Kaïs Saïed et Abdelmadjid Tebboune avançant main dans la main sur le tapis rouge à la descente d’avion du président tunisien, arrivé vendredi 1er mars 2024 à Alger pour une visite de deux jours. Qu’il ait été voulu ou spontané, le geste est inhabituel, s’agissant de deux chefs d’Etat, mais il n’en est pas moins significatif des liens, «assez particuliers» dirait l’autre, entre les deux pays.
Par Imed Bahri
Ces liens, malgré les vicissitudes de l’histoire et les rares moments d’incompréhension les ayant ponctués, ont souvent été excellents, qui traduisent des liens encore plus forts entre les deux peuples, une proximité géographique, une histoire commune et des intérêts imbriqués. Mais depuis l’arrivée de Kaïs Saïed et Abdelmadjid Tebboune à la tête de leurs Etats respectifs, ces liens ont connu un grand affermissement que les deux hommes ont souvent tenu à ostensiblement afficher, même si, au passage, ce sont les relations entre Tunis et Rabat qui en ont payé les frais. Et l’image des deux hommes se tenant la main et marchant d’un même pas ne va sans doute pas arranger les affaires tuniso-marocaines, sachant les susceptibilités marquant les relations traditionnellement tendues entre nos deux voisins de l’ouest.
Bien sûr, si M. Tebboune a de bonnes raisons de goûter ce moment de grande affinité avec son homologue tunisien, ce dernier n’est pas mécontent lui non plus de montrer à ses détracteurs qu’il n’est pas complètement isolé sur la scène internationale et qu’il peut toujours compter sur de solides amitiés à l’extérieur, même si celles-ci deviennent de plus en plus rares.
Le gaz en partage
Qu’elle ait été voulue ou spontanée, cette image est très significative du besoin qu’ont les deux hommes de montrer qu’ils ont le même tempérament baroudeur, qu’ils s’entendent bien et qu’ils comptent continuer à marcher côte à côte et main dans la main sur la voie qu’ils s’étaient tracée sur la scène régionale et internationale, quitte à faire grincer des dents et à alimenter, au passage, quelques inimitiés, au nord comme à l’est (Egyptiens, Saoudiens ou Emiratis ne doivent pas apprécier. C’est un euphémisme).
Pour l’histoire, il convient de rappeler que Saïed est à Alger en tant qu’invité d’honneur du 7e Forum des présidents et chefs de gouvernement des pays exportateurs de gaz, que l’Algérie abrite du 29 février au 2 mars. Et qu’il est accompagné dans cette visite du ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Nabil Ammar, et de la ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, Fatma Thabet Chiboub.
Il n’est pas sûr que l’avenir du gazoduc Transmed permettant de transporter le gaz algérien vers l’Italie via la Tunisie soit discuté à cette occasion. Mais rien n’empêche qu’il le soit, le gaz étant au centre de la rencontre d’Alger.
Mis en service en 1983, ce gazoduc part de Hassi R’Mel, parcourt 550 km en territoire algérien, avant d’entrer en Tunisie, qu’il traverse sur 370 km, avant d’atteindre la côte à El-Haouaria (au cap Bon), où commence une première section sous-marine de 155 km vers les côtes italiennes. En contrepartie de la traversée de son territoire et de l’entretien qu’elle assure sur sa section, la Tunisie reçoit environ 6% du gaz transporté et cette quote-part assure, on l’imagine, une part importante des besoins de notre pays en gaz naturel. Le projet de doublement de la capacité de ce gazoduc, auquel semble beaucoup tenir le partenaire italien, fera sans doute l’affaire des Algériens et des Tunisiens.
Des intérêts imbriqués
On comprend dès lors l’intérêt stratégique que la Tunisie accorde à ses bonnes relations avec sa «grande voisine», à laquelle elle est également liée par des liens humains, culturels, sécuritaires, économiques et commerciaux, sans parler des centaines de milliers de touristes algériens qui passent chaque année leurs vacances dans les stations balnéaires de Tabarka, Hammamet et Sousse.
Certes, certains critiques voient dans le souci de la Tunisie d’harmoniser ses positions avec celles de l’Algérie, notamment sur le plan international, une sorte de «vassalisation» du «petit» pays maghrébin par son «grand» voisin, mais une telle approche est excessive et injuste car elle sous-estime l’imbrication des intérêts des deux pays et le besoin qu’ils ont l’un de l’autre pour maintenir la stabilité à l’intérieur de leurs frontières et dans la région de façon générale.
Dans ce contexte, la lutte contre les groupes terroristes infestant les zones montagneuses à la frontière deux pays et la conjugaison des efforts pour contenir les flux des migrants subsahariens traversant ces mêmes frontières pour atteindre les côtes tunisiennes, point de départ des barques de la mort vers les côtes européennes, sont deux autres points chauds de la coopération entre les deux pays. Les deux chefs d’Etat le savent mieux que quiconque et œuvrent au maintien de leurs relations au beau fixe, quitte à y mettre un chouia d’engagement personnel voire subjectif.
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