Kaïs Saïed ne cesse de critiquer l’administration publique dont il est censé être le premier responsable, considérant qu’elle ne joue pas convenablement sa mission et est responsable de la lenteur dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Mais comment venir à bout de ce malentendu, qui alourdit l’atmosphère au sein de l’Etat ? Et comment débloquer une machine étatique de plus en plus grippée ?
Par Imed Bahri
Hier encore, jeudi 28 mars 2024, le président de la république est revenu à ce sujet en rencontrant, au Palais de Carthage, le Premier ministre Ahmed Hachani et le ministre de l’Intérieur Kamel Feki, en soulignant la nécessité pour l’administration de servir les choix faits par le peuple tunisien. «Souvent, les décisions ne sont pas mises en œuvre ou sont retardées sous prétexte de respecter des procédures qui sont allongées ou raccourcies selon la volonté de ceux qui sont chargés de leur mise en œuvre», a-t-il déclaré, selon un communiqué de la présidence publié à l’issue de la rencontre.
Le chef de l’Etat a également appelé les autorités locales et régionales à remplir leurs devoirs au mieux de leurs capacités, à répondre aux problèmes des citoyens et à être un exemple d’intégrité. «Tout responsable local ou régional doit se rappeler qu’il représente l’Etat et doit s’efforcer de préserver son unité et d’assurer l’harmonie entre toutes ses institutions», a-t-il expliqué.
Sévir contre les défaillants et les récalcitrants
En fait, Saïed cherche ainsi à renvoyer la responsabilité des manquements, des carences et des dysfonctionnements reprochés à son pouvoir à une administration publique, nationale, régionale et locale, qui, selon lui, rechigne à exécuter les tâches qui lui sont confiés.
Ces déclarations ne sont pas nouvelles; elles ont déjà été faites en d’autres occasions, et elles sont même devenues ennuyeusement répétitives. Mais le président de la république a cru devoir les réitérer le même jour où le ministère de l’Intérieur a annoncé le limogeage des premiers délégués de Sfax et de Kairouan, laissant ainsi entendre que le magistrat suprême est prêt à sévir contre les défaillants et les récalcitrants, sachant qu’avant ces «petites frappes», un grand nombre de hauts responsables, dont plusieurs ministres, ont aussi été remerciés sans ménagement, et sans que l’opinion publique ne soit informée des raisons de leur limogeage.
Tout cela prouve au moins que quelque chose ne tourne pas rond dans les rouages de l’Etat, où les directives présidentielles ne sont pas mises en œuvre avec la célérité requise par ses «subalternes». Pourquoi ces derniers rechignent-ils à exécuter les missions qui leur sont confiées? Est-ce qu’ils cherchent délibérément à boycotter le chef de l’Etat et à l’empêcher de mettre en œuvre ses projets et à réaliser ses promesses? Auquel cas, les limogeages ne sauraient être des réponses adéquates et encore moins des solutions suffisantes à un si grave problème de gouvernance.
Bloquer davantage une machine déjà bloquée
Sur un autre plan, une telle administration, qui empêche ou ralentit la réalisation des projets, pourrait-elle se transformer d’un jour au lendemain pour retrouver, comme par une baguette magique, la réactivité, la célérité et l’efficacité requises à son bon fonctionnement par la simple peur qu’instaure dans ses rangs les limogeages qui se suivent et se ressemblent, sans effet notable jusque-là sur la bonne marche de l’Etat ? Et si ces limogeages, par la manière brutale dont ils sont annoncés, contribuaient, au contraire, à bloquer davantage une machine déjà bloquée, en poussant ces chers ronds de cuir à faire le dos rond, à temporiser et à se dérober à leurs responsabilités, de peur de se voir reprocher demain, à la faveur d’un quelconque changement, telle ou telle décision mal pesée et poursuivre en justice pour corruption, comme cela est déjà arrivé à beaucoup d’entre eux ?
Il y a sans doute un malentendu au sein de l’exécutif que les menaces réitérées par le président de la république de sévir contre ceux qui empêchent le bon fonctionnement de l’Etat, ou qui se mettent au service de lobbys d’intérêt, n’aident pas à dissiper ?
Or, on le sait, dans la vie en général, et dans la vie publique en particulier, tout fonctionne à la confiance, et lorsque la confiance est rompue ou que la suspicion commence à régner à tous les étages, on ne peut s’attendre à ce que le zèle des patriotes triomphe de l’immobilisme, du laisser-aller et du laxisme des carriéristes à la petite semaine.
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