Colloque à Beit Al-Hikma : Bourguiba, encore et toujours

 Habib Bourguiba (3 août 1903 – 6 avril 2000), que l’on surnommait «Al-Moujahed al-Akbar» (Le combattant suprême), demeure omniprésent dans la mémoire et l’imaginaire de tous les Tunisiens, de l’ancienne et de la nouvelle génération.

Des figures politiques ayant côtoyé Bourguiba de très près, des penseurs, des académiciens et des citoyens étaient présents, le samedi 3 juin 2023, à une table-ronde autour de «Bourguiba aujourd’hui», organisée aux Archives nationales de Tunisie (ANT).

Des souvenirs, des confessions et des reproches ont marqué cette rencontre assez spéciale où l’humain et le politique se sont rejoints dans une sorte d’admiration et de reconnaissance éternelle pour un patriote réputé pour sa grande culture, sa sagesse, son charisme et son attachement à ses concitoyens.

Les témoignages ont levé le voile sur des moments inoubliables dont seuls ceux qui les ont vécus peuvent ressentir l’intensité. Bourguiba, le président, l’orateur, l’intellectuel, le visionnaire était là avec tous ses états, sa vitalité, ses qualités, ses défauts, ses moments de doute ou de faiblesse, résumant le parcours assez riche et unique d’un homme d’exception à plus d’un titre.

Bourguiba, un riche héritage

«Ma vie a été marquée par sa politique», a avancé l’intellectuelle et féministe Faouzia Charfi dans un témoignage sur l’héritage de Bourguiba, parlant notamment du Code du statut personnel (CSP) qui a révolutionné les codes sociaux et qui l’a conduit à être en rupture avec la tradition.

La démarche d’un politicien qui a osé la rupture sur deux grandes décisions, dit-elle, motivées par le fait qu’il croyait beaucoup à la science : la détermination des fêtes religieuses et des mois sacrés par une méthode scientifique basée sur les calculs astronomiques (23 février 1960) et le choix du calendrier grégorien (loi 24 juillet 1965) s’inscrivant dans la tradition d’Atatürk qui avait adopté ce calendrier en 1926.

Il y a une autre facette du régime bourguibien. L’ancienne secrétaire d’Etat a émis des réserves quant à la relation de Bourguiba avec le concept de la modernité. «Dès les années de l’indépendance, un certain aspect de ce que pourrait être la Tunisie, la pluralité, a été omis», a-t-elle souligné.

S’agissant de la Constitution adoptée en 1956, elle regrette le fait qu’elle a écarté la pluralité dans le pays, en rapport avec les minorités religieuses ainsi que la composante ethnique, citant la communauté berbère qui s’est manifestée après 2011 et qui avait été complètement occultée.

Entre Bourguiba et Soekarno

La réputation de Bourguiba ayant franchi les frontières trouve son écho auprès d’un géant asiatique, l’Indonésie, à travers un témoignage fort et émouvant de Zuhairi Misrawi, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la république d’Indonésie en Tunisie.

S’exprimant avec une belle langue arabe littéraire, le diplomate est revenu sur l’amitié ayant uni les anciens présidents Soekarno et Bourguiba dont les portraits occupent chaque coin de l’ambassade indonésienne à Tunis.

Grand admirateur de l’œuvre de Bourguiba, il évoque un homme qui avait réussi à sceller des liens d’amitié éternels entre les peuples tunisien et indonésien et ce depuis les années 50 et sa visite à Jakarta avant même l’indépendance de la Tunisie. Entre Bourguiba et Soekarno, une longue histoire d’amitié basée sur les valeurs du respect, du travail et du patriotisme, a déclaré Misrawi.

Bourguiba était, selon le diplomate, l’incarnation des grandes valeurs humaines, des principes philosophiques et des valeurs morales et de l’amitié entre les peuples.

Il appartient à toute la nation

Habib Bourguiba était au cœur de tous les hommages du 1er au 3 juin 2023 dans un colloque international intitulé «Habib Bourguiba, le fondateur» dont les actes seront publiés dans un livre.

Pour le président de l’Académie Beit Al-Hikma, Mahmoud Ben Romdhane, l’intérêt pour ce colloque a dépassé toutes les attentes. «Notre Académie tenait à ressusciter la mémoire de ce fondateur qui a été occulté pendant 35 ans, dans ce colloque axé sur deux fondamentaux. Bourguiba appartient à toute la Nation, dit-il, et il a fallu adopter la diversité des points de vue y compris ceux qui se sont opposés à lui, dans le cadre d’une rencontre qui soit digne du niveau d’une académie, en prenant de la distance vis-à-vis du personnage et en l’abordant d’un angle académique», a expliqué Ben Romdhane. Et de conclure : «C’était notre manière de lui rendre hommage posthume et je pense qu’il aurait aimé entendre ce qui a été dit dans toute sa diversité y compris dans sa remise en cause, au moins dans certains moments de sa vie et de sa politique».

Le documentaire du cinéaste Hichem Ben Ammar « Bourguiba de retour », sorti en 2017, a été projeté à la fin du colloque. Fiction ou réalité, ce retour semblait inévitable pour une bonne partie des Tunisiens qui n’arrivent pas à faire le deuil d’un président parti dans l’indifférence totale, et dont tous les successeurs ont tenté en vain d’effacer la mémoire restée vivace dans le cœur de ses compatriotes, toutes tendances confondues.

Avec Tap.

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