Après les scènes horribles de vidéos montrant une populace haineuse se livrer à des violences inacceptables à l’encontre de nos frères subsahariens, il est inutile d’essayer de restaurer l’image de toute la Tunisie autant que celle de la ville de Sfax et des Tunisiens en général par des scènes de distribution de denrées alimentaires et d’eau aux malheureuses victimes de cette haine raciste. (Illustration : des migrants subsahariens fuyant Sfax vers d’autres régions tunisiennes).
Par Sémia Zouari *
Le mal est fait, malheureusement, et rien ne rétablira l’amalgame dévastateur qui ternit désormais la réputation des Tunisiens et des habitants de Sfax qui se sont livrés à un véritable lynchage de nos frères subsahariens. Ils oublient que si ces derniers affluent dans leur ville, c’est à la demande des réseaux mafieux de l’immigration illégale et de leurs pages fb qui vantent les traversées vers l’Europe à bord de bateaux de pêche réformés qui ne sont souvent que de vieux rafiots inutilisables et trop souvent exposés au risque de naufrage en raison de leur surcharge.
Combien de Subsahariens, candidats à l’immigration illégale, se sont vu escroquer leurs économies, durement amassées, au prix de labeurs éreintants, par des gangs aussi bien tunisiens qu’issus de leur propre pays?
Pourquoi l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes (INLTP) ne dénonce-t-elle pas ces trafics mafieux et leurs incidences désastreuses sur des migrants en situation d’extrême vulnérabilité?
Réadmission brutale et inhumaine
Inutile de se voiler la face, nos frères subsahariens sont bien aujourd’hui, dans leur grande majorité, victimes de la traite des humains et à ce titre ils devraient bénéficier du statut de victimes et non être taxés d’infraction à la législation sur les étrangers.
Pourquoi les forces de police ont-elles procédé à la déportation de groupes de Subsahariens comportant des femmes et des enfants, vers la frontière libyenne, dans une procédure de réadmission brutale et inhumaine alors que la Libye n’est pas un pays sûr et respectueux des droits de l’Homme et que des pratiques de rançons et d’esclavage y ont été dénoncées depuis plusieurs années?
Quel rôle ont joué les autorités algériennes en laissant sciemment se déverser via nos frontières communes des milliers de Subsahariens candidats à l’immigration illégale vers l’Europe notamment via les villes du Kef et de Kasserine?
Jusqu’où en est arrivée la corruption des fonctionnaires publics pour que les flux de migrants transfrontaliers aient pu circuler librement jusqu’à la ville de Sfax en vue de leur traversée vers l’Europe?
La mort d’un citoyen tunisien à Sfax, dans des circonstances encore non résolues, pourrait révéler qu’il aurait d’abord été coupable de graves préjudices contre son agresseur, avant de subir lui-même cette attaque mortelle. Elle ne saurait justifier les scènes de lynchage, de terreur, de racisme sordide, relayées sur les réseaux sociaux et tous les médias internationaux. Comment pourrions-nous dénoncer désormais les traitements inhumains subis par nos propres ressortissants en situation irrégulière en Europe, comme nous l’avions vu dans certains pays comme la Serbie?
Une faillite morale
Allons-nous sombrer dans le racisme le plus sordide contre nos propres frères subsahariens en occultant les racines du trafic, les complicités des réseaux tunisiens et européens, les véritables raisons du désespoir de ceux qui se révoltent contre les arnaques dont ils sont trop fréquemment les victimes?
Pour mobiliser les fonds nécessaires à leur «harqa» (de 4500 à 9000DT par tête), ils se saignent à blanc, acceptent les travaux les plus durs (notamment la cueillette des olives dans cette même ville de Sfax qui les persécute aujourd’hui) et les humiliations, les escroqueries, les naufrages, la mort dans la détresse et l’anonymat, les arraisonnements musclés de la Garde nationale en pleine mer, avec les confiscations des moteurs et les dérives mortelles qui s’ensuivent…
Cessons de nous mentir et reconnaissons que la crise de l’immigration illégale en Tunisie a mis à nu la faillite morale de notre pays et de nos concitoyens.
Monsieur le Président de la République doit mettre le holà à cette dérive raciste inacceptable et inhumaine, d’autant plus que ce sont ses propres déclarations qui avaient décomplexé les comportements xénophobes, lorsqu’il avait repris, à son propre compte, les thèses complotistes mensongères et ouvertement racistes de l’odieux parti soi disant «nationaliste». Sa dernière apparition à Sfax, à la rencontre des migrants subsahariens, n’a pas résolu la crise, aggravée par la mort de cet homme tunisien… Au contraire les forces armées ont durci leur position…
Vite, il faut convoquer la Conférence internationale sur l’immigration pour trouver des solutions, aussi bien à l’échelle régionale qu’au niveau national, où la mafia criminelle des passeurs doit être sévèrement réprimée d’autant plus qu’elle est responsable de la mort de milliers de malheureux, aussi bien Tunisiens que Subsahariens.
A bon entendeur!
* Diplomate.
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