Sans abonder dans le sens des pernicieuses allusions de Mohamed Abbou à la santé (psychique ?) de Kaïs Saïed, hier soir, dans le talk-show ‘‘Rendez-vous’’ sur la chaîne Ettassia, les observateurs constatent, tout de même, chez le président de la république un trait de caractère inquiétant, s’agissant d’un chef d’Etat : l’obstination dans la poursuite d’objectifs aussi vagues qu’irréels et incertains.
Par Ridha Kefi
En effet, à chaque fois qu’il reçoit l’un des membres du gouvernement, M. Saïed évoque avec lui les mêmes sujets sur lesquels le pays n’a pas avancé d’un iota depuis 2019, date de l’accession de Saïed au palais de Carthage, et pour cause : les sujets sont mal définis, les diagnostics imprécis et les objectifs vagues. Et comme on ne sait pas ce qu’en pensent exactement ces chers ministres, qui se contentent d’opiner de la tête, sans rien entreprendre par la suite pour satisfaire les lubies de leur boss, on se met à s’interroger sur la consistance et l’utilité des instructions présidentielles, jamais mises en œuvre, et même sur la valeur attribuée à la parole présidentielle qui devient comme un bruit de fond ronronnant, ennuyeux et énervant à la longue.
Biens confisqués et réconciliation pénale
En recevant vendredi 30 septembre 2022, au Palais de Carthage, les ministres de la Justice et des Finances, Leila Jaffel et Sihem Boughdiri Nemsia, le président Saïed leur a parlé encore une fois des biens confisqués et des affaires judiciaires pour corruption qui ont été renvoyées plus d’une fois et sont restées pendant des années dans les tiroirs des tribunaux sans être tranchées, comme l’indique un communiqué de la présidence de la république.
La préparation, dans les meilleurs délais, de projets de textes sur la réconciliation pénale était également à l’ordre du jour de la réunion, ajoute le communiqué, réconciliation pénale qui devrait, selon les vœux de M. Saïed, permettre aux Tunisiens de récupérer une partie des fonds pillés à l’Etat et de les utiliser pour créer des entreprises communautaires dans plusieurs régions de la république, a précisé la même source.
Lors d’une précédente rencontre avec le ministre de la Justice, le 16 septembre, Saïed avait déjà appelé à la nécessité d’accélérer l’application du décret-loi sur la réconciliation pénale pour restituer l’argent spolié aux Tunisiens, mais on n’a jamais entendu Mme Jaffel éclairer notre lanterne sur les éventuelles difficultés qu’elle rencontre pour la mise en œuvre du décret-loi et évoquer les moyens qu’elle compte mettre en place pour en triompher. Elle fait comme si ce dossier, auquel le président donne une grande importance, ne fait pas partie de son ordre du jour personnel. Quant à la réunion périodique avec le président, elle semble être devenue, pour elle comme pour les autres membres du gouvernement, un quart d’heure difficile qu’elle est obligée de passer pour gagner du temps et garder son poste.
S’enrichir sans faire d’effort
Le décret-loi sur la réconciliation pénale a été promulgué le 20 mars après un marathon de rencontres entre le président de la république et la cheffe du gouvernement, mais depuis, rien n’a été fait, à notre connaissance du moins, pour sa mise en œuvre.
Le texte comprend 50 articles relatifs à la réconciliation pénale pour les crimes financiers et économiques ayant entraîné un enrichissement illicite affectant les ressources de l’Etat, des collectivités locales, des structures publiques ou d’autres parties.
Sur le papier, l’idée à de quoi séduire. Elle vaut, en tout cas, au président de la république, la sympathie d’un grand nombre de Tunisiens qui rêvent de s’enrichir sans faire d’effort, en se voyant distribuer l’argent récupéré auprès des présumés hommes d’affaires corrompus qui auraient volé l’argent de l’Etat. Mais il reste l’essentiel : identifier ces justiciables, quantifier les sommes encore dues à l’Etat, mettre en route le processus juridique devant aboutir à la restitution de ces sommes, collecter ces sommes, mettre en place le dispositif administratif et financier pour les gérer de manière juste et efficace, en respectant dans toutes ces étapes les règles de gestion des biens de l’Etat et, bien entendu aussi, l’intérêt de la nation tout entière.
Où en est-on de ce long processus ? Mystère et boule de gomme ! Ce qui pousse à s’interroger sur le sérieux de toute l’affaire. Et si cette antienne n’était qu’une vue de l’esprit, un serpent de mer, un mensonge d’Etat, un leurre pour occuper l’opinion et la détourner de ses problèmes réels et concrets (inflation galopante, hausse du coût de la vie, baisse du pouvoir d’achat, pénuries tous azimuts…) ?
Autres questions : face à l’inaction du gouvernement et à son incapacité à mettre en œuvre les instructions du chef de l’Etat, sur ce sujet comme sur d’autres, que faut-il penser ? Que le président est en train de poursuivre un mirage et de faire miroiter aux citoyens d’illusoires promesses d’enrichissement rapide et facile ? Ou que le gouvernement est en train de saboter le président et de défendre les intérêts de quelques lobbys d’argent, comme ne cessent de nous rebattre les oreilles les partisans du président sur les réseaux sociaux ? Si c’est le cas, pourquoi le président ne limoge-t-il pas un gouvernement si indocile et qui poursuit des politiques diamétralement opposées aux siennes ?
Les voies du Seigneur sont insondables. Celles de M. Saïed le sont encore davantage.
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