L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), traditionnellement perçue comme le défenseur des travailleurs, est aujourd’hui en proie à une crise profonde. Des affaires de corruption, des accusations d’entrave aux opérations économiques, et des allégations d’appropriation de biens gouvernementaux ont ébranlé la confiance du public envers cette institution syndicale.
Par Leith Lakhoua *
Le récent mandat de dépôt émis à l’encontre du secrétaire général de l’UGTT de Kasserine, Sanki Assoudi, pour sa supposée implication dans une affaire de corruption administrative, ainsi que l’arrestation en novembre dernier de Youssef Aouedni, secrétaire général de l’UGTT de Sfax, accusé d’entrave aux opérations maritimes, avant sa remise en liberté provisoire, ont jeté une lumière crue sur les pratiques internes de l’UGTT.
Pire encore, des rumeurs circulent au sujet d’une affaire pendante contre le président de l’UGTT, concernant l’appropriation de locaux gouvernementaux.
Ces scandales, réels ou supposés, font des gorges chaudes dans les réseaux sociaux et suscitent l’indignation des citoyens, dont certains se sont sentis lésés par le manque d’assistance de l’UGTT.
La visite du président de la République, Kaïs Saïed, à la piscine municipale du Belvédère, le 15 février 2024, a mis en lumière ces préoccupations. Le président a écouté les plaintes de citoyens qui se sentaient abandonnés par leur syndicat. Face à cette situation, il a promis d’agir personnellement pour remédier à l’inaction de l’UGTT, trop occupée à colmater les brèches apparues en son sein. Il a aussi souligné que les syndicalistes sont censés défendre les travailleurs, mais ils semblent faillir à cette mission.
Cette crise de confiance n’est pas nouvelle. En 2019, l’UGTT avait déjà été au cœur d’un bras-de-fer avec le gouvernement, en exprimant son désir d’influencer les scrutins législatifs et présidentiels. Cela a soulevé des questions sur le véritable rôle de la centrale syndicale, qui semble s’écarter de sa mission première, qui est de défendre les intérêts des travailleurs, et s’impliquer de plus en plus dans le jeu politique, encouragée en cela par la classe politique elle-même à diverses étapes de l’histoire contemporaine de la Tunisie.
Pour ne rien arranger, le passage en force de l’actuelle direction de l’UGTT, conduite par Noureddine Taboubi, qui, lors du congrès de 2022, a bidouillé le règlement interne de l’organisation pour s’offrir un mandat supplémentaire, a créé une profonde division en son sein.
Le mécontentement s’est récemment exprimé lors d’une manifestation devant le siège de l’UGTT, réclamant le départ de l’actuel bureau exécutif et le retour aux valeurs fondamentales de la centrale syndicale. Les manifestants ont dénoncé le fait que l’UGTT, Prix Nobel de la Paix en 2015, a perdu la confiance de l’opinion publique syndicale, nationale et internationale.
Face à cette crise, il est impératif que le gouvernement et le chef de l’État prennent des mesures pour tenter de rétablir la confiance dans l’UGTT et recentrer son action sur la défense des travailleurs. Il est temps que cette institution historique retrouve sa vocation première et œuvre véritablement pour le bien-être des travailleurs. Toute rupture, dans un sens ou un autre, étant préjudiciable à la paix sociale dans le pays, et pour cause : la centrale syndicale a toujours joué un rôle de médiation et d’équilibre dont notre pays ne saurait se passer.
* Consultant en logistique et organisation industrielle.
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