Pour une bourde c’en fut vraiment une. Et le gouvernement, qui n’est pas à une bourde près, en a sans doute commis une de trop, en faisant arrêter le caricaturiste Tawfik Omrane à cause d’une caricature publiée sur les réseaux sociaux, bourde qu’il a tenté de réparer, du reste, très maladroitement.
Par Imed Bahri
C’est le sens du communiqué publié par le palais de Kasbah, hier soir, vendredi 22 septembre 2023, quelques heures après la libération de notre collègue, où il rappelle solennellement une évidence : une action en justice contre le caricaturiste Tawfik Omrane serait «injustifiée et infondée»… s’il s’agissait d’une caricature qu’il a réalisée.
La présidence du gouvernement a cru devoir souligner une autre évidence en affirmant dans le même communiqué que la liberté de création artistique est garantie par l’article 49 de la Constitution tunisienne du 25 juillet 2022, celle-là même qu’à écrite et promulguée le président de la république Kaïs Saïed.
Dysfonctionnement des appareils de l’Etat
Si de telles poursuites étaient engagées en raison d’autres faits ou actes commis par le caricaturiste Tawfik Omrane, il s’agirait donc d’une «affaire purement judiciaire», précise encore le communiqué, laissant entendre par cette troisième lapalissade que l’affaire pourrait connaître un rebondissement, si on découvrait, par hasard et sans trop vraiment le chercher !, un poux dans la tête de l’importun et insolent caricaturiste.
«Le Premier ministre n’était pas au courant des poursuites judiciaires contre Omrane», précise encore le communiqué, ajoutant que Ahmed Hachani «n’a pas vu la caricature et ne savait même pas qui en était l’auteur». Quatrième lapalissade, soit dit en passant, puisqu’en n’ayant pas vu la caricature, on ne pouvait pas en connaître l’auteur.
Au contraire, «le Premier ministre a été informé de l’affaire par les médias», ajoute le communiqué qui nous laisse vraiment sur notre faim, car il pose beaucoup plus de questions qu’il n’y réponde. En effet, si la Kasbah n’a pas ordonné l’arrestation du caricaturiste et n’en est même pas au courant, et cela est fort plausible, il y a quelqu’un, quelque part dans cette république, qui a actionné le ministère public, peut-être dans un bureau situé à quelques dizaines de mètres de là, du côté du ministère de la Justice. Et si ce n’est pas le cas et que la justice s’est retrouvée hériter d’une patate chaude à l’insu de son plein gré, les agents de police du commissariat de Mégrine, qui ont effectué l’arrestation, auraient donc agi sans instructions de leurs supérieurs et pour leur propre compte. Dans ce cas, et dans tous les cas, il y a un dysfonctionnement des appareils de l’Etat qui laisse présager de graves dérapages similaires à l’avenir. Car comment ne s’est-il trouvé aucun responsable à quelque niveau que ce soit pour mettre le holà, rappeler ses collègues à l’ordre et leur indiquer les lignes rouges à ne pas outrepasser ?
Par qui le scandale est-il arrivé ?
Et d’ailleurs, M. Hachani est-il au courant du contenu du communiqué publié par la présidence du gouvernement dont il a apparemment la charge ? Si c’est le cas, pourquoi n’a-t-il pris aucune décision pour enquêter sur cette affaire, démasquer ceux qui l’ont provoquée et essayer de comprendre leurs motivations ? Et si c’était un complot, un autre, contre l’Etat ? Pourquoi n’a-t-il annoncé aucune sanction, ne fut-ce qu’administrative, contre les auteurs d’une telle bévue ? C’est le minimum que l’on puisse attendre d’un chef de gouvernement dont l’autorité à été si clairement bafouée et les prérogatives piétinées sous les bottes de quelques agents de sécurité…
Il y a clairement quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette «troisième» république dont le fonctionnement aux contours flous commence à montrer de graves béances.
Rappel des faits : jeudi soir, le parquet a ordonné l’arrestation du caricaturiste Tawfik Omrane, cueilli chez lui par deux agents qui l’ont ensuite conduit sans préavis ni convocation au commissariat de Mégrine où il a été interrogé sur des caricatures où il croquait – du reste très gentiment – le Premier ministre, avant d’être transféré au centre de dépôt de Bouchoucha, à quelques kilomètres de là, puis relâché, quelques heures plus tard, vendredi à l’aube, sans aucune explication.
Difficile de ne pas voir dans cette affaire un dérapage mal contrôlé : l’arrestation du caricaturiste ayant provoqué un tollé général dans le pays dont les réseaux sociaux ont tonné pendant toute la nuit du jeudi à vendredi, les auteurs de ce dérapage, dont on ne peut imaginer qu’ils ont agi seuls comme des grands, ont dû rétropédaler. Mais le mal était fait…
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