Le lancement de la Tunisia Sahara Authority, sous la direction de l’armée nationale et dans le cadre du service national (2 ans), pourrait permettre de reproduire, à une plus grande échelle, le succès du projet de Rjim Maatoug qui, faut-il le rappeler, a été réalisé avec le concours de l’Italie.
Par Elyes Kasri *
Ceux qui par un aveu d’impuissance et d’oubli du caractère républicain de l’armée tunisienne l’appellent à prendre le pouvoir ignorent que notre armée nationale, véritable école de patriotisme et de professionnalisme, peut mieux faire pour aider le pays à sortir de sa crise qui est beaucoup plus due à une absence d’éthique patriotique et du travail qu’à autre chose.
L’individualisme et l’effritement du sentiment patriotique ainsi que le démon de la sédition nourri par une classe politique en déphasage avec l’histoire sont aux antipodes de ce qui fait de l’armée tunisienne une école de patriotisme et d’excellence.
C’est devenu une lapalissade de dire que la Tunisie s’enfonce inexorablement, sans vision ni stratégie d’avenir, dans la crise socio-économique en plus des tensions politiques internes pour de nombreuses causes endogènes et un nombre croissant de causes exogènes dues notamment aux retombées post-pandémie Covid-19 et des hostilités en Ukraine sur l’économie mondiale et celle de nos principaux partenaires européens.
Les solutions de replâtrage ne sont plus de mise
Cette crise multiforme semble exacerbée par la montée des courants et partis politiques d’extrême droite en Europe et dernièrement en Italie, un important voisin et partenaire de la Tunisie.
Il devient évident que les solutions de replâtrage appliquées depuis ce qui est romantiquement qualifié de «révolution de la liberté et de la dignité» ne sont plus de mise. Pour sortir de sa léthargie et de sa descente inexorable aux enfers, la Tunisie doit désormais voir grand et s’inspirer des modèles qui ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde.
A cet égard, la Tunisie gagnerait à s’inspirer de la Tennessee Valley Authority (TVA) lancée par le président Roosevelt dans le cadre du New Deal (1933) pour faire sortir les Etats-Unis d’Amérique de la grande dépression économique. La TVA est une entreprise américaine chargée de la navigation, du contrôle des crues, de la production d’électricité et du développement économique de la vallée du Tennessee.
Créée le 18 mai 1933, la TVA avait trois principaux objectifs : 1- produire de l’électricité et assurer la navigabilité du fleuve Tennessee de façon à attirer les industries; 2- restaurer l’équilibre écologique de la vallée du Tennessee en améliorant la productivité agricole; 3- dynamiser le marché de l’emploi dans une zone de grands chômage et pauvreté.
Le lancement de la Tunisia Sahara Authority
A cet égard, le lancement de la Tunisia Sahara Authority, sous la direction de l’armée nationale et dans le cadre du service national (2 ans), pourrait permettre de reproduire, à une plus grande échelle, le succès de Rjim Maatoug qui faut-il le rappeler a été réalisé avec le concours de l’Italie (cf. «Rjim Maatoug: Comment l’armée tunisienne a fait fleurir le désert», écrit par le Général de Brigade (r) Mohamed Meddeb – éditions Leaders).
Avec la zone aquifère du Sahara septentrional, parmi les plus grands réservoirs d’eau souterraine du monde, et le potentiel offert par l’énergie photovoltaïque, la Tunisie est en mesure de faire fleurir son désert en créant une ceinture verte et plusieurs dizaines de milliers d’emplois utiles pour une nouvelle génération de jeunes agriculteurs et techniciens dans diverses spécialités.
Outre ses avantages et retombées positives sur la sécurité, l’environnement et l’emploi en Tunisie, ce «méga Rjim Maatoug» serait un excellent laboratoire pour un nouveau modèle européen d’aide au développement et à la sédentarisation des populations des pays de l’Afrique Sahélienne, véritable poudrière et foyer de migration humanitaire qui risque de déstabiliser sérieusement l’Europe à l’instar d’un tsunami humain.
Ce genre de projet révolutionnerait le sud tunisien en favorisant la recherche agronomique, les énergies renouvelables et le génie civil en plus d’importantes perspectives d’encadrement et de formation civique et professionnelle au profit d’une jeunesse désœuvrée et dangereusement laissée à la merci des réseaux de la délinquance, de l’extrémisme et de la migration sauvage.
La Tunisia Sahara Authority pourrait être un laboratoire pour l’aide internationale au développement dans les pays du Sahel Africain et un centre de formation de compétences africaines dans le cadre de la coopération sud-sud.
Celui qui prétendrait que ce projet n’intéresserait pas les pays européens et du G7 gagnerait à mieux s’informer sur le débat en cours dans ces pays sur la relation entre l’aide au développement international, la dé-radicalisation, la mitigation des effets du réchauffement climatique et la lutte contre la migration sauvage.
Au lieu de voir en Giorgia Meloni et ses partenaires Silvio Berlusconi et Matteo Salvini des ennemis de la Tunisie, il faudra avoir l’audace de les considérer comme des partenaires potentiels intéressés par ce genre de partenariat gagnant-gagnant où la Tunisie pourrait apporter son savoir-faire et la compétence de ses jeunes pour contribuer au développement inclusif et durable de ses zones défavorisées et des populations de l’Afrique Sahélienne.
L’Italie est et restera pour toujours un voisin de la Tunisie. Il nous revient de faire de ce voisinage une relation mutuellement profitable et un véritable partenariat stratégique avec ce pays auquel nous lient la géographie, l’histoire et de nombreuses affinités culturelles et gastronomiques.
L’Allemagne, grand partenaire de la Tunisie et partisan crédible et fiable du développement durable, de l’économie verte et de la transition énergétique, sera certainement d’un grand apport si la Tunisie devait faire ce choix historique.
Encore une fois, la Tunisie est dans l’obligation de voir grand pour être au rendez vous de l’histoire.
Yes, we can do it.
Ancien ambassadeur.
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