La toute récente interview du professeur spécialiste en droit constitutionnel Yadh Ben Achour relativement à la crise institutionnelle que traverse la Tunisie ne laisse pas indifférent, de par l’importance académique du personnage, bien sûr, mais aussi le rôle qu’il a joué dans le processus – politique – qui a conduit aux élections de l’Assemblée Constituante, dominée par le parti Ennahdha.
Par Dr Mounir Hanablia *
Nul ne contestera à M. Ben Achour la liberté de ses opinions, pour penser que le président élu par plus de 72% de ses compatriotes n’a pas l’étoffe nécessaire à la réussite de sa mission, cela met à mal l’accusation de «dictature» lancée par tous ses opposants, mais aussi par la même occasion toute éventuelle profession de foi dans la démocratie.
Par contre, affirmer ainsi qu’il le fait que c’est le parti Ennahdha, selon lui porté au pouvoir par le peuple, qui l’a fait élire, relève plus de la flèche du Parthe, ce trait ironique, mais en réalité c’est suggérer contre les règles les plus élémentaires de l’arithmétique que sans les 13% de voix de Abdelfattah Mourou, et les 7% de Seifeddine Makhlouf, le président Saïed n’aurait pas obtenu la majorité requise.
Si M. Ben Achour a rejeté sur le peuple tunisien la responsabilité de l’accès au pouvoir de Rached Ghannouchi, la raison en est précisément son refus de la voir assumer par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror) qu’il a présidée, jusqu’aux élections de la Constituante.
Un convaincu de la conversion des Frères Musulmans à la démocratie
Déjà en 2008, bien avant ce qu’on a appelé «Révolution du Jasmin», Yadh Ben Achour avait estimé dans son ouvrage intitulé «Aux fondements de l’orthodoxie sunnite», que les Frères musulmans, d’une manière générale, évoluaient vers l’exigence de la démocratie, dont ils devenaient les défenseurs résolus, et parmi ses lecteurs, peu avaient sans aucun doute été surpris lorsque trois années plus tard, il s’était vu confier par Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre intérimaire, la mission de poser les premiers jalons du processus démocratique.
C’est donc à un convaincu de la conversion des Frères Musulmans aux vertus de la démocratie qu’allait échoir la responsabilité de mener les discussions nécessaires menant aux élections de la Constituante, remportées par le parti Ennahdha. Mais attribuer ce choix au peuple tunisien est tout de même exagéré, la moitié des citoyens jouissant du droit de vote ne se sont pas faits inscrire, la moitié des inscrits n’ont pas voté, et moins de la moitié des votants ont choisi le parti Ennahdha; cela ne représente que moins de 10% de l’électorat, et même en admettant que ce fût 20%, ce serait peu pour prétendre représenter la volonté réelle du pays.
Le parti islamiste, souvenons-nous, a accédé au pouvoir grâce à une alliance avec les partis de centre-gauche Congrès pour la République et Ettakatol, laquelle alliance a été rendue possible voire inévitable par la loi électorale concoctée par M. Ben Achour.
La crédibilité de l’expert et le parti-pris du propagandiste zélé
Naturellement la Constitution issue de la Constituante a fait la part belle à un courant politique minoritaire pour durant onze années, imposer sa volonté à l’ensemble d’un pays, en bloquant toute possibilité de remise en cause constitutionnelle de son pouvoir, et au prix d’une régression économique, sociale et morale sans précédent.
Le président Béji Caïd Essebsi s’était tout de même excusé auprès du peuple tunisien pour avoir permis à un parti politique, dont les professions de foi démocratiques s’étaient avérées si peu crédibles, d’accéder ainsi au pouvoir. Il savait de quoi il parlait : le RCD étant dissous, il avait consigné la police et la garde nationale dans leurs casernes, et avait abandonné la surveillance et la gestion des mosquées, permis la projection d’un film provocateur «Ni Dieu ni Maître» au cinéma Afrik Art, et d’un dessin animé équivoque, «Persépolis», sur la chaîne de télévision Nessma de Nabil Karoui (déjà), afin de permettre l’endoctrinement, la mobilisation, l’agrégation, et la prise en main de l’électorat, nécessaires pour obtenir le résultat électoral escompté au terme du processus politico-juridique qu’il avait chargé la Hiror de conduire et de conclure.
Le président de cette instance, M. Ben Achour, refuse aujourd’hui de reconnaître ses responsabilités, et contre l’état de nécessité, continue d’apporter son soutien aux mêmes forces politiques équivoques, au nom d’un principe abstrait de la légalité constitutionnelle. Ce faisant, il abandonne la crédibilité de l’expert en droit constitutionnel, pour endosser le parti pris du propagandiste zélé. Comme c’est regrettable !
* Médecin de pratique libre.
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