L’épreuve que plusieurs dirigeants d’Ennahdha traversent depuis plusieurs mois n’a paradoxalement pas affaibli le parti islamiste tunisien. Elle lui a plutôt permis de resserrer ses rangs autour du leadership de Rached Ghannouchi et de se présenter à nouveau à l’opinion nationale et internationale dans la peau de la victime d’un pouvoir autoritaire.
Par Imed Bahri
Alors que les autorités tunisiennes maintiennent la fermeture des bureaux du mouvement Ennahdha et du Front du salut national (FSN), les dirigeants de ces deux composantes alliées de l’opposition tunisienne affirment que cette décision s’inscrit dans la politique de restriction de leurs activités politiques en vue de leur interdiction. Mais leurs opposants affirment que cette fermeture s’inscrit plutôt dans le cadre de la justice et du droit.
Ennahdha et le FSN, dont les sièges à Tunis et les bureaux dans les régions sont fermés depuis le 18 avril dernier, quelques heures après l’arrestation du chef islamiste Rached Ghannouchi, sont les deux principales composantes d’une coalition d’opposition au président Kaïs Saïed, qui comprend aussi d’autres partis et activistes politiques.
L’ancien président de l’Assemblée a été arrêté à son domicile et amené pour interrogatoire sur ordre du procureur de la république, en raison de déclarations qu’il a faites lors d’une causerie ramadanesque organisé par le FSN le 15 avril, au cours de laquelle Ghannouchi a déclaré que «la démocratie exige la participation de tous» et que «l’exclusion du parti Ennahdha, de l’islam politique, de la gauche, ou de toute autre composante serait un projet de guerre civile, un vrai crime», faisant ainsi allusion, notamment, à la fermeture des bureaux de son parti.
Arrestations, perquisitions, procès…
Des perquisitions se poursuivent au siège central d’Ennahdha et dans ses bureaux à travers le pays, a confirmé l’avocate et dirigeante du mouvement, Zeineb Brahmi.
Dans un entretien avec Al-Jazeera Net, Me Brahmi a déclaré que les autorités ont saisi des documents administratifs appartenant au parti, bien que la fermeture et la perquisition de son siège n’aient pas été effectuées conformément à une décision claire, considérant que ce qui arrive au mouvement s’inscrit dans le cadre des restrictions à ses activités politiques, selon ses termes.
Le 15 mai, Ghannouchi a été condamné par contumace à un an de prison, en plus du paiement d’une amende, pour avoir accusé les forces de sécurité de «tyrannie» lors des funérailles d’un dirigeant du mouvement. Cependant, son comité de défense a fait appel du verdict, qui a d’ailleurs été condamné par le mouvement Ennahdha, dans un communiqué, affirmant que Ghannouchi «a été arrêté pour avoir exprimé une opinion et sur la base d’une fausse déclaration».
Selon Me Brahmi, on ne peut pas prédire comment les choses vont se terminer pour le parti Ennahdha qui, selon elle, mène ses activités conformément à la loi, et il les poursuivra de manière pacifique dans le cadre du droit et sans recourir à la clandestinité.
Pour sa part, le président du FSN, Nejib Chebbi, a affirmé que les autorités ne se contentent pas de fermer uniquement le siège central du front, mais qu’elles restreignent aussi toutes ses activités dans les régions intérieures, notant que certains gouverneurs refusent même recevoir les notifications des responsables du front l’informant de leurs activités ou réunions publiques.
Cependant, Chebbi a souligné que les réunions publiques et les manifestations pacifiques sont des acquis de la révolution de 2011, ajoutant que le Front continuera à les faire valoir pour mener ses activités publiques. Selon lui, les décisions des autorités de fermer les bureaux du Front et d’empêcher ses activités se heurtent à la volonté des militants, qui ont connu des années de braises sous la tyrannie de Ben Ali et n’ont pas plié devant l’oppression de l’autorité et la volonté de son dirigeant, selon ses termes.
La répression affaiblit le pouvoir
Dans un entretien avec Al-Jazeera, Chebbi a ajouté que le pouvoir a accumulé les erreurs qui soulèvent contre lui de plus en plus de segments de l’opinion publique, soulignant que même si les sacrifices de l’opposition lui ont valu l’arrestation et l’incarcération de ses dirigeants, «la répression affaiblit le pouvoir qui ne fera pas revenir les pendules de l’heure en arrière», a-t-il dit.
Depuis le 11 février dernier, les autorités tunisiennes ont arrêté des personnalités politiques de premier plan qui accusent le président Kaïs Saïed de s’être retournée contre la légitimité, le 25 juillet 2021, date à laquelle il a annoncé les mesures exceptionnelles et le gel des activités du parlement, la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et le changement du système de gouvernement d’un système parlementaire à un autre présidentiel après avoir rédigé une nouvelle constitution.
En face, Mohsen Nabti, un dirigeant du Courant populaire – l’un des partis soutenant les mesures prises par le président – affirme que les membres arrêtés du mouvement Ennahdha «cherchent à jouer le rôle de la victime pour se dérober à leur responsabilité», soulignant qu’il n’y a aucune restriction aux libertés politiques, et que les arrestations effectuées ne sont pas collectives, mais ont concerné des éléments particuliers.
Interrogé par Al-Jazeera Net, Nabti a ajouté que malgré l’interdiction légale du mouvement Ennahdha, ses membres sont toujours actifs et tiennent librement des conférences de presse, indiquant que la décision de fermer le siège du mouvement et d’empêcher ses activités «s’inscrivent dans le cadre d’actions judiciaires pour enquêter sur un certain nombre de crimes politiques imputés à ses dirigeants dont le nombre ne dépassent celui d’une main», selon ses termes.
Ce qui se passe n’a rien à voir avec une tentative pour en finir avec ce mouvement, mais il fait partie de poursuites judiciaires dans le cadre de la justice et du droit, a souligné Nabti, expliquant que le mouvement Ennahdha, qui a été une composante majeure du pouvoir depuis 2011, fait face à des accusations d’assassinats politiques, de terrorisme et d’infiltration rouages de l’État, «sur lesquelles la justice, sous son règne, a fermé les yeux» , a-t-il déclaré.
Pour Ennahdha, cependant, ces accusations émanent de parties qui cherchent à induire en erreur l’opinion publique et à régler des comptes idéologiques.
Quoi qu’il en soit, et si le parti Ennahdha semble avoir été affaibli depuis le 25 juillet 2021, il convient de rappeler qu’il avait déjà perdu toute crédibilité bien avant cette date. Il avait également vu ses résultats électoraux et sa popularité chuter d’une consultation à une autre et était traversé par de fortes divisions, au point que certains analystes pensaient même qu’il était sur le point d’imploser.
Aussi, l’épreuve que plusieurs de ses dirigeants traversent depuis quelques mois ne l’a-t-elle paradoxalement pas affaibli davantage; elle lui a plutôt permis de resserrer ses rangs autour du leadership de Rached Ghannouchi et de se présenter à nouveau à l’opinion nationale et internationale dans la peau de la victime d’un pouvoir autoritaire, qui ne fait d’ailleurs rien pour nuancer cette image désormais largement partagée, sinon en Tunisie du moins dans le monde.
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