L’échec cuisant de la lutte contre l’abandon scolaire en Tunisie

En Tunisie, 83% des candidats de la 9e année de base et 75% des candidats de la 6e année primaire se trouvent en situation de quasi-analphabétisme, soient 50 000 enfants analphabètes quittent les bancs de l’école chaque année après 9 ans de scolarisation et de dépenses nationales et familiales. Qu’a-t-on fait pour mettre fin à cette hécatombe qui dure depuis de nombreuses années ? Rien du tout…

Jamel Sakrani *

Dans le cadre de la lutte contre l’abandon scolaire, le phénomène le plus inquiétant pour la  société tunisienne, le ministère de l’Éducation, appuyé par le Bureau de l’Unicef à Tunis, a lancé en 2018 le M3D (Modèle intra-scolaire de lutte contre l’abandon et l’échec scolaire basé sur 3 dispositifs) devenu M4D plus tard après avoir ajouté un quatrième dispositif.

Pour lancer un projet d’une telle ampleur et au coût exorbitant, le ministère de l’Éducation doit être conscient de la gravité du décrochage scolaire. Encore faut-il qu’il réussisse dans sa mise en œuvre et enregistre des avancées sur ce front de l’abandon scolaire, fut-elles minimes. Et c’est là où me bât blesse…  

Mais d’abord, qu’est-ce que le M4D? Quel est le taux d’achèvement de ce projet? Quelle est sa couverture? Et quelle est la qualité de ses outputs?

Le M4D est un projet qui vise à réduire l’échec scolaire avec des mesures de prévention et de re-médiation. Un consortium composé d’experts nationaux et internationaux ont développé à cet effet, avec des acteurs de terrain, les 4 dispositifs de ce modèle que l’on peut consulter sur le site officiel de l’Unicef).

Espoir perdu et chaos du pilotage

Au démarrage du projet, ces dispositifs ont été déployés dans 9 sites pilotes (2 écoles primaires et 7 collèges et lycées) en vue de leur généralisation par la suite. Mais malgré l’engagement affiché par les acteurs régionaux (les équipes locales de chaque site pilote formées d’inspecteurs, de psychologues, de conseillers en orientation, etc.), le M4D se trouve toujours, 6 ans après sa mise en route, avec les mêmes 9 sites pilotes et une couverture partielle des dispositifs.

La conduite et le pilotage de ce projet ont été confiés à la Direction générale de l’enseignement secondaire et du cycle préparatoire. Depuis son lancement, cette structure a connu 4 changements à sa tête et des dizaines de changements au niveau du reste des fonctions. Étant donné que la passation dans la fonction publique est une affaire purement festive (prise de photos, fleurs, boissons, salés et sucrés), personne au ministère de l’Éducation ne détient aujourd’hui tout le dossier du M4D. C’est un chaos total dans un projet des plus coûteux du ministère si ce n’est pas le plus coûteux

Avec taux d’achèvement du projet bizarrement négatif de -0,06%, un taux de couverture de 0,044% au primaire et 0,49% aux collèges et lycées, on peut dire que le M4D offre l’exemple parfait de la défaillance du système de gestion des services publics et de l’accumulation des échecs de ses responsables.

Echec de la lutte contre l’échec

Une étude lancée par l’Unicef et l’Unesco et publiée en octobre 2014 a révélé que 200 000 enfants Tunisiens âgés de 5 à 14 ans sont concernés par les différentes dimensions d’exclusion scolaire, soit environ 12%. Plus de 100 000 enfants soit plus que la moitié (60%) se trouvent en situation de risque d’abandon. Ces chiffres ne cessent d’augmenter d’une année à l’autre accompagnés d’une croissance très alarmante du taux d’analphabétisme.

Le 18 septembre 2022, Fathi Sellaouti, alors ministre de l’Education, déclarait sur Shems FM que 83% des candidats de la 9e année de base et 75% des candidats de la 6e année primaire sont en situation de quasi-analphabétisme, soit 50 000 enfants analphabètes se trouvant en dehors de l’école chaque année et après 9 ans de scolarisation et de dépenses nationales et familiales. C’est un véritable «crime contre l’humanité» et un vrai désastre qui indique sans doute l’échec de toutes les initiatives de lutte contre l’échec scolaire à cause d’une bureaucratie aussi incompétente que couteuse et nocive.

* Fonctionnaire au ministère de l’Education.

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