De valeureux guerriers carthaginois, nos dirigeants nous ont transformés en mendiants. Bien sûr, la responsabilité première est celle de Nidaa, Ennahdha et tous ceux qui ont participé au pillage du pays depuis 2011. Mais la démocratie est-elle le problème ou ce sont plutôt les hommes qui l’ont dévoyée ?
Par Oilid Ben Yezza *
Socrate considérait le vote comme une compétence acquise par la connaissance, la sagesse, dans la gestion d’un pays. Il évoque l’exemple de la Nef des fous, qui est pilotée par le marin le plus fort, sauf qu’il est légèrement sourd. Chaque marin croit qu’il a le droit de diriger, bien qu’ils n’aient tous aucune formation et pensent que la navigation ne peut pas être enseignée. Alors ils droguent le capitaine, se révoltent contre lui et prennent le contrôle du navire, après quoi ils se mettent à boire et à manger et épuisent leurs provisions.
Erigeant le plus populaire d’entre eux au poste de capitaine, ils ne se demandent même pas s’il est qualifié pour le rôle, ou s’ils devraient choisir quelqu’un qui est attentif aux vents, aux étoiles et aux saisons. Ils ne comprennent pas «l’union de l’autorité avec l’art du bouvillon».
Cherche bon timonier désespérément
Socrate pense que le pilote véritablement compétent serait considéré comme un bon à rien dans ce système mal géré. De la même manière, il croit que la démocratie conduirait les gens à choisir des dirigeants populaires mais non qualifiés, tandis que les dirigeants qualifiés seraient marginalisés …
Quand un homme est malade, qu’il soit riche ou pauvre, il doit aller chez le médecin, et celui qui veut être bien gouverné doit opter pour celui qui en est réellement capable.
Le dirigeant ne peut pas être légitimé par l’opinion de la majorité (opinion souvent erronée et manipulée en raison de l’ignorance de la population en matière politique et de l’achat des votes), puisque personne n’acquiert la science politique par le simple fait d’être choisi par la majorité.
Un peuple dopé par la société de consommation et n’ayant même pas les moyens d’assouvir son envie d’accumulation ne peut être assez sage pour choisir un dirigeant. Ce peuple ne souhaite qu’être acheté, en dinars, en paniers de pâtes et en tablettes de chocolat.
Il est donc facile de conclure que Socrate a vu juste, que la démocratie sans croissance, sans pouvoir d’achat et sans sagesse collective atteint vite ses limites et cède la place l’anarchie, à l’oligarchie ou à la tyrannie.
Maintenant, lorsque l’on considère combien il est difficile de conserver un État nouvellement conquis, on peut s’étonner des choix de Kaïs Saïed, même s’il a été logique avec lui-même en s’entourant de personnes de confiance dans un environnement de corruption et de terrorisme.
La phase de stabilité sécuritaire actuelle est peut-être une réussite qu’il faut lui reconnaître mais le peuple souhaite plus, en retrouvant la base de la pyramide de Maslow, qu’il avait connue sous Ben Ali ou Bourguiba, à savoir un développement économique minimum qui permette aux citoyens de travailler dans leur pays. Et pour cela, il n’a pas besoin de proches incompétents mais de compétences introuvables dans le premier cercle.
Les incompétents à la manœuvre
Ce n’est pas une chose de peu d’importance pour un dirigeant que le choix de ses ministres, qui sont bons ou mauvais selon qu’il est plus ou moins sage lui-même. Aussi, quand on veut apprécier sa capacité, c’est d’abord à travers les personnes de son entourage que l’on en juge. Si celles-ci sont fidèles et habiles, on présume toujours qu’il est sage lui-même, puisqu’il a su discerner leur habileté et s’assurer de leur fidélité; mais on en pense tout autrement si ces personnes s’avèrent fidèles mais peu habiles sinon médiocres.
Machiavel distinguait «trois ordres d’esprit, savoir : ceux qui comprennent par eux-mêmes, ceux qui comprennent lorsque d’autres leur démontrent, et ceux enfin qui ne comprennent ni par eux-mêmes, ni par le secours d’autrui. Les premiers sont les esprits supérieurs, les seconds les bons esprits, les troisièmes les esprits nuls. Si Pandollo n’était pas du premier ordre, certainement il devait être au moins du second, et cela suffisait; car un prince qui est en état, sinon d’imaginer, du moins de juger de ce qu’un autre fait et dit de bien et de mal, sait discerner les opérations bonnes ou mauvaises de son ministre, favoriser les unes, réprimer les autres, ne laisser aucune espérance de pouvoir le tromper, et contenir ainsi le ministre lui-même dans son devoir… Quand le prince et le ministre sont tels que je le dis, ils peuvent se livrer l’un à l’autre avec confiance : s’ils ne le sont point, la fin sera également fâcheuse pour tous les deux.»
En Tunisie, je doute que les citoyens ont une affection particulière pour leurs ministres ou tous ceux qui passent à la TV. Les Tunisiens savent très bien que la majorité de ces show-men veulent la place du calife pour leur enrichissement personnel et en aucun cas être se mettre au service du peuple. Or, le bilan économique de Saïed après deux ans et demi de règne, c’est la faillite du pays et plus d’endettement pour la future génération.
Il y a des dizaines de solutions pour trouver les quelques milliards dont on a besoin sans faire appel au Fonds monétaire international (FMI). Si on ne sait pas s’y prendre soi-même, on fait appel à ceux qui savent
Le FMI punit la cigale que nous sommes
Les responsables en place veulent garder à tout prix leurs privilèges de ministres, salaires et avantages divers… mais ils oublient aussi que le peuple demandera un jour leur tête, lorsqu’il ne trouvera plus ni farine ni sucre ni essence.
Le FMI n’est pas là pour aider mais pour punir la cigale que nous sommes. Ses actionnaires européens et états-uniens vont bénéficier d’intérêts de 4% payés par les Tunisiens.
Les 1,9 milliard de dollars qui seront accordés ne seront pas destinés à l’investissement, à la création de richesses, à la délocalisation d’usines dans notre pays parce que nous serions plus proche d’une source de gaz (l’Algérie)… Non, l’argent du FMI va encore bénéficier aux importateurs de produits chinois, européens et autres, et aux Algériens, qui nous vendront leurs hydrocarbures.
Il est peut-être temps de revoir tous les accords commerciaux, surtout avec l’Union européenne qui met tant de barrières phytosanitaires, écologiques et autres devant nos exportations et nous empêche de faire de même vis-à-vis de leurs produits.
La Tunisie doit être reformée au niveau microéconomique, mais ce travail d’analyse et de proposition, le FMI n’a pas envie de faire. Or, c’est là que réside le cœur du problème pour notre économie : le cadastre n’est pas au point; les décisions de justice pour les litiges prennent des années privant l’Etat de précieux revenus; les lois douanières sont totalement obsolètes et se contredisent les unes les autres paralysant l’import et l’export; il y a des milliers de lois à revoir mais personne n’a assez de courage pour lancer les réformes nécessaires.
Le choc pétrolier de 1973 à mis 12 à 18 mois à se faire sentir partout dans le monde, or, aujourd’hui, la Tunisie est déjà en difficulté alors que le monde n’est pas encore en récession.
Attendre tous ces mois pour finalement signer ce faible accord avec le FMI montre la médiocrité intellectuelle des négociateurs tunisiens. Et croire que la cheffe du gouvernement va réussir à collecter les financements nécessaires auprès des pays du Golfe et de l’ancienne puissance coloniale, c’est faire preuve de grande naïveté.
Les Etats étrangers ne sont pas des enfants de chœurs. Et dès qu’il s’agit d’argent, ils n’ont plus de cœur. Ils parlent guerre, stratégie, bénéfices immédiats, etc.
Le président Saïed cherche à gagner du temps alors que le temps est son pire ennemi. Il faut faire vite, courir plus vite que les marchés, réformer rapidement et anticiper les mauvaises notations des agences. Mais il n’a toujours pas compris que le temps c’est de l’argent et, qu’entretemps, l’argent même des Tunisiens risque de partir à l’étranger.
* Financier diplômé de la New York University travaillant depuis 20 ans au Luxembourg.
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