Dans cette lettre ouverte, l’auteure parle au nom des enfants palestiniens condamnés à subir les conséquences terribles d’une histoire sanglante et injuste, celle d’un Occident sourd, aveugle et qui se défausse de sa culpabilité sur un peuple qui ne lui a rien demandé.
Par Olfa Rhymy Abdelwahed *
Cher occident,
J’espère que vous allez bien. De toute façon, vous allez toujours bien. Quelle question ! Ce n’est qu’une formule pour entamer mon message. Ne vous inquiétez pas. Vous appartenez à la catégorie de ceux qui vont bien… toujours. Et c’est très bien.
Par contre, moi j’appartiens à l’autre rive. Je suis de ceux qui vont mal. Qui n’iront jamais bien, car ils ont un trou noir béant dans l’âme. Un trou hélicoïdal, sans fin, que mes parents et mes grands-parents avaient aussi. Mes arrières grands parents, par contre, ne l’avaient pas, eux car il n’existait tout simplement pas. C’est vous dire que la blessure est encore fraîche aux yeux de l’histoire.
Cher occident, je fais partie des interlopes potentiels. Des coupables certainement. Des méchants quoiqu’il arrive. Des intouchables de service.
Chers civilisés propres sur sois, bons pères de familles. Chers justes parmi les hommes, vous est-il arrivé de raconter à vos enfants l’histoire de leur patrie. De leurs ancêtres avec fierté et orgueil. Le torse gonflé à bloc et les narines dressées vers l’avenir. Bien sûr que oui. Où avais-je la tête ?
Un Palestinien, vous savez ces individus, débarqués de nulle part. Qui ne vous ressemblent pas et ne ressemblent à rien d’ailleurs. Punis pour vouloir raconter l’histoire de leur pays à leurs enfants. Punis pour vouloir raconter. Pour vouloir un pays. Pour vouloir des enfants à qui raconter. Ils n’auront ni histoire à raconter, ni Histoire, ni pays… ni enfants. Votre quotidien est une ambition pour ces gavroches cupides…
A-t-on idée d’aspirer à la vie? A-t-on idée de vouloir sa maison, son histoire, ses terres et ses racines? A-t-on idée de vouloir des souvenirs et des projets? A-t-on idée de vouloir de l’oxygène, des droits et un ciel dégagé? Un Palestinien a eu le culot d’avoir cette idée. Et oui ! Ils se prennent pour qui exactement ces robineux de l’histoire? Est-ce qu’ils réalisent seulement l’étendue de leur péché ? Ils veulent vivre, tiens, tiens !! Quoi encore?!
Chers dégrossis bien élevés sur-éduqués, nous comprenons parfaitement que vous trainez un sentiment de culpabilité irascible et indéboulonnable. Nous comprenons que vous aussi avez un trou dans l’âme et que vous voulez vous en débarrasser. Sauf que vous vous êtes peut-être trop emporté. Peut-être… Car sur ce sujet particulier, il faut vraiment y aller doucement avec vous.
Alors sachez que je ne suis ni révisionniste, ni antisémite, étant moi-même sémite. Je ne suis ni raciste, ni xénophobe. Je ne peux prétendre à ce luxe étant moi-même arabe, musulmane et africaine. Je ne peux être raciste qu’envers moi-même pour épater mon ego et vous ressembler un peu. Soyons fous… allez… Pardon…
Revenons à vos enfants à qui vous inculquez certainement des valeurs autour d’un bon feu et d’une bonne soupe avant de les envoyer au lit après le bain et la petite histoire racontée. Un papa palestinien n’ose même pas imaginer vivre ce fragment de vie. Il a été amputé de son histoire, de ses repères, dépouillé de ses rêves… Vous lui avez transmis votre sentiment de culpabilité. Ce sentiment qui vous incombe à vous seuls d’assumer. Vous en vous êtes débarrassés à la hâte pour le jeter sur un innocent qui ne vous a rien fait. Qui n’est pas venu vous déranger chez vous. Qui ne vous connaissait même pas. Il traîne un sentiment de culpabilité car il n’a pas pu protéger ses enfants ou leur offrir quelque chose qui ressemble à une vie.
Il était chez lui 75 ans en arrière. Sur ses terres avec les siens, ses troupeaux, sous son ciel. Pendant ce temps-là, vous cherchiez à qui faire porter le chapeau de vos crimes. Vous cherchiez où cacher le cadavre. Vous avez trouvé un placard. La Palestine. Une trouvaille de prédilection puisque l’alibi de la terre promise pouvait correspondre, puisque c’est la terre des religions monothéistes. Sauf que cette terre avait ses enfants déjà installés depuis la nuit des temps.
Vous vous êtes débarrassés de votre complicité tacite dans le génocide des juifs en les jetant sur nous pour vaquer à votre vie, décomplexés, la conscience retapée à neuf. Nickel… Sauf que l’histoire est têtue et récalcitrante. Vous aurez d’autres génocides sur le dos. Je ne sais pas si votre conscience en partirait. Je ne sais pas si vous en avez une. Vous avez décidé de mutiler leurs vies. De leur voler leur histoire, leur identité, leur foi, leur «être» et leur «avoir». Ils ne conjuguent plus qu’au conditionnel et encore au conditionnel impossible. Vous leur avez créé un nouveau mode à conjuguer.
Dieu n’a rien promis à personne, sauf peut-être de passer à la caisse pour le mal infligé à ses créatures. Il n’a promis de terre à personne, sinon ça se saurait. C’est Dieu quand même. Il aurait invité toutes ses créatures. En essayant de vous racheter, vous avez créé une nouvelle gente humaine qui vit sur la victimisation, et qui se nourrit de votre culpabilité éternelle, et vous avez fait des Palestiniens des morts-vivants qui ont la force et la ténacité de ceux qui n’ont plus rien à perdre.
En mettant vos enfants au lit après le bain, n’oubliez pas de leur dire de nous exclure du mot empathie. N’oubliez pas de leur dire que le loup qui a mangé la grand-mère du chaperon rouge était arabe, musulman et palestinien à souhait. Et pour l’histoire du monde ou du Moyen-Orient n’irez pas plus loin que 75 ans en arrière, vous vous couvrirez de ridicule et vous n’aurez pas de réponse…
Le temps, cher Occident, est un joueur avide qui gagne toujours, sans tricher… et l’histoire a le souffle long…
Soyez sûrs et certains que ma position n’a rien avoir avec le sectarisme religieux, le corporatisme aveugle, le nationaliste ou d’aucune espèce. Je suis seulement triste pour l’humanité. Il n’y aurait point de prescription . Ann Frank aurait eu honte de vous…
* Enseignante.
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