La révolution tunisienne s’est tout naturellement invitée au deuxième jour du Forum international des sciences humaines et sociales (Insaniyyat), mercredi 21 septembre 2022, à la Faculté des lettres, des arts et des humanités de La Manouba, et qui portait sur le thème générique de la crise dans tous ses aspects.
Parallèlement aux divers ateliers, des tables-rondes se sont déroulées dans différents espaces du Campus de La Manouba, dont l’une a porté sur le thème «Décloisonner les études sur le Maghreb en France, premiers enseignements d’un Livre Blanc».
Modéré par le professeur Imed Melliti, de l’Université de Tunis- Al-Manar, les intervenants, enseignants et chercheurs, parmi lesquels professeur Chokri Hmed (Université Paris-Dauphine, Gis-Momm), Alexis Ogor (de GIS-Momm), Dr. Antoine Perrier (du CNRS, Iremamm, Gis et Momm), ont ainsi développé les raisons de «décloisonner» justement les études et les recherches dans les sciences humaines sur le Maghreb, au vu des différentes positions et des approches des deux côtés de la Méditerranée à ce sujet.
C’est que chaque partie, avec ses «backgrounds» socio- politiques et académiques, élabore son approche avec une certaine «réticence» intellectuelle, car les uns et les autres ne posent pas les problèmes afférents aux sciences humaines touchant l’espace du Maghreb de la même manière, et avec les mêmes références.
L’autre volet qui se trouve à l’origine de ce «cloisonnement» préconçu, volontairement ou involontairement, est la question de la langue. Chaque référentiel culturel et linguistique se trouvant totalement distinct chez les uns et les autres des deux rives.
C’est pour ces raisons, et d’autres posant moins d’acuité, qu’il a été appelé à «débrider» les recherches et études concernant les sciences humaines dans ce Maghreb, en essayant de changer la manière de poser et de définir les problèmes exposés dans le domaine en question.
Autrement dit, essayer de rapprocher les idées analytiques et les références autour de ces sciences sociales, et ce, en raison des diverses indications préétablies.
Des échanges conséquents pourraient réduire ces «écarts» et ces réticences, par ce «Livre Blanc», quant à la manière de voir et de concevoir les sciences humaines dans cet espace maghrébin.
La révolution tunisienne dans l’histoire longue
Entamant le chapitre Congrès Insaniyyat de ce Forum, une intervention a été présentée dans l’après-midi de ce mercredi, à l’Amphithéâtre Carthage Al-Hadatha, au Campus de La Manouba, par le professeur Mahmoud Ben Romdhane, de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts (Beït Al-Hikma) autour du thème : «La révolution tunisienne dans l’histoire longue».
Abordant ce sujet, le professeur Ben Romdhane a tenu à préciser que la notion d’«histoire longue» touche une période qui peut s’étaler sur des siècles, comme c’est le cas de la «révolution tunisienne» qui remonte, selon lui à quelque 450 ans. Ce qui correspond à la conquête ottomane de la Tunisie.
C’est parce que la «révolution» n’est pas un événement fortuit mais elle est l’aboutissement d’une œuvre élaborée par plusieurs générations et suite à un ensemble d’accumulations de multiples situations sociopolitiques, économiques, matérielles et spirituelles.
Cette période étendue de la genèse de la révolution en Tunisie trouve ses origines dans cette longue mutation sociale passant du statut communautaire, tribal ou «groupal» à celui d’un citoyen «autonome» et libre. Passant donc du système social à l’individu. Et par conséquent, une liberté qui exige un long processus comme c’est le cas de la Tunisie, selon le conférencier, qui a pris les 450 ans.
Parce qu’il y avait une lutte continue entre le «parti indigène» local, celui des autochtones, qui se veut une «entité indépendante», et le «parti turc», étranger qui tenait et tient encore à s’imposer et considérant cette contrée tunisienne comme une «province», encouragé en cela par «La Sublime Porte»…
Cette lutte permanente entre les deux s’est poursuivie jusqu’à ces temps présents, post-indépendance, où le jeune pouvoir en place a choisi le camp de «l’Etat-Nation» face au projet de la «oumma» islamique.
Image de ces deux courants, comme donné en exemple par le professeur Ben Romdhane, les deux congrès tenus par les deux rivaux d’alors, celui à Sfax de Bourguiba, et celui à la Zitouna de Ben Youssef.
Plus tard, les événements en Tunisie se sont précipités entre les événements des années 80, les élections clairement falsifiées d’avril 1981, la récession économique de 1985, la montée des mouvements de protestation estudiantins et écoliers, les attaques des islamistes tunisiens contre des cibles touristiques, parallèlement aux événements en Algérie avec le Front islamique du salut (FIS) et l’effervescence politique et sociale vécue dans les années 90.
Une situation qui a favorisé la montée de Rached Ghannouchi et du parti islamiste Ennahdha jusqu’à la «révolution 17 décembre-14 janvier» qui a été un «choc majeur» entre le «parti turc» et le «parti tunisien» qui est une «entité à coloniser» après la consécration de son mouvement suite aux élections de 2011 et de 2014.
Là où il n’est plus question de «drapeau national», d’«hymne national», de fêtes nationales, ni même de «mausolées», mais plutôt de «voile», de «chariaâ», de «jihad» avec l’embrigadement des jeunes voués à cette triste mission et qui ont perdu leur «individualité»…
Tout cela a fait que la Tunisie a perdu au moins «30 ans de démocratie», avec le long règne de Bourguiba, suivi des années noires de Ben Ali.
Jauger la «révolution tunisienne» sur une si longue période, peut donner une idée claire sur l’aboutissement d’un tel processus, ses retombées et les changements vécus.
Car toute transition admet des «pertes» que nous constatons aujourd’hui avec une perte de vitesse à tous les niveaux, au niveau de la «modernité», de l’économie, de la famille même, et dont les causes sont essentiellement liées à l’économie et à l’instabilité politique. Et pour «rééquilibrer» tout cela, il faudra 4, 5 ou 6 ans pour retrouver son verticalité sociale, politique et économique entre autres.
Un président élu avec… 7000 voix
Pour l’«histoire courte» de la révolution tunisienne, le professeur Abdelwahed Mokni, de l’Université de Sfax, a axé son intervention sur les événements et les faits les plus importants qui ont marqué ces dernières années, avec un retour exhaustif sur la chronologie de ces événements.
En évoquant les «plaies de la révolution», il a mis l’accent sur la dégradation des concepts, les bilans négatifs de certaines dates comme l’élection d’un président avec seulement 7 000 voix, comme ce fut le cas de Moncef Marzouki en 2011…
Mais ces points «négatifs», la révolution tunisienne, dans sa courte histoire, a enregistré aussi des points positifs que seuls les historiens qui arrivent à s’intéresser à ce genre d’historicité pourront faire un «portrait» différent de ce qu’il en est, car la majorité des historiens ne s’intéressent qu’à «l’histoire longue»…
Communiqué.
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