Même si la plupart de ses figures majeures sont incarcérés depuis bientôt un an, poursuivies dans une vague affaire de complot contre l’Etat, l’opposition au régime d’exception mis en place par le président Kaïs Saïed continue, tant bien que mal, d’exister et de faire entendre sa voix.
Par Imed Bahri
Cette voix est encore peu audible, les Tunisiens affichant une désaffection et un désintérêt vis-à-vis de la politique en général et de l’élite ayant gouverné le pays entre 2011 et 2019 en particulier, mais elle continue de s’exprimer, de critiquer ce qu’elle considère comme une dérive autoritaire du régime et de dénoncer la situation économique et sociale qui ne cesse de se détériorer.
Ces griefs, qui sont réels, ne semblent cependant pas encore rencontrer un écho auprès des populations, davantage préoccupées par la baisse de leur pouvoir d’achat et les pénuries des produits de première nécessité.
Hier, dimanche 14 janvier 2024, des groupes de l’opposition ont tenu à descendre dans la rue pour célébrer le 13e anniversaire de la «révolution du jasmin», mais si leurs revendications pouvaient paraître légitimes, notamment celles relatives aux droits et aux libertés, clairement muselés depuis la proclamation de l’état d’exception par le président Saïed, le 25 juillet 2021, ils étaient divisés et leur incapacité à se rassembler en un front commun et à parler d’une même voix les empêchent de susciter une réelle adhésion du grand public.
Problèmes restés en suspens
On a ainsi vu parader les mêmes dirigeants qui, au cours des treize dernières années, ont été sur les devants de la scène, notamment ceux d’entre eux qui ont associés au pouvoir de près ou de loin et dont le bilan n’était pas meilleur que celui de l’actuel locataire du palais de Carthage.
Le coordonnateur général de la Coalition Soumoud, Houssem El-Hammi, a beau exhorter «les forces démocratiques à trouver des solutions alternatives pour sortir le pays de la crise actuelle et résoudre ses problèmes restés en suspens», on ne peut pas dire qu’ils ont réussi, lui et ses camarades, à se rallier un grand nombre des Tunisiens.
El-Hammi s’exprimait lors d’un rassemblement organisé dimanche devant le Théâtre municipal de Tunis par une vague Coordination des forces démocratiques progressistes et un incertain Forum des forces démocratiques, tous deux en cours de constitution et dont la mission et le statut restent inintelligibles pour beaucoup de Tunisiens : partis, mouvements, fronts ou simples coordinations pour mener des activités conjointes?
En organisant des marches séparément, pour marquer leurs différences et leurs divergences, le Front du salut national et la Coordination nationale des forces démocratiques n’ont pas réussi à mobiliser un grand nombre de citoyens autour de leurs actions respectives, d’autant que la majorité des Tunisiens se méfient des élites politiques et intellectuelles et ne se reconnaissent pas dans leur combat pour les droits et les libertés.
El-Hammi a indiqué que le Forum des forces démocratiques et la Coordination des forces démocratiques progressistes, deux «machins» dont on a du mal à identifier les convergences et les divergences, s’engagent à proposer des alternatives qui contribueront à remettre le pays sur la voie du pays, alternatives qui, soit dit en passant, restent à élaborer comme si la crise que traverse le pays peut encore supporter des palabres à n’en plus finir.
Le secrétaire général du Courant démocrate Nabil Hajji a affirmé, de son côté, que toutes les forces démocratiques soutiennent les revendications sociales de la révolution tunisienne, principalement la dignité et la liberté, laissant entendre, bien sûr, que les islamistes du mouvement Ennahdha et les libéraux du Parti destourien libre (PDL), dont les principaux dirigeants sont en prison, notamment Rached Ghannouchi et Abir Moussi, ne pourront pas faire partie des deux «machins» ci-haut cités.
Hors de course
Le secrétaire général du Parti des Travailleurs, Hamma Hammami, a pour sa part, appelé à sauvegarder les acquis de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011 qui, selon lui, mérite d’être célébrée par tous les Tunisiens, réduisant ainsi les problèmes du pays à une simple querelle de dates, sachant que le président Saïed considère celle du 17 décembre 2010 comme marquant le déclenchement de la révolution en question.
«Malgré les tentatives visant à célébrer la révolution le 17 décembre au lieu du 14 janvier, la volonté du peuple tunisien d’établir un régime démocratique et de faire respecter l’Etat de droit reste inébranlable», a déclaré le parti Afek Tounes, dans un communiqué de presse publié dimanche. «Il n’y aura pas de retour en arrière en raison du populisme et de la démocratie populaire», a ajouté le parti (aujourd’hui dirigé par Rim Mahjoub, après la démission de Fadhel Abdelkefi), faisant ainsi allusion au régime mis en place par le président Saïed au lendemain de la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021.
Afek Tounes a également dénoncé «les restrictions à la liberté» et «un retour à l’autoritarisme» et déclaré que «les revendications du peuple tunisien, à savoir la dignité, la liberté et la lutte contre la corruption, ne peuvent être satisfaites dans un système politique autoritaire», se disant «déterminé à répondre aux aspirations des Tunisiens à un Etat moderne et libre, capable de garantir une vie décente au peuple et la primauté du droit et du pluralisme».
Au-delà de ces déclarations d’intention et de ces promesses qui ne semblent pas mobiliser beaucoup de monde, le président de la république continue de faire cavalier seul et, à moins d’un an de la prochaine présidentielle, tout semble indiquer qu’il sera le principal sinon le seul candidat à sa propre succession, les sondeurs d’opinion continuant à le donner comme étant en tête des intentions de vote pour la prochaine présidentielle, la plupart de ses adversaires potentiels étant presque tous hors course.
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