Bani-Sadr, Radjai, Khamenei, Rafsandjani, Khatami, Ahmadinejad, Rohani.
La plupart des présidents de la république islamique d’Iran ont été rejetée par la théocratie en place à Téhéran. Décryptage.
Par Hamid Enayat *
Le frère et conseiller spécial du président iranien Hassan Rohani a été écroué, dimanche 16 juillet 2017, pour délits «financiers», avait annoncé le porte-parole de la justice à Téhéran.
Le nom de Hussein Fereydoun, frère du président, a été cité depuis plus d’un an dans plusieurs affaires de corruption, notamment des délits bancaires. Celui-ci a cependant été libéré sous une caution de 50 milliards de tomans (environ 14,7 millions de dollars). Gholam-Hussein Mohseni-Ejé’i, le porte-parole de la justice a assuré que «l’affaire poursuivra son cours».
La théocratie veille au grain
Le personnage et la date de la mise en examen sont significatifs. Hussein Fereydoun a joué un rôle clé dans les pourparlers nucléaires et a été surnommé pour cela «les yeux et les oreilles de Rohani dans les négociations». Le grand hasard a voulu qu’il ait été arrêté le jour du second anniversaire des accords nucléaires entre l’Iran et les 5+1 (2015).
Le nombre des officiels et d’anciens officiels iraniens impliqués dans des délits financiers ne se comptent plus. Pourquoi alors avoir choisi le frère et lieutenant du président de la république islamique, juste le jour où celui-ci est censé fêter l’accord sur lequel il a parié toute sa carrière?
Ce n’est pas là la première mise en garde que lance le Guide suprême de la théocratie iranienne à son président.
Depuis la présidentielle du 19 mai dernier, Ali Khamenei continue de fulminer contre Hassan Rohani à toutes les occasions qui se sont présentées, n’hésitant même pas à le menacer de destitution par des mots détournés.
L’écart se creuse, dans le sérail, entre le clan des Gardiens de la Révolution (le CGRI) et les grands commerçants. Le cœur du conflit réside dans les revenus et les grands chantiers entretenus par le gouvernement, dans lesquels le clan dominant veut une part de lion.
On est loin du bout du tunnel dans cette querelle qui fait rage depuis le début de la théocratie qui a l’habitude de régler brutalement ses différends.
La république islamique a connu sept présidents depuis son avènement. Aucun, hormis Khamenei qui est devenu plus tard Guide suprême, n’a eu la peau sauve jusqu’ici.
Petit dictateur deviendra grand
Abolhassan Bani-Sadr, le premier président de la théocratie, a été évincé par l’Ayatollah Khomeiny, quelques mois seulement après son investiture. Le vieil ermite aux sourcils broussailleux n’a pas hésité à écarter son fils adoptif, dont il n’a pas pardonné son rapprochement de l’opposition.
Lui a succédé Ali Radjai, un «pur et dur» de Khomeiny dont le mandat fut très court. Celui-ci et son Premier ministre, Mohammad-Javad Bahonar, ont disparu dans une explosion dans les bureaux de la présidence à Téhéran.
Ali Khamenei a été le troisième président de la théocratie de Téhéran. Il avait été placé à sa juste place par Khomeiny quand il avait voulu faire passer une loi au Majlis qui ne plaisait pas au Guide suprême. S’il a pu s’en tirer et succéder à Khomeiny pour devenir à son tour Guide suprême, le destin de son Premier ministre, Mir Hossein Moussavi n’a rien d’enviable. Après une trentaine d’année de vie à l’écart de la politique, celui-ci est revenu lors des élections présidentielles de 2009 qui ont dégénéré en une émeute générale contre le pouvoir. Il se trouve actuellement en résidence surveillée, interdit de toute apparition publique.
La quatrième président, Ali-Akbar Hachemi Rafsandjani, a connu un sort plus malheureux encore. Celui qui a longtemps fait espérer l’Occident d’un Thermidor iranien, a été malmené des années durant par les proches de Khamenei dans le sérail, avant de disparaître dans des circonstances plus que douteuses, le 8 janvier dernier : arrêt cardiaque pour la version officielle, noyé dans la piscine réservée aux hautes autorités, pour la version officieuse.
Son successeur Mohammad Khatami, lui aussi interdit de toute apparition publique, avec, en plus, «sa photo interdite de publication».
Quant au turbulent Mahmoud Ahmadinejad, qui fut longtemps le chouchou du Guide suprême et l’avait soutenu au prix d’une répression sanglante des émeutes de 2009, il a vite fait de tourner la veste et de contester le pouvoir absolu d’Ali Khamenei, qu’il qualifie aujourd’hui de «dictateur». Après s’être porté candidat à la présidentielle de 2017, malgré et contre l’avis de celui-ci, il a été jugé «incompétent», avant de voir l’un de ses lieutenants, Hamid Bagha’i, derrière les barreaux.
Le 11 juillet dernier, Ahmadinejad, qui fut lui-même surnommé «le petit dictateur» pendant l’exercice de son mandat («petit» pour sa taille), a écrit une lettre ouverte contre l’arrestation de son lieutenant, dans lequel il a accusé le pouvoir en place d’«oppression» et dénoncé «les tortures» et les «excès» dans les prisons iraniennes. Le sinistre procureur de Téhéran, Abbass Jaâfari-Dolatabadi, n’a pas attendu 36 lunes pour réagir. «Le contenu de cette lettre constitue un délit», a dit le procureur lors d’une conférence de presse, le même jour, avant de menacer «le monsieur qui a eu des responsabilités dans le passé» de «poursuites judiciaires».
Aujourd’hui, la théocratie ne fait l’éloge d’aucun de ses anciens présidents, ni de celui qui est en exercice. Semant l’instabilité politique dans son environnement depuis son avènement, la république islamique semble rattrapée par ce qu’elle a semé durant son existence.
* Journaliste et militant des droits humains iranien basé à Paris.
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