Tunisie : Kaïs Saïed continue à tripatouiller le projet de Constitution

Quelques modifications, précisions et corrections ont été apportées à la version révisée du projet de la Constitution publiée dans le Jort dans la soirée du vendredi 8 juillet 2022, comme annoncé quelques heures plus tôt par le président de la république Kaïs Saïed, lors de ses vœux aux Tunisien(ne)s à l’occasion de l’Aid Al-Idha, qui tentait de justifier, très maladroitement du reste, les ratés de son cabinet. Le texte de la constitution est ainsi tripatouillé, quelques jours après sa publication dans le Journal officiel (30 juin), par celui-là même qui est censée en garantir le respect, et transformé en un brouillon (un «torchon» dirait l’autre) que l’on corrige et recorrige à sa guise.

Par Imed Bahri (avec Y. N.)

Outre des corrections au niveau de la forme (des dizaines de fautes d’orthographe et/ou de style relevés par les médias), apportées à la nouvelle version du projet de la constitution, on note qu’une précision a été ajoutée au très controversé article 5 : «L’appartenance de la Tunisie à la oumma musulmane et le devoir de l’Etat de garantir le respect des préceptes de l’islam en matières de respect de la vie humaine, de la dignité, des biens, de la religion et de la liberté» sont désormais conditionnés par «l’obligation de respect d’un régime démocratique». Ce terme est d’ailleurs repris dans de nombreux autres articles pour, espère-t-on, lever toute ambiguïté sur la nature du régime islamiste et autocratique que M. Saïed s’emploie clairement à mettre en place en Tunisie.

Mais ces précautions disent plus la gêne du chef de l’Etat face aux critiques légitimes soulevées par sa piteuse première copie qu’un souci sincère de clarification. Et pour cause: la nouvelle version ne donne pas moins l’impression d’un véritable charabia : le texte de la Constitution devenant un brouillon que l’on corrige et recorrige à sa guise.

Hier, dans ce même journal, on parlait d’«amateurisme d’Etat». Quelques heures plus tard, M. Saïed a confirmé notre triste impression.

Autre précaution tout aussi piteuse, et qui ne rassure personne : la suppression de la référence aux «bonnes mœurs» qui, dans la première version, conditionnaient le respect des droits et des libertés. Venant d’un hyper-conservateur, ou d’un islamiste avançant masqué, cette référence avait choqué plus d’un. Sa suppression est une simple manœuvre électoraliste qui ne convainc personne.

Les femmes ne seront pas (totalement) oubliées

On a aussi cherché à atténuer le machisme de la première version, perçue comme une offense aux Tunisiennes, qui plus est 76 ans après la publication, par Habib Bourguiba, du Code du statut personnel (CSP), qui a émancipé les femmes et leur a donné leurs droits élémentaires. C’est ainsi qu’en ce qui concerne la candidature à la présidence, on a cru devoir préciser qu’elle est «un droit pour tout citoyen et citoyenne».

Plus loin, parlant des électeurs, les auteurs du texte se sont enfin rappelés qu’il y a aussi dans notre société des «électrices» et des «citoyennes», termes évacués de la première version. L’inconscient ici a été très bavard, dirait Freud, qui parlerait volontiers d’«acte manqué» (cherchez la définition dans le net !).

Dans le même esprit de piètre et piteux rattrapage, on a cru devoir ajouter à cette nouvelle version que l’Etat doit œuvrer à faire respecter le principe de parité dans les élections des Assemblées.

Les citoyennes n’ont donc plus aucune raison pour voter contre la Constitution de M. Saïed qui, dans son auguste bienveillance, pense enfin à elles. Enfin, il pense plutôt à leurs bulletins de vote, ne constituent-elles pas la moitié de l’électorat ?

Sur un autre plan, dans la nouvelle version, il est stipulé que le droit d’accès à la justice et le droit à la défense sont garantis et que la loi doit faciliter l’accès à ces droits et doit apporter l’aide nécessaire aux citoyens dans le besoin pour qu’ils puissent en bénéficier.

D’autre part, le volet relatif à l’Assemblée des représentant du peuple stipule, dans la nouvelle version, que les agressions et violences commises par des députés «en dehors du parlement» permettent la levée de leur immunité parlementaire. Précision utile et bonne nouvelle s’il en est pour les députés qui adorent s’étriper sous la coupole! Ils ont au moins cette «prérogative», puisqu’on leur a enlevé toutes les autres dont ils bénéficiaient dans la constitution de 2014 et même dans celle de 1959.

Une sorte de hors-la-loi constitutionnel

Pour ce qu’il est du candidat ou de la candidate à la présidentielle, des parrainages par un nombre d’élu(e)s ou d’électeurs(rices) sont exigés, conformément au Code électoral (le nouveau, dont on attend la publication), une manière comme une autre pour verrouiller l’accès à la magistrature suprême. Et le président de la république ne peut, une fois en poste, cumuler avec ses responsabilités à la tête de l’Etat une quelconque responsabilité partisane. Il ne peut pas non plus exercer plus de deux mandats, consécutifs ou non.

On est moyennement rassuré: Kaïs Saïed pourra certes se représenter pour un second mandat en 2024, mais qui nous garantit, en voyant la manière désinvolte et cavalière avec laquelle il tripatouille le texte de la Constitution, il ne fera pas sauter, entre-temps, ce verrou trop contrariant pour les ambitions du «sauveur de l’humanité» ?

Quant aux modifications grandement attendues dans la nouvelle version, relatives aux prérogatives du président de la république, ainsi qu’aux moyens de contrôle qui doit être exercé sur sa fonction, et qui permettrait d’éviter le pouvoir unique et individuel, elles sont totalement absentes. Les pouvoirs législatif et judiciaire resteront de simples «fonctions» et les députés et les juges, de simples fonctionnaires au service de l’Etat. Lequel est incarné uniquement par le président de la république, qui ne sera redevable devant aucune instance. Il sera, comme l’a voulu M. Saïed, une sorte de hors-la-loi constitutionnel, contrôlant tout mais responsable de rien!

Si ce n’est pas là un retour à la préhistoire de la république, cela lui ressemble beaucoup.

Notons, pour info, que ce projet de constitution sera soumis à un vote par référendum, prévu le 25 juillet prochain.

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