Hier soir, beaucoup se sont félicités du fait que l’Etat tunisien va devoir payer des dommages et intérêts d’un montant inférieur à celui exigé par la partie adverse dans l’affaire dite de la Banque Franco-Tunisienne (BFT). Qu’on nous permette cependant de voir l’affaire sous un jour moins reluisant.
Par Imed Bahri
Mais d’abord les faits : le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) a annoncé, vendredi 22 décembre 2023, sur son site que l’affaire de la BFT, dont il a été saisi en 2004, opposant le fond d’investissement néerlandais ABCI, dirigé par l’avocat tunisien Abdelmajid Bouden, à l’Etat tunisien, a été close. En fait, le tribunal arbitral, faisant partie du groupe de la Banque mondiale, a rendu son verdict dont il ne publiera une synthèse que si les deux parties au litige acceptent le principe de la publication.
Le premier à réagir à ce verdict non encore officiellement annoncé par le Cirdi a été l’Etat tunisien à travers un cocorico lancé sur le site du ministère des Domaines de l’État annonçant que l’Etat tunisien -c’est-à-dire vous et nous, les pauvres contribuables- va devoir casquer la somme 1,1 million de dinars (MDT) dans l’affaire de la BFT, chiffre qui peut paraître très faible eu égard l’importance de l’affaire, en attendant sa confirmation par les parties autorisées. D’autant que le ministère des Domaines de l’Etat a déjà retiré l’annonce qu’il a faite hier soir et qui a été reprise par beaucoup de médias.
Le prix de la corruption
En attendant la confirmation de ces chiffres par le Cirdi, on ne voit, de notre part, aucune raison pour s’en féliciter, comme l’ont fait un peu trop rapidement certains économistes qui se sont exprimés hier soir sur leurs pages sur les réseaux sociaux. Et pour cause, dans cette affaire qui remonte au milieu des années 1980, l’Etat tunisien a fait tout et n’importe quoi. Il a commis des abus en série, où la corruption généralisée conjuguée aux malversations administratives et à une gestion juridique catastrophique d’une affaire relative à l’investissement, a d’abord causé la faillite de la banque objet du litige, mais il a également beaucoup nui, ce faisant, à l’image du pays comme un site d’investissement.
En effet, et au-delà de la somme que la Tunisie -c’est-à-dire vous et nous, pauvres contribuables- va devoir casquer, c’est la réputation de notre pays qui est en jeu. Car en condamnant la Tunisie à payer des dommages et intérêts à la partie plaignante, ABCI en l’occurrence, le Cirdi l’a reconnue coupable. Et sans entrer dans les détails peu reluisants de cette affaire, il faut admettre que les cocoricos lancés par certains hier soir sont pour le moins déplacés voire risibles. Il aurait mieux fallu pointer les erreurs et les errements, en tirer les leçons pour éviter que d’autres entreprises nationales ne connaissent le même sort de la BFT.
Quant on sait que l’écrasante majorité des entreprises publiques sont en quasi-faillite, qu’elles continuent de survivre grâce à l’argent injecté sans cesse dans ses caisses par l’Etat et qu’elles continuent de souffrir d’une mauvaise gouvernance endémique, sans que les autorités concernées ne s’en émeuvent outre mesure, on peut craindre que cette affaire BFT ne soit le prélude à d’autres beaucoup plus couteuses et plus douloureuses pour la nation.
Tout ça pour ça ?
Rappelons pour l’histoire que le Tribunal de première instance de Tunis avait rendu, le 1er avril 2022, un jugement confirmant la cessation de paiement de la BFT à partir du 1er mars 2022, et ordonné sa liquidation, décision aussitôt appliquée par la Banque centrale de Tunisie, non sans un ouf de soulagement, l’affaire ayant beaucoup traîné et coûté énormément d’argent au trésor public pour payer les pseudos experts et avocats d’affaires internationaux, qui plus est en devises fortes… pour le résultat que l’on sait.
Un dernier mot pour tempérer la joie de ceux qui ont lancé hier soir des cocoricos : l’ardoise que cette affaire a coûté à l’Etat tunisien depuis le milieu des années 1980 ne doit pas comptabiliser seulement les dommages et intérêts qu’il va devoir payer à ABCI, mais tout l’argent du contribuable dilapidé en quarante ans de procédures et de contre-procédures, face à un avocat hyper-procédurier, Abdelmajid Bouden en l’occurrence, dans l’espoir d’éviter une condamnation… qui eut finalement lieu. Tout ça pour ça ? Quel gâchis, tout de même !
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