De fortes divisions internes affaiblissent une fois de plus l’Union européenne (UE) et la rendent inutile en tant qu’acteur géopolitique, sur fond de montée des partis d’extrême-droite qui engagerait dans une nouvelle phase dangereuse de l’histoire. (Illustration : Le soutien de von der Leyen à Israël a suscité la fureur en Europe. Ph. Angelos Tzortzinis/Getty Images).
Par Pankaj Mishra *
Lorsqu’Ursula von der Leyen a pris la présidence de la Commission européenne il y a quatre ans, elle a promis que l’Europe serait une puissance géopolitique. Et, alors que les membres de l’UE se sont unis pour s’opposer à l’invasion de l’Ukraine par la Russie début 2022, le continent semblait certainement un pilier solide d’un ordre mondial menacé par les autocraties de la Russie et de la Chine – sans parler d’autres ennemis. Le président français Emmanuel Macron a rapidement commencé à parler de «l’autonomie stratégique» de l’Europe, en partie pour se prémunir contre la réélection de Donald Trump en 2024.
Mais la Russie a mieux survécu à la guerre que prévu. Les querelles entre dirigeants européens et américains menacent l’aide cruciale à l’Ukraine. Les chances de Trump sont en hausse. Et l’Europe ressemble désormais moins à un rempart démocratique contre le populisme trumpiste qu’à un tremplin à celui-ci.
Des fiascos en série
La confusion, la division et la maladresse des dirigeants bruxellois sont en partie responsables de cette situation. Von der Leyen mérite sa part de critiques. Elle s’est rendue en Tunisie en juillet avec le Premier ministre italien de droite Giorgia Meloni pour signer un accord douteux avec Kaïs Saïed, le payant effectivement pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée. Non seulement Saïed est revenu sur sa décision, mais le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a dénoncé l’accord comme étant «unilatéral».
Pendant ce temps, le président du Conseil européen, Charles Michel, a tenté de rétablir la paix entre les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais en juillet. En quelques semaines, l’Azerbaïdjan a procédé au nettoyage ethnique de 100 000 Arméniens de son territoire. L’Europe, dépendante du pays agresseur pour son gaz naturel, n’a pas agi.
Plus récemment, la guerre à Gaza a encore davantage mis en lumière la désunion fondamentale de l’UE. Six jours après l’attaque du Hamas contre Israël début octobre, von der Leyen a effectué une visite imprévue à Jérusalem et a déclaré la solidarité inconditionnelle de l’Europe avec Israël. Collègues et rivaux, dont Michel et Borrell, ont émis des critiques exaspérées. Des centaines de personnes salariées de l’UE ont signé une lettre commune protestant contre son incapacité à demander à Israël de respecter le droit international dans sa réponse à l’attaque du Hamas.
Dans une erreur parallèle, le commissaire européen à l’élargissement, Oliver Varhelyi, a annoncé sur X, anciennement connu sous le nom de Twitter, la suspension de 691 millions d’euros d’aide de l’UE à l’Autorité palestinienne. Paris, Dublin et Madrid se sont immédiatement plaints de ce qu’ils considéraient comme une punition collective infligée aux Palestiniens pour les crimes du Hamas. Après quelques heures chaotiques, Borrell promettait à l’AP davantage d’aide plutôt que moins.
De tels fiascos pourraient vraisemblablement être imputés à un manque de coordination. Mais des responsables tels que Varhelyi et von der Leyen ne font peut-être que canaliser les principaux courants politiques de leur pays d’origine. Varhelyi a été nommé à son poste par le Premier ministre autoritaire hongrois Viktor Orban, qui se trouve être le plus proche allié européen du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Le mentor politique de Von der Leyen est l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, qui a déclaré que la sécurité d’Israël était une «Staatsräson», ou raison d’État, pour son pays.
L’Allemagne a bloqué d’autres tentatives européennes visant à appeler conjointement à un cessez-le-feu à Gaza, même si Macron a des raisons politiques intérieures impérieuses pour le faire et même si le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez accuse désormais Israël de meurtres aveugles.
Incohérences, antagonismes et divisions cruciales
Le tableau général de l’incohérence est aggravé par l’accentuation des antagonismes gauche-droite avant les élections au Parlement européen de l’été prochain, ce qui explique en partie pourquoi l’Italie et l’Espagne ont échangé des insultes extraordinaires la semaine dernière.
De telles divisions rancunières donnent à l’Europe une apparence faible et sans importance sur la scène internationale. Israël dénonce désormais ouvertement les dirigeants espagnols, belges et irlandais comme des «partisans du terrorisme».
La semaine dernière, à l’aéroport de Doha, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a attendu près d’une demi-heure sous un soleil de plomb à la porte de son avion avant qu’un jeune ministre qatari n’arrive pour le recevoir. Lors du sommet climatique COP28 à Dubaï, aucun dirigeant arabe n’était disponible pour la table ronde proposée par Macron pour discuter de la guerre à Gaza.
Plus tôt cette année, les autorités chinoises ont ostensiblement rabaissé von der Leyen lorsqu’elle a accompagné Macron beaucoup plus accommodant lors d’une visite d’État en Chine. La Chine et la Russie (et d’autres pays non occidentaux) ne respecteront l’Europe en tant que force géopolitique que si elle parle d’une seule voix, idéalement en phase avec les États-Unis.
Mais à mesure que les partis extrémistes progressent à travers l’Europe, l’intérêt de parler et d’agir de concert n’est plus aussi évident. L’alarmisme autour de la migration, des musulmans et du changement climatique pourrait propulser des démagogues, de la Grèce aux Pays-Bas, au Parlement européen l’année prochaine. Une victoire de Trump en novembre pourrait être le signe d’une domination de l’Occident démocratique par l’extrême droite.
Le monde s’engagerait alors dans une nouvelle phase dangereuse de l’histoire. Et ceux qui ont encore un espoir de démocratie pourraient finir par aspirer à moins d’unité européenne qu’à plus.
Traduit de l’anglais.
Source : Bloomberg.
* Chroniqueur. Son livre le plus récemment s’intitule ‘‘Run and Hide’’ (Cours et cache-toi).
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