Le concours annuel destiné à élire la plus belle jeune fille de France a lancé ses hostilités et des hostilités. Le point de discorde? La participation de Miss Nord Pas-de-Calais. Envisagée comme l’une des favorites, Sabah Aïb se présente comme une Française d’origine algéro-marocaine. Ce qui ne semble pas plaire à tout le monde.
Jean-Guillaume Lozato *
Miss France. Un titre convoité qui résonne comme le nom d’une institution. Avec tout ce que cela comporte de prestige et de compétition. Créé en 1920, ce concours repose sur des critères d’esthétique et de bienséance bien précis, destinés à représenter la France sous un angle le plus fascinant possible.
Hélas, la bienséance a été malmenée ces dernières semaines à en juger par les réactions des internautes. Parmi ces derniers, certains ont proféré des propos injurieux allant jusqu’à la menace à l’encontre de la représentante de la Région Nord Pas-de-Calais. Chassez le naturel, il revient au galop.
Une candidate venue du sud de la France
Sabah Aïb est née dans l’est de la France, il y a bientôt dix-neuf ans. Puis la vie l’a amenée à poursuivre son existence dans la pointe nordique de la France. Grande (1,73 mètre), belle, mince, les cheveux bouclés dont la luminosité renvoie à la clarté de ses yeux entre le bleu et le bleu-vert, la candidate du jour au titre de plus belle femme de France a déjà accumulé pas mal d’expérience dans le monde si exigeant du mannequinat et des défilés.
Pour ce qui est des projets, la jeune fille passionnée de danse a pour premier objectif le couronnement. Elle caresserait également le projet de devenir avocate. Ce qui n’a rien d’étonnant si on prend en compte du fait qu’elle soit fille d’enseignants. Et à propos de filiation, notons que ses parents sont originaires du Maghreb. Exactement d’Algérie du côté paternel et du Maroc sur le versant maternel. Sans pour autant militer ostensiblement pour le Grand Maghreb, l’actuelle Miss Nord Pas de Calais ne cache pas pour autant l’ethnie de son socle familial. Mais ces considérations de base lancent un débat dans l’Hexagone.
Le retour aux sources
Nous assistons à une sorte de retour aux fondamentaux. Professionnellement et politiquement, cet événement dans l’événement n’est pas un épiphénomène en ce sens qu’il s’agit d’un type de manifestation protéiforme.
Le comité Miss France cherche apparemment à faire preuve de la plus grande objectivité possible en proposant un panel de femmes aux origines socio-etniques variées. Que ce soit au niveau des candidates retenues ou que ce soit au niveau de l’organigramme incluant la direction, la présidence ou l’équipe chargée du management et de la communication. L’honnêteté, alliée à l’esprit de compétition, est la base de cette course à l’esthétisme.
C’est sur le plan politique et médiatique que cette année 2024 est plus polémique. De l’aveu de Sabah Aïb, elle aurait été l’objet d’incompréhensions, d’insultes et de menaces en raison de ses origines situées en Afrique du Nord. Des agissements intolérables mais hélas si prévisibles.
Motivations des uns et des autres
La première des motivations pour toutes les «miss» est de gagner le droit à l’accès de la première marche du podium. La première des motivations pour les sélectionneurs de la société Miss France est de faire rêver à travers la beauté et d’exalter la France à travers une recherche au profit de l’esthétisme.
En parallèle et en porte-à-faux de cet état d’esprit, apparaissent d’autres motivations par d’autres interlocuteurs. Le racisme en fait partie. Avec la possible victoire de ce qui serait la première Miss France d’origine maghrébine, la récupération sera inévitable. D’une part par les apôtres du wokisme ou de la victimisation. D’autre part par l’extrême droite qui aura le choix entre deux tactiques. La première : contester une telle élection au nom de la pureté nationale (gauloise ? aryenne ?). La seconde en applaudissant à une intégration par l’assimilation esthétique puisque Sabah Aïb n’est pas caractérisée par un physique arabo-berbère prononcé; il s’agit là de la porte ouverte vers un conformisme servant autant les disciples de la mondialisation, jusqu’à ceux de l’extrême gauche tablant sur l’uniformité (souvenons-nous du concept de l’Homo Sovieticus…) comme prétexte au totalitarisme. Oui, la dictature passe aussi par l’apparence. Tout est prétexte au diktat, y compris imposer les canons de la beauté.
Une aube franco-maghrébine
«La beauté est ce qui désespère», invoquait Paul Valéry. Ce pourrait être l’axiome régissant désormais un 21e siècle où, avec la mondialisation accrue, l’autoroute de la beauté voit des convois roulant à contre-sens au nom d’une concurrence régulant le trafic à la façon d’une piste d’auto-tamponneuses.
Une dialectique reste à construire. La simple participation de Sabah Aïb ouvre déjà la brèche d’une ou plusieurs interrogations. Dans la langue arabe, son prénom correspond à la traduction de «matin» ou «aube». Espérons qu’il s’agira d’une lumière bénéfique pour montrer la voie de la conciliation, vers la réconciliation. Après le printemps arabe, une aube franco-maghrébine est à souhaiter. Mais la partie est loin d’être gagnée. Puisse le regard passant du bleu au bleu-vert de Sabah nous indiquer cette voie vers un horizon plus dégagé dans ce pays qui a été la patrie, ne l’oublions pas, de la Philosophie des Lumières.
* Enseignant universitaire et écrivain.
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