Les Américains ont-ils sonné le glas des milices irakiennes ?

Alors que la République islamique d’Iran se morfond dans ses propres crises, que l’Axe de la Résistance agonise, que les États-Unis veulent en finir avec les milices pro-iraniennes en Irak et qu’Israël menace de les bombarder, celles-ci sont divisées entre celles qui ont compris que les temps ont changé et celles -comme le Hezbollah irakien- qui s’obstinent à se maintenir. Pendant plus de deux décennies, les sulfureuses milices qui ont commis beaucoup d’exactions ont soufflé le chaud et le froid sur le pays mais aujourd’hui la donne a incontestablement changé. 

Imed Bahri

Le quotidien londonien arabophone Asharq al-Awsat est revenu sur la crise existentielle que vivent aujourd’hui les milices irakiennes et indique que Bagdad attend la visite prévue de l’envoyé spécial du président américain, Mark Savaya, qui arrivera avant la fin de l’année à la tête d’une délégation de l’administration américaine. En parallèle, les opinions et les positions divergent quant aux appels à ce que l’État ait le monopole de la possession des armes, appels qui, pour la première fois, ont reçu une réponse rapide de la part d’un grand nombre de factions armées. 

Des sources gouvernementales irakiennes ont confirmé aux médias locaux que l’envoyé spécial américain Mark Savaya, accompagné de plusieurs responsables américains, se rendra prochainement à Bagdad pour rencontrer des représentants du gouvernement irakien et divers dirigeants politiques afin de discuter de questions importantes concernant l’évolution de la situation au Moyen-Orient et sa stabilité, ainsi que des relations économiques, des partenariats, des investissements américains et des priorités de la phase actuelle, notamment les questions politiques et sécuritaires auxquelles sont confrontés l’Irak et la région en général.

Les pressions américaines

Selon ces mêmes sources la délégation abordera également les mécanismes permettant d’élargir le champ du partenariat et le consensus politique concernant certaines visions de la situation régionale, ainsi que les solutions proposées pour faire face aux crises et aux défis.

Des sources ont indiqué que Savaya transmettra aux forces irakiennes les messages américains, notamment les résultats des travaux menés sur plusieurs dossiers et points faisant l’objet d’un accord entre Bagdad et Washington, ainsi que les perspectives d’un véritable partenariat, en particulier concernant le retrait des forces américaines selon le calendrier établi, la gestion de la prochaine phase fondée sur le principe du partenariat de sécurité, et les plans d’armement des forces irakiennes.

Depuis sa nomination, Savaya, d’origine irakienne, a suscité une vive polémique en raison de ses écrits. Il y appelle explicitement à mettre fin à l’existence des milices armées et à empêcher leur participation au gouvernement et met en garde l’Irak contre un retour à un «cycle de complications»

Les forces politiques irakiennes sont engagées dans d’ardues négociations au sein des trois principaux blocs (chiite, sunnite et kurde) afin de s’entendre sur les candidats aux trois présidences (république, gouvernement et parlement), dans un contexte de profonds désaccords au sein de chaque bloc.

Parallèlement, le président du Conseil supérieur de la magistrature, Faiq Zaidan, a déclaré que les délais constitutionnels pour la désignation des présidents, dont le compte à rebours débute le 29 de ce mois, date de la première session parlementaire, ne sont pas susceptibles de prolongation. 

Malgré les réunions en cours entre les partis ayant obtenu gain de cause au sein des trois blocs, les désaccords persistent. Dans le même temps, la pression américaine s’intensifie, non seulement concernant la formation rapide du prochain gouvernement mais aussi concernant l’exclusion des milices armées. Cette situation a incité plusieurs forces politiques chiites, représentées au Parlement depuis plusieurs mandats et disposant de branches armées, à revoir leur discours politique.

À Bagdad, les observateurs politiques estiment que les tentatives de certaines de ces forces –qui disposent encore de branches armées ou de brigades au sein des Forces de mobilisation populaire– de modifier leur discours pour mieux s’aligner sur l’État et les politiques gouvernementales arrivent trop tard, compte tenu des exigences croissantes des États-Unis. Ces exigences incluent la possibilité de frappes contre ces factions et leur exclusion du prochain gouvernement.

L’exclusion de ces factions constitue l’un des défis majeurs auxquels sera confronté tout futur Premier ministre, étant donné qu’ils ont 80 sièges au Parlement actuel. Les exclure par la force pourrait donc les inciter à adopter une position d’opposition farouche envers tout futur gouvernement.

Tandis que les services de renseignement irakiens niaient l’existence de tels avertissements aux forces politiques irakiennes et qu’un responsable gouvernemental irakien confirmait que des mises en garde avaient été émises concernant la possibilité d’une frappe militaire contre les sites, les personnalités et les dépôts d’armes des milices, la réaction rapide de certaines de ces factions aux appels à la confiscation des armes par l’État, selon les observateurs, allait des pressions américaines aux conseils du président du Conseil supérieur de la magistrature, Faiq Zaidan, qui remercia les factions d’avoir suivi ses recommandations.

Rendre les armes à l’État

Les observateurs politiques estiment que les pressions américaines sont la cause directe du changement de position des groupes armés en Irak, d’autant plus que les chefs religieux, notamment l’establishment religieux de Najaf représenté par le grand ayatollah Ali al-Sistani, ainsi que des figures politiques clés, avaient appelé à plusieurs reprises, au fil des ans, les factions armées à rendre leurs armes à l’État, sans obtenir de réponse similaire. Sayyed Ammar al-Hakim, figure chiite religieuse et politique de premier plan, a réitéré samedi 20 décembre un appel dans ce sens. Des déclarations officielles en faveur du désarmement ont été publiées par Shibl al-Zaidi, secrétaire général des Brigades de l’Imam Ali, suivies d’appels de Qais al-Khazali, secrétaire général d’Asa’ib Ahl al-Haq ainsi que de la faction Ansar Allah al-Awfiya et du porte-parole des Brigades Sayyid al-Shuhada.

Par ailleurs, le revirement rapide des factions armées ou des forces politiques dotées d’une branche armée concernant leurs positions antérieures sur la question des armes a engendré une profonde division au sein de ces factions. Cette division s’est traduite par une acceptation conditionnelle, subordonnée à des garanties relatives au mécanisme de désarmement et à la remise des armes au gouvernement, et par un rejet catégorique de la part des factions Kataïeb Hezbollah et Harakat al-Nujaba, qui ont publié des déclarations officielles s’opposant à cette initiative. Kataïeb Hezbollah (le Hezbollah irakien) a réaffirmé dans un communiqué son refus du désarmement soulignant que «la souveraineté, le maintien de la sécurité en Irak et la prévention de toute ingérence étrangère sont des conditions préalables à toute discussion sur le monopole de l’État sur les armes», ajoutant : «Notre position est conforme aux directives de nos autorités religieuses, une fois ces conditions remplies».

Pour sa part, Harakat al-Nujaba, la seule faction armée sans représentation parlementaire ou gouvernementale, a affirmé poursuivre sa résistance contre les Américains par tous les moyens.

Il est à signaler que des sources bien informées ont indiqué à Asharq Al-Awsat que des responsables irakiens avaient reçu ces derniers jours une base de données de sécurité israélienne très détaillée sur les factions armées irakiennes. Transmise par l’intermédiaire d’un service de renseignement occidental, cette base de données contenait des informations exhaustives sur la direction, la structure militaire, les réseaux financiers et les entités gouvernementales liées à ces groupes.

Les sources ont précisé que le volume et la précision des données avaient stupéfié les responsables et constituaient un avertissement clair quant à une possible opération militaire imminente.

La transmission de ce fichier massif de données fait suite à un avertissement d’un État arabe ami, informant Bagdad qu’Israël cherchait à obtenir le feu vert des États-Unis pour agir unilatéralement en Irak, Washington se montrant de plus en plus impatient concernant la question des armes hors de contrôle étatique. Un responsable irakien a confirmé que les messages étaient bien parvenus à Bagdad.

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