Nous publions ci-dessous la «Lettre ouverte d’un associé paumé à un actionnaire lésé d’une clinique tunisienne avant l’assemblée générale», sous le titre «Des morts privés de dividendes», et qui révèle des distorsions, inacceptables au regard de la loi et de la morale, dans la gestion de l’établissement privé.
Par Dr Mounir Hanablia *
Mon cher collègue;
Ayant été étroitement en contact avec le Covid, je ne pourrai malheureusement pas répondre à ton invitation, celle de discuter, que tu m’avais adressée suite à mon premier écrit dans lequel je dénonçais la persistance de la clinique à ignorer les droits que ma situation d’actionnaire me confère naturellement, tels que reconnus par l’article 1249 du Code des obligations et des contrats ( COC), et stipulant la mise en commun des biens et/ou du travail, en vue de partager «le bénéfice» qui pourra en résulter.
Aussi, et quand le directeur médical confie un Libyen ou un Malien à un médecin consultant dans le cadre d’une convention établie avec la clinique, nul ne niera que cela entre dans le cadre de ce bénéfice, même si dans le rapport financier, on s’obstine à qualifier cela de «Passif courant», au fond pas si courant que cela puisqu’il se chiffre cette année à 14 millions de dinars.
L’intérêt particulier contre l’intérêt général
Il m’a donc paru préférable de t’écrire publiquement dans l’espoir que nos co-sociétaires qui sont aussi concernés que nous par le sujet en tirent éventuellement les conclusions qui s’imposent, tout en te dédouanant de toute accusation qui pourrait te gêner dans la tentative de lever les torts que la majorité des actionnaires t’a injustement portés ainsi qu’à l’une de tes collègues, au nom de l’intérêt général.
L’article 557 du COC évoque le choix de l’intérêt général contre l’intérêt particulier, lorsqu’ils sont inconciliables. Or depuis l’ouverture d’un laboratoire d’analyses médicales à quelques mètres de la clinique, il n’y a plus d’intérêt général en jeu, celui des malades bien sûr, pour exiger une installation semblable «in situ» dans la structure médicale. Quant à l’intérêt financier éventuel de la société, il ne paraît pas non plus évident, du moment que tout médecin soit libre de faire appel au laboratoire de son choix.
En outre, avec l’installation d’un Data Center (pourquoi pas un Computing Cloud ???), l’achat d’un nouvel IRM, les cages des ascenseurs, le système d’avertisseur des infirmiers, la mise à niveau du dispositif anti incendie, de l’installation électrique, la rénovation de la salle d’opérations n° 3 et de l’USIC, le moment paraît plutôt mal choisi pour installer un laboratoire dont on s’était passé pendant plus de 20 ans. On ignore à combien tout ceci va se chiffrer ni comment on va le financer, mais il semble bien que cela ne soit pas l’affaire des actionnaires.
Liens avec des groupes armés irréguliers dans un pays voisin
Il y a deux années une demande d’explications dont l’objet était entre autres une convention établie par le biais d’un ancien directeur général avec une partie étrangère, avait révélé des liens avec des groupes armés irréguliers situés dans un pays voisin, désireux de faire soigner leurs blessés dans la structure.
Que les médecins traitants ne soient pas tenus de connaître les opinions des patients qu’ils prennent en charge se situe dans l’ordre normal des choses. Mais que la société qui gère la clinique, même si elle est composée de médecins, ne daigne pas s’enquérir de ses interlocuteurs, ou outrepasse ses droits en établissant une convention avec un consulat étranger, peut poser problème, particulièrement quand la convention stipule certains arrangements financiers, et que le résultat d’exploitation se monte aux créances remboursées par cette même partie étrangère amputées de sommes supérieures à ces mêmes arrangements.
Des morts convoqués aux assemblées générales
Cette affaire a été portée à la connaissance des autorités, elle ne pouvait pas ne pas l’être, mais d’aucuns au sein de la clinique ont choisi de sévir contre celui qui leur apprenait qu’il y avait des choses qu’il valait mieux ignorer. Sévir est d’ailleurs un grand mot, et il s’agit plus d’une affaire d’orgueil que de portefeuille. Mais il y a différentes façons de punir dans la clinique, et l’une est de s’abstenir d’acheter les actions lorsqu’elles sont mises à la vente. Il y a à cet effet dans la liste des actionnaires au moins deux personnes décédées, dont on semble considérer la mort comme un motif insuffisant pour acquérir leurs parts du capital social, et qu’on continue sans doute de convoquer par lettres recommandées pour assister aux assemblées générales de la société.
Il y a cependant des faits comptables à relever.
Il y a d’abord cette manière d’insérer dans le bilan financier une société fantomatique, dont on ne comprend pas la raison d’être, ou bien celle de dissocier la pharmacie interne des prestations, comme dans le cathétérisme cardiaque; eu égard à cette philosophie là, un concessionnaire automobile dissocierait ses ventes de véhicules en comptabilisant séparément carrosseries, moteurs, et pneus. Ce n’est pas très clair.
On veut d’autre part bien admettre qu’une société constitue une provision relativement à ses fournisseurs, c’est même une nécessité puisque ces derniers s’ils ne sont pas payés dans les délais ont le pouvoir de faire ordonner par la justice une saisie conservatoire sur les biens de leurs débiteurs.
Par contre que la clinique constitue un provisionnement pour ses créances laisse dubitatif, particulièrement quand il en couvre près du tiers. Cela revient à financer ses propres clients, dont on ignore en réalité si les remboursements s’effectuent dans les délais.
Le rapport financier prétend que le recouvrement est de près de 80% et qu’il serait de 90% sans la Cnam, mais rien n’est moins sûr, le rapport est plutôt contradictoire, on parle de créances se chiffrant à 36 millions de dinars (30 millions en 2020) par ci, et 12 millions par là.
On ignore quand l’argent entre dans la comptabilité
En 2019 le rapport financier avait déjà assimilé le remboursement d’une créance à un résultat d’exploitation, amputé certes de deux remises estimées chacune à 17%, ce qui faisait un total de 31%; avec un ratio revenus bruts d’exploitation/ revenus, de 14%, cela revenait à travailler à perte de 17% en faveur du partenaire. Evidemment dès lors que la contrepartie en malades est juteuse, le médecin administrateur ne se soucie pas des équilibres financiers de son institution. Pourtant, aucun audit n’a été réalisé.
En 2019, j’avais hospitalisé une patiente qui bénéficiait d’une prise en charge. Cinq mois après, je n’avais toujours pas été payé. J’ai envoyé une lettre à l’assurance maladie (privée) concernée, et ils m’ont répondu qu’ils avaient déjà remboursé l’établissement, depuis plus de 2 mois. Je suis donc allé au bureau des honoraires de la clinique, mais ceux-ci n’étant pas encore comptabilisés, il a fallu que la responsable se renseigne auprès du service financier, avant de me rembourser. Le directeur général prié de s’expliquer sur le retard a prétendu que la somme venait d’être versée.
Il ne s’agit là que d’un petit exemple. On ignore quand l’argent entre dans la comptabilité (répertoriée) de la clinique, et ce qu’il en est fait entretemps. Et ce n’est pas le commissaire aux comptes, qui va se voir renouveler pour trois années un contrat probablement juteux avec la clinique, qui risquerait de mécontenter le conseil d’administration.
Par ailleurs, et depuis qu’il est question de passifs courants, le camembert, celui de la répartition des patients en fonction de la nationalité, a disparu du rapport financier.
En plus des renseignements qui sont plutôt rares, les sujets qui dérangent sont ainsi d’année en année escamotés. Les décaissements en cash de plus de 5000 dinars qui violent la loi sur le blanchiment d’argent et étaient régulièrement signalés par le commissaire aux comptes dans l’indifférence générale, ont également disparu depuis que j’ai attiré l’attention du conseil d’administration sur le sujet.
L’article 1320 du COC fait obligation aux administrateurs de signaler aux actionnaires toute diminution du capital de la société au moins égale au tiers (33%) de sa valeur. Le provisionnement des créances à concurrence de 33% est donc considérable, et à la limite nullement anodin (tout comme le sont les décaissements sur des immobilisations/acquisitions qui ne sont pas spécifiées), mais il a aussi une conséquence: il prive les actionnaires de leurs dividendes.
Autrement dit, ce qui revient aux actionnaires finance la clientèle, et nul ne sait ce qu’il est fait des créances avant que le remboursement en soit comptabilisé.
Ta proposition de discuter du rapport financier et de l’avenir me laisse donc perplexe. D’une part tu ne peux pas concilier les responsabilités qu’ont assumées et assument tes amis et tes proches, avec la vérité, qu’elle soit ou non comptable, et tu as vu comment celle-ci t’a explosé entre les doigts dès lors qu’elle a été exposée à la lumière crue des intérêts et des préjugés.
Une organisation tentaculaire et pas toujours transparente
D’autre part discuter à mon âge de l’avenir est un non sens, il est déjà derrière moi, mais l’organisation tentaculaire (directeur médical, surveillants, personnel, rabatteurs) qui depuis des années opère pour qu’une minorité d’ actionnaires, ceux qui savent et qui parlent pour ne rien dire, se satisfasse de l’absence de dividendes en tirant un profit exclusif du recrutement propre de la clinique, cette organisation là est toujours debout, et ainsi que tu le constates, elle défie la mort. La raison invoquée, nullement de bonne foi, en est évidemment qu’il soit normal que la société récompense ses meilleurs clients afin de les fidéliser. Ce faisant, celle-ci cesse d’assumer la mission qui lui est légalement impartie, celle de payer ses actionnaires des risques financiers encourus, pour se transformer en une organisation de courtage, prête à rembourser n’importe qui, des médecins disposant des appuis politiques nécessaires pour avoir de nombreux patients, aux personnages douteux convertis en rabatteurs, en passant par les groupes armés irréguliers parrainés par des consulats étrangers. Pourquoi alors ne pas en prendre acte, en insérant ces droits nés des nécessités réelles du recrutement en malades, dans le statut de la société ?
En fin de compte, nous avons une clinique qui prive les actionnaires de dividendes pour probablement les réinvestir dieu seul sait où et comment, au bénéfice de qui, en assurant à certains actionnaires, et pas à d’autres, une contrepartie conséquente en malades, autrement dit des revenus financiers qui ne soient pas en rapport avec leurs parts dans le capital social.
Or le moins que l’on puisse dire, c’est que cela est en contradiction flagrante avec les lois en vigueur, qui en l’occurrence ne semblent servir que de décor.
L’Article 1301 du COC énonce comme nulle rendant nul le contrat de la société, toute stipulation qui attribuerait à un associé une part dans les bénéfices ou les pertes supérieure à la part proportionnelle à sa mise et accorde à l’associé lésé par une telle clause la possibilité d’un recours contre la société à concurrence de ce qu’il aura touché en moins ou payé en plus de sa part contributive.
Il faut en conclure, qu’à fortiori, une telle attribution «de facto» qui ne repose sur aucun texte, tel qu’il en est fait usage dans la clinique, ne peut qu’entraîner la nullité du contrat de la société, c’est à dire sa dissolution.
Nul engagement vis-à-vis de l’avenir
Le plus grave c’est que le conseil d’administration ne prend aucun engagement vis-à-vis de l’avenir; il n’y a pas de Roadmap ou de Business plan permettant des extrapolations sur des bénéfices futurs. Et nous avons vu plus haut comment grâce à des subterfuges comptables, relativement à la surestimation des provisionnements, ou des décaissements sur des immobilisations ou des acquisitions non précisées, la clinique s’abstient désormais de partager les bénéfices disponibles avec tous ses actionnaires, naturellement à l’exception de quelques uns, il faut bien le préciser, qui tirent leur épingle du jeu, d’une manière détournée.
Autrement dit, tous les actionnaires assument légalement le risque financier mais dans les faits seuls quelques uns en tirent bénéfice. Si ce n’est pas une arnaque, cela y ressemble.
Si une société ne distribue plus de dividendes à tous ses actionnaires, il vaut mieux encore la dissoudre ou la vendre, afin que chaque actionnaire rentre dans ses fonds, parce qu’elle n’a plus de raison d’être.
Veuille agréer, cher collègue, l’expression de mon sincère respect.
* Médecin de libre pratique.
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