Face à l’autocratie de Kaïs Saïed, se trompent ceux qui admettent les islamistes dans le jeu politique au nom de la démocratie ! Grave erreur, car pour les Frères musulmans, la démocratie est à usage unique, comme dit Erdoğan. (Illustration: le Front du salut tente de rapprocher les islamistes de leurs adversaires, les modernistes progressistes).
Par Rachid Barnat
«Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite», disait Gustave Le Bon, auteur français du 19e siècle, une réflexion qui garde toute son actualité dans le contexte actiel de la transition démocratique en Tunisie.
Depuis son coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021, Kaïs Saïed n’a cessé de créer des problèmes à des Tunisiens qui n’en peuvent plus, depuis leur fumeuse révolution du 14 janvier 2011 !
Populisme oblige, n’ayant aucun programme économique et social et navigant à vue, mu par son arabisme désuet; il fait tout pour installer une nouvelle autocratie. Sa dernière saillie fut sa diatribe aux relents racistes contre les noirs.
Quelle est la position des intellectuels face à ses dérives autoritaires ? Elle est mitigée : les uns, désabusés, adoptent le silence; d’autres en appellent à la dictature et soutiennent Kaïs Saïed, persuadés que le peuple tunisien n’est pas mûr pour la démocratie et encore moins pour la liberté; et enfin, d’autres dénoncent le nouveau apprenti autocrate et tentent de sauver ce qui peut l’être après le sac du pays en 11 années de pouvoir islamiste, directe ou indirect, quand l’assuraient les oiseaux rares de Rached Ghannouchi !
Je ne pense pas que les Tunisiens voudraient d’un nouvel autocrate.
Les nostalgiques de la dictature
Pour les nostalgiques de Bourguiba, il faut leur rappeler que cet homme fut une chance pour la Tunisie, et que son autoritarisme éclairé était nécessaire au lendemain de l’indépendance, car disait-il, «il faut d’abord éduquer un peuple, avant de lui accorder la démocratie pour qu’il en use en citoyen instruit et responsable». S’il avait joué la carte de la démocratie, il est certain que les conservateurs, réactionnaires et rétrogrades, alors nombreux, auraient pris le pouvoir. Où en serait la Tunisie s’ils l’avaient gouvernée ?
Quant à ceux qui regrettent Ben Ali, en comparant leur situation et celle de la Tunisie d’avant son départ avec celle depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes, il n’y a pas photo diraient certains.
Si les Tunisiens avaient admis son «coup d’Etat médical», c’est qu’ils ont cru en sa promesse d’instaurer une démocratie, dans son fameux discours du 7 novembre 1987; et que nous étions des millions à le croire ! Hélas très vite, en bon policier, il a instauré une dictature policière. De cela, les Tunisiens n’en veulent plus. Ils ont fini par le dégager. Car les générations formées par Bourguiba étaient prêtes pour la démocratie.
De même, si les Tunisiens avaient admis le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021 de Kaïs Saïed, c’est parce qu’il leur a fait croire qu’il mettra fin à l’islam politique et qu’il les débarrassera de Ghannouchi et de ses Frères musulmans. Mais très vite, ils ont compris qu’il n’en était rien !
Le plus inquiétant est de voir et de lire, çà et là, des intellectuels qui dénoncent, à raison, les dérives autoritaires de Kaïs Saïed mais admettent le retour aux affaires des islamistes et de leurs collabos, au nom de la démocratie, nous disent-ils !
Les islamistes et leurs collabos
Je suis sidéré par leur analyse politique du vécu de ce pays depuis l’installation des Frères musulmans au pouvoir par l’émir du Qatar, oublieux qu’ils l’ont mis à genoux; pour appeler à nouveau au consensus et au dialogue avec les islamistes et leurs collabos. Comme s’ils n’avaient pas tiré de leçons de Béji Caïd Essebsi et de son fameux consensus, quand durant sa campagne électorale, il jurait tous ses dieux qu’il ne pactisera jamais avec Ghannouchi, parce que, rassurait-il ses électrices inquiètes de l’islamisation du pays, «le nationalisme et l’islamisme sont des lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais»; pour les trahir en fin de compte et voir son parti Nidaa Tounes, qui a connu un succès fulgurant, devenir une coquille vide !
Et qu’invoquent-ils pour justifier ce choix ? Les islamistes sont les «Démocrates musulmans» conservateurs en terre d’islam, nous disent-ils, à l’instar des «Démocrates chrétiens» conservateurs en Occident. Grave erreur ! Seraient-ils tombés dans le panneau des Frères musulmans qui cherchent à brouiller les pistes en se revendiquant «Démocrates-musulmans» après nous avoir fait le coup de la «modernité» ? Naïveté ou à dessein ?
Si les Démocrates chrétiens sont républicains et respectent les règles démocratiques pour arriver au pouvoir, les Frères musulmans, eux, ne croient pas en la république et détruisent méthodiquement ses institutions. Pour prendre le pouvoir, ils recourent à l’élimination physique de leurs opposants politiques. Ce fut le cas pour Chokri Belaïd, pour Mohamed Brahmi, pour Lotfi Nagdh et bien d’autres!
Des crimes contre l’Etat
Ces intellectuels s’émeuvent devant les arrestations arbitraires ordonnées par Kaïs Saïed à l’encontre de personnalités politiques, confirmant son instrumentalisation de la justice, à raison. Certes, il eut mieux valu que la justice soit indépendante pour juger ces individus pour leurs crimes contre l’Etat. Mais de là à nous faire croire :
– que Ali Larayedh est un homme intègre et honnête ! Oublient-ils son accointance avec les terroristes du Mont Chaâmbi pour massacrer nos soldats ? Et celle avec le célèbre Abou Yadh lors de laquelle il avait ridiculisé la police nationale en organisant la fuite de ce terroriste formé au maniement des armes aux côtés du non moins célèbre Oussama Ben Laden, sur demande de Ghannouchi ?;
– que Seifeddine Makhlouf, ce sinistre individu, est un brave type. Un voyou converti par opportunisme à l’islamisme, en créant le parti Al-Karama, résurgence de la fameuse Ligue pour la protection de la révolution (LPR) dissoute, milice de Ghannouchi; pour transformer l’Assemblée nationale en camp retranché pour ce dernier et y faire régner la violence verbale et physique à l’encontre de l’opposition !;
– que Néjib Chebbi, est un démocrate, lui le looser à la remorque de Ghannouchi qui fait du nomadisme idéologique passant du communisme, à l’arabisme et maintenant à l’islamisme …
– que le Front du Salut, présidé par Néjib Chebbi et composé d’islamistes et de leurs sympathisants arabistes : Samir Dilou, Jawhar Ben M’barek… avec des membres d’Al-Karama en son sein; constitue la véritable force d’opposition face à Kaïs Saïed !
Je suis confondu devant tant de naïveté et tant d’oubli du passé.
Ces gens ne sont pas des conservateurs, ce sont des islamistes ou apparentés! Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce qu’ils font en Iran ! Certes il faut dégager le nouveau dictateur mais ce n’est pas pour le remplacer par les islamistes qui ne sont ni républicains, ni démocrates !
Face à l’autocratie de Kaïs Saïed, se trompent ceux qui admettent les islamistes dans le jeu politique au nom de la démocratie ! Grave erreur, car pour les Frères musulmans, la démocratie est à usage unique, comme dit Erdoğan. Ayatollah Khomeiny, lui aussi se revendiquait démocrate en 1979; avec le résultat que l’on sait : 43 ans de dictature islamiste.
Les Tunisiens méritent mieux. Il faut en finir avec l’islam politique et interdire l’instrumentalisation de la religion.
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