Que les bailleurs de fonds acceptent de financer un programme coûteux de cartes d’identité et de passeports biométriques dans un pays endetté et en crise économique comme la Tunisie est symptomatique de la vision qu’ils entretiennent de leurs intérêts. En fait, le nord de la Méditerranée se soucie plus de sa sécurité que de la liberté qu’il prétend administrer aux peuples du sud.
Par Dr Mounir Hanablia *
Y aura t il un jour des stents porteurs de puces électroniques? Il faudrait pour cela que la miniaturisation des microprocesseurs le permette. Rien n’interdit de penser qu’un jour le développement des nanotechnologies ne le permette pas. Le stent donnerait alors toutes sortes de renseignements, médicaux mais pas seulement; on pourrait même, pourquoi pas, y insérer son état civil. On n’en est pas encore là et il faudra faire encore assez longtemps avec les bonnes vieilles cartes d’identité.
L’annonce de la prochaine mise en service des nouvelles cartes d’identité biométriques, sans les mentions du conjoint (pour les épouses) ou de la profession a entraîné dans le public tunisien nombre de réactions dénotant une fois encore de la confusion qui règne.
Des représentantes de la gente féminine se sont déclarées favorables à la suppression sur le document du nom du mari, au nom de la liberté, de l’égalité, de la nécessaire évolution des mentalités, rejointes en cela par certains modernistes, et suscitant à contrario chez certains autres des commentaires désabusés sur la disparition prochaine de la famille.
Pour ce qui est du retrait de la profession, les avis sont plus nuancés; il s’agirait d’une exigence égalitariste censée favoriser la neutralité des autorités dans ses rapports quotidiens avec les citoyens, et qui est en accord avec le discours populiste actuel.
Evolution technologique et adaptation législative
Quel impact social cela aura-t-il? Difficile d’y répondre à priori. Mais ces mesures n’iront pas forcément dans le sens de la libéralisation des mœurs. On peut concevoir que les femmes célibataires ou divorcées se sentent désormais moins exposées aux familiarités déplacées, mais en contrepartie et compte tenu des lois, des habitudes et des mœurs en vigueur, le certificat de mariage, ce document qui n’avait plus une grande utilité, va redevenir un accessoire indispensable. Ainsi une évolution technologique s’avère sans objet si elle ne s’accompagne pas d’une législation adaptée.
Relativement à l’abrogation de la mention de la profession, l’objectif poursuivi peut s’avérer vain. Il est en effet facile de situer l’appartenance sociale par le port vestimentaire ainsi que les moyens de locomotion ou de communication. Malgré cela on peut concevoir que l’occultation de la profession puisse donner lieu à une recrudescence d’usurpations de qualité, autrement dit d’escroqueries, dans un pays où la mythomanie a toujours constitué un fléau préoccupant.
Mais le plus important n’est pas là. Il y a déjà longtemps que les téléphones portables et les ordinateurs font office de mouchards. La différence avec une carte porteuse d’une puce électronique est qu’on ne puisse pas désactiver celle-ci, et que tout individu est juridiquement tenu de présenter la sienne lors de tout contrôle éventuel d’identité sous peine de contravention, sinon de détention au moins provisoire le temps de s’en assurer.
Recherche effrénée du contrôle des individus
Néanmoins, les cartes d’identités mises en circulation dans des pays comme la Chine et intégrant des puces électroniques codant les individus et les localisant sont en passe de passer aux oubliettes grâce aux nouvelles techniques de reconnaissance faciale susceptibles de localiser tout individu, même porteur de déguisement. Ainsi l’identité pourra être constamment relevée grâce à toute caméra située en quelque lieu que ce soit et reliée par l’internet à un ordinateur central réunissant toutes les références physiques de la personne, et pourquoi pas son historique, son compte en banque, sa situation matrimoniale ou fiscale, son dossier médical. Et il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit : récemment au Canada une université s’est révélée utiliser la reconnaissance faciale pour identifier ses étudiants, sans que évidemment ceux-ci ne le sachent.
En conclusion, il n’y a pas lieu de se réjouir. Dans la recherche effrénée du contrôle des individus par les États, les renseignements portés sur des supports écrits tels les situations professionnelle et matrimoniale, ou même les nom et prénom, n’ont plus aucune utilité, et leur retrait ne saurait donc être comptabilisé au bénéfice d’un quelconque respect des libertés. Bien au contraire, celles-ci sont chaque jour toujours plus rognées, même dans les sociétés dites démocratiques. Et jusqu’à preuve du contraire, aucun parlement dans le monde n’a réglementé dans le sens des libertés l’usage des nouvelles technologies de surveillance dans les espaces publics; seul l’impératif sécuritaire prime, l’épouvantail islamiste y ayant largement pourvu.
De surcroît, que les bailleurs de fonds acceptent de financer un programme coûteux de cartes d’identités et de passeports biométriques dans un pays endetté et en crise économique est symptomatique de la vision qu’ils entretiennent de leurs intérêts. En fait, le nord de la Méditerranée se soucie plus de sa sécurité que de la liberté qu’il prétend administrer aux peuples du sud.
* Médecin de libre pratique.
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