qu’ils sont plus efficaces, mais parce qu’ils se vantent de l’être plus que les autres, ce qui les situe dans le domaine de la propagande, et qu’ils fournissent des informations pour le corroborer, qui à priori pourraient les mettre en danger pour peu qu’elles fussent exactes.
Par Dr Mounir Hanablia *
Il faudrait donc admettre que dans tout ce que rapportent les Israéliens, le bon grain se mêle à l’ivraie, et cela laisse perplexe le lecteur confronté aux multiples ouvrages en vantant les exploits, obligé d’essayer de démêler le vrai du faux, comme par exemple cette prétendue collaboration de Ashraf Marwan, le gendre du président Nasser mort défenestré de son appartement londonien, avec les services spéciaux israéliens, et qui n’a somme toute servi à rien puisque l’armée israélienne a été prise de cours par le franchissement égyptien du Canal de Suez le jour du Yom Kippour en 1973.
Détourner l’attention d’un véritable agent
La propagande sioniste insinue toujours qu’il existe des traîtres dans les états majors et aux plus hauts échelons des Etats arabes, mais on ne voit pas pourquoi le gendre de Nasser, pour peu qu’il eut un intérêt personnel à trahir, aurait eu accès à des informations militaires confidentielles au temps de Sadate, qui avait écarté du pouvoir et sans ménagement les plus proches collaborateurs de son prédécesseur.
Or selon Hassanein Heykal, Ashraf Marwan a toujours nié avoir trahi et a même laissé entendre sans le nommer que c’était plutôt du côté de Hosni Moubarak qu’il aurait fallu chercher, cela expliquerait les «révélations» israéliennes, dont on ne comprendrait pas les raisons autrement que par un souci de détourner l’attention d’un véritable agent pour peu qu’il existât vraiment.
Cependant cet ouvrage de Ronen Bergman est tout de même particulier parce que l’idée qui en transparaît est que l’explosion actuelle des moyens informatiques et technologiques à l’échelle du monde permet désormais un recueil permanent d’informations de toutes natures nettement plus important que celui en provenance des sources humaines limitées, faillibles et vulnérables, et plus encore, en permet le cas échéant le traitement et l’exploitation en temps réel. Ainsi en a-t-il été de l’exécution du chef du Hezbollah libanais Hussein Moussaoui après un repérage par un drone et un tir de missile guidé par laser sur sa voiture, dans un village du Sud Liban.
Quoiqu’il en soit, deux ennemis sont clairement identifiés dans ce livre, les Palestiniens qui utilisent eux mêmes des moyens de plus en plus sophistiqués pour frapper, et les Iraniens, dont les ambitions nucléaires sont jugées menaçantes pour la sécurité de l’État juif.
Tueurs par nécessité ou par vocation
Cependant, l’auteur dévoile les parties en conflit au sein de l’administration israélienne et prend bien soin d’opposer ceux qu’il qualifie d’ambitieux dont le chef de file serait Benjamin Netanyahu, capable de mener son pays dans des aventures militaires extérieures sans objet, aux disciples d’Ariel Sharon, le responsable de Sabra et Chatila, dépeint d’une manière surprenante sous les traits d’un homme qui n’ordonne pas de tuer sans de sérieuses raisons de le faire.
Ainsi, au sein de l’appareil d’Etat israélien, il n’y a pas de pacifistes, il n’y a que ceux qui tuent par nécessité pour ce qu’ils considèrent comme relevant de la sécurité de leur peuple, face à ceux qui le font pour réaliser des ambitions personnelles. Faire la distinction entre les uns et les autres n’est pas si évident.
On apprend presque incidemment que les exécutions extra judiciaires devenues possibles grâce aux drones ne peuvent avoir lieu qu’avec l’assentiment du Premier ministre après consultation de son conseiller juridique (!!!), et que quelques unes n’ont pu avoir lieu, les pilotes aux commandes des drones brusquement saisis de scrupules que leurs collègues pilotant les chasseurs bombardiers ne partagent presque jamais, ayant estimé les risques encourus par les civils (palestiniens !!!) trop élevés.
La «pureté» des armes
Il y a ainsi toujours ce souci de faire apparaître l’armée comme respectueuse de la vie humaine (!!!), ce que l’on nomme la pureté des armes, qui transparaît dans ce genre de récits, remettant en question une part non négligeable de la crédibilité qui pourrait lui être conférée.
En effet, l’assassinat récent de sang froid de la journaliste palestinienne Sherin Abou Akleh démontre que la doctrine militaire israélienne ne change pas avec les années, et que le respect de la vie arabe n’y tient jamais que peu de place.
Ceci est évidemment corroboré par le titre du livre, un commandement tiré du Talmud qui fait obligation de tuer quiconque venant le faire, et qui ne s’adresse évidemment qu’aux juifs, mais en Israël, il n’a jusqu’à présent jamais été invoqué contre les Allemands. Le Talmud contredit ainsi le commandement biblique : «Tu ne tueras point !», mais on n’en est pas à un paradoxe près.
D’un point de vue moral ou juridique, il est déjà difficile de détecter celui dont l’intention homicide est clairement établie au point d’en justifier l’élimination préalable, mais la question de la réparation des torts qu’un juif aurait causés et qui mettrait fin à toute hostilité à son encontre ne se pose aux yeux de ce commandement du Talmud même pas. Appliqué à l’échelle des nations, ce commandement confère à l’Etat d’Israël ce que celui-ci nomme le droit de se protéger, en frappant ceux qu’il considère comme ses ennemis partout où ils se trouvent, et en menant contre eux des guerres préventives quelles qu’en soient les raisons, sans se soumettre aux nécessités de recourir à d’autres moyens tels que la diplomatie ou la négociation.
Les assassinats n’apportent pas la sécurité
Une telle doctrine qui ignore le droit international lui confère depuis sa création le caractère belliqueux qui est le sien et dont il ne s’est jamais départi. Il n’empêche! L’ancien chef du Mossad Meïr Dagan, un dur qui n’en est pas à un meurtre près, reconnaît qu’en dépit des moyens létaux désormais disponibles liés à la supérorité technoscientifique israélienne et américaine, les assassinats ciblés ne résoudront pas le conflit et n’apporteront pas la sécurité requise, que seul un accord politique serait à même de garantir.
* Médecin de libre pratique.
«Rise and Kill First: The Secret History of Israel’s Targeted Assassinations» (Levez-vous et tuez : l’histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël), Ronen Bergman, éd. Hodder & Stoughton, 2018.
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