Le prince héritier Mohammed Ben Salman/Jamal Khachoggi.
Les autorités de l’Arabie saoudite ne sont pas seulement responsables de la mort de leur ressortissant Jamal Khashojji; elles le sont surtout du déshonneur fait à l’islam. Ce qui impose aux musulmans de réagir pour l’honneur de leur foi.
Par Farhat Othman *
Après les crimes de Daech et ce qu’on vit en Tunisie comme horreurs, l’affaire du journaliste saoudien Jamal Khashoggi vient démontrer, s’il en était encore besoin, que l’islam de certains a plus que jamais l’allure par trop voyou. Et quand il s’agit du pays qui s’enorgueillit d’être le serviteur de l’islam alors qu’il ne fait que s’en servir, cela devient intolérable, imposant de sauver l’honneur de l’islam, le préserver de devenir une religion de voyous.
Le déshonneur de l’islam
L’islam que nous tolérons chez Daech et leurs sympathisants vivant parmi nous est voyou à plus d’un titre; il est dangereux aussi étant dans la rue, une épidémie qui n’épargnera personne si l’on ne la traite à temps. Étymologiquement, en effet, le terme voyou vient du latin via (voie), ce qui veut bien dire que cet islam voyou, un antéislam au vrai, a besoin de la rue pour forcir, se fortifier. C’est pour cela qu’il s’affiche, tient à faire étalage de sa fausse piété qui l’est d’autant plus qu’elle est ostentatoire. Et c’est pourquoi les voyous de l’islam, ceux des politiciens qui en font commerce, menacent toujours d’en appeler à la rue et ne manquent pas de réclamer d’y faire sortir les plus obscurantistes s’en prendre à la paix publique, impressionner, faire peur.
Malgré les crimes atroces de Daech et compagnie, les musulmans intègres n’ont rien entrepris de sérieux pour sauvegarder leur foi des retombées de leurs actes qui, rappelons-le, se réfèrent à la jurisprudence sunnite en vigueur dans nos pays, le fiqh classique. Or, voilà un autre crime horrible, de plus grande dimension médiatique, celui du journaliste Khashoggi dont on ne nie pratiquement plus qu’il a été sauvagement liquidé dans l’enceinte de la représentation consulaire saoudienne en Turquie.
Agissant à l’antique avec leur expertise de haute volée consistant à trouver la sortie la moins compromettante des pires ignominies, les Saoudiens et leurs appuis, américains surtout, sont en train de préparer une définition du drame comme ayant été une bavure, certes du fait d’agents saoudiens, mais des barbouzes ayant échappé à tout contrôle de la part des autorités officielles. Ainsi, blanchira-t-on le régime saoudien après sa reconnaissance de la mort en ses locaux, mais sans implication. Le fameux responsable mais pas coupable!
Une telle entourloupe ne devrait pas satisfaire les musulmans intègres, car il y va de leur l’honneur et de celui de leur foi. Comment donc ne pas tirer conséquence de ce qu’implique un crime aussi atroce de la part d’autorités qui sont en charge de l’un des piliers de leur religion qu’est le pèlerinage ? C’est l’islam lui-même qui impose la condamnation de ces autorités même si elles se prétendent innocentes du sang de la victime assassinée par ses agents. Outre que cela ne peut tromper personne, le meurtre de Khashoggi est une preuve éclatante, pour le moins, de l’irresponsabilité d’autorités auxquelles est confiée la gestion du pèlerinage.
Comment avec ce qu’on entend et voit, chez nous et dans le monde, continuer à se taire, laissant sa foi ainsi déshonorée ? Surtout, comment continuer à faire comme si de rien n’était pour le hajj et la omra, se laissant aller à dépenser des fortunes pour l’assomption de sa foi à La Mecque quand on peut le faire bien mieux en investissant dans des œuvres pies, plus utiles en son pays ? En effet, il n’y manque ni déshérités ni démunis, ni malades et délaissés à leur malheur ni orphelins et miséreux ayant le plus grand besoin du secours de leurs coreligionnaires, un secours bien plus dévot qu’un pèlerinage détourné politiquement de sa fin première, les autorités qui le gèrent se laissant aller aux pires turpitudes.
Agir à sauver l’islam
On ne peut plus tergiverser sur l’attitude à avoir avec tous les faussaires de l’islam, prétendus musulmans affichant allègrement une moralité condamnable et un comportement peu recommandable, ne se montrant pas seulement mal élevés, mais louches, usant des moyens de la délinquance. Car l’islam est une spiritualité alors que de tels faux musulmans sont bien plus vauriens que spiritualistes; ils sont plus turbulents que pieux, cultivant l’escroquerie que ne donnant le bel exemple. Au lieu d’être la fine fleur de la société, ils en sont l’ensemble des vauriens, les voyous des bas-fonds des villes, la lie de la société, l’engeance du mal, sa racaille son ramassis. Les musulmans, les vrais, ceux qui ne font pas étalage de leur foi, veillant à la concrétiser par des actes d’autant plus pieux qu’ils sont discrets, sont ils conscients de cette chute au plus bas degré du déshonneur de coreligionnaires voyous ?
Il faut agir à sauver l’islam. C’est un impératif catégorique de tout vrai musulman, en actes et non en vaines paroles. Comment est-ce possible de suite, ici et maintenant ? Une évidence doit s’imposer : la toute première urgence pour l’islam est de se soucier de la gestion de ses lieux saints qui n’est plus admissible ainsi qu’elle l’est actuellement. En effet, il est inadmissible que les lieux saints, au prétexte qu’ils sont sur son territoire, soient sous l’administration de l’hérésie wahhabite. L’honneur de l’islam impose que l’organisation et le déroulement du hajj soit retiré à de telles autorités n’ayant aucune légitimité en islam pour être confié à des représentants légitimes à la hauteur des valeurs de la foi servie. Il importe peu que La Mecque et Médine soient sur le territoire saoudien, cela n’interdit pas que leur gestion puisse être confiée à l’ensemble de la communauté musulmane au travers d’une autorité indépendante, n’ayant rien de politique, étant surtout plus en harmonie avec les principes de paix, de tolérance, et surtout d’innocence morale et physique, cardinaux en islam.
Par ailleurs, et on le sait au vu des rapports privilégiés entre les autorités saoudiennes et celles d’Israël, on ne peut continuer à ne pas gérer autrement le drame palestinien. S’il est, en effet, un raccourci éloquent pour prouver que les choses en islam sont à l’envers, marchant sur la tête, c’est assurément cette question de Palestine dont on fait ostensiblement le nec plus ultra du combat des valeurs dans les pays arabes musulmans alors qu’on se désintéresse royalement d’une autre colonisation, bien plus grave au vu du dogme religieux que la question purement politique de Palestine et du statut de Jérusalem : la gestion des lieux saints par une hérésie.
Que voit-on dans le monde arabe et musulman, et chez nous aussi ? On se soucie de faire la guerre à Israël, supposé être l’ennemi extérieur, sans se soucier de la première règle stratégique imposant de commencer par s’attaquer à l’ennemi intérieur, la résilience de cette tradition judéo-chrétienne, surtout judaïque, infiltrée en islam et représentée par les intégristes, avec à leur tête les wahhabites. Sur le strict plan du dogme, au-delà de la politique, c’est l’ennemi intérieur, la dangereuse cinquième colonne qui est bien plus dangereuse que le supposé ennemi.
Supposé, car Israël n’a rien d’un ennemi pour un islam authentique, appelé à incarner sa mission de sceau des Écritures saintes; le judaïsme est l’alpha du monothéisme, chercher à l’occulter quand on se prétend être l’oméga ruine la prétention islamique à l’universalité de la foi. Certes, on peut avoir politiquement des réticences à vouloir normaliser ses relations avec cet État colonisateur; mais il suffit de comparer ses turpitudes avec celles de l’Arabie saoudite eu égard aux droits de l’Homme dont on se réclame pour relativiser une telle défiance dépassée. C’est le cas en réalisant qu’il est plus facile de modifier une politique de colonisation territoriale qu’une colonisation des mentalités telle que pratiquée par l’hérésie wahhabite contrôlant la raison spirituelle du monde arabe et musulman avec sa mainmise sur ses Lieux saints de l’islam. Peut-on continuer d’accepter qu’ils soient sous la férule de l’antagonisme absolu de l’islam qu’est le wahhabisme? Envisager une gestion indépendante du pèlerinage de tout pouvoir politique, devenant exclusivement spirituelle, n’est-ce pas l’impératif religieux par excellence ? Et ce quitte à devoir boycotter le pèlerinage, le détourner même vers Jérusalem ainsi que cela fut déjà fait.
Refaire l’histoire
Comme sceau de la Révélation, l’avenir de l’islam est dans l’œcuménisme, ce qui passe par les retrouvailles entre les frères ennemis. Dans la Bible, Abraham a certes renié l’ancêtre des Arabes, son fils aîné, mais il ne l’a fait que pour le grandir en anticipant la destinée de son propre peuple juif, puisque Ismaël eut à vivre personnellement l’errance de tout un peuple, magnifiant sa destinée de réunificateur du peuple élu, celui qui est unifié dans ses deux grandes branches et non seulement ses douze tribus. La vocation de l’islam ayant été de revitaliser le monothéisme par des retrouvailles avec le judaïsme ainsi que fécondé par le christianisme en une foi œcuménique, pourquoi ne pas y agir pour un monothéisme plus adapté aux exigences de notre époque ?
En la matière, l’islam a bien une longueur d’avance, un atout incomparable incarnant incomparablement son génie; et ce fut le soufisme. L’avenir de l’islam ne sera assuré que quand on aura placé comme il se doit le premier lieu sacré avant le second et donc, si on veut être politiquement et religieusement crédible, parler de libérer La Mecque de faux islam avant de libérer Jérusalem ! Le soufisme ne serait-il pas le véritable retour à la tradition abrahamique ? Ce qui veut dire que les musulmans doivent songer à retirer la gestion de leur pèlerinage des autorités saoudiennes tant qu’elles honorent l’hérésie wahhabite et songer à la confier aux meilleurs de l’islam. L’histoire de l’islam viendrait même à notre secours en la matière ! Ainsi, même si Jérusalem est une ville seconde en importance pour les musulmans, elle est devenue la première et a supplanté la Mecque durant la guerre civile opposant les Omeyyades aux tenants de l’islam rigoriste représentés par Abdallah Ibn Zoubeyr. On osa alors détourner le pèlerinage vers Jérusalem relevant du pouvoir omeyyades, déclassant La Mecque aux mains des contestataires en seconde zone.
Rappelons, à ce propos, que selon nombre d’historien arabes, dont Ya’qûbî, la construction du monument sacré du Dôme du Rocher a été achevé en 72 H {691-2} et coïncida avec l’intention qu’avait ‘Abd-al-Malik, le plus illustre des monarques omeyyades après le fondateur de la dynastie, de créer à Jérusalem, pour les musulmans, un lieu de pèlerinage qui soit susceptible de remplacer celui de la Ka’aba à La Mecque. Effectivement, durant dix années de son règne, lors de la guerre civile livrée à son rival ‘Abd-Allâh Ibn al-Zubayr, calife rival retranché à La Mecque, ayant abouti au siège et au bombardement de la Kaaba, le calife ‘Abd-al-Malik a détourné les fidèles du pèlerinage à La Ka’ba vers le Dôme du Rocher. Il a eu pour le faire des justifications religieuses se basant sur une tradition attribuée au prophète, tel ce fameux «hadîth des trois mosquées» mettant sur un pied d’égalité La Mecque, Médine et Jérusalem. Ce fut l’œuvre surtout d’un clerc du palais, bien connu à Médine, et que nombre de jurisconsultes considèrent comme faussaire : Ibn Shihâb al-Zuhrî. C’est ainsi qu’il a été possible au calife omeyyade d’interdire aux gens de Syrie et des provinces qui lui étaient assujetties de se rendre à La Mecque accomplir le pèlerinage. Cela s’imposait d’ailleurs politiquement du fait que le calife rival, qui fut bien calife et non simple dissident des Omeyyades, ayant régné sur l’autre moitié de l’empire musulman de l’an 683 à l’an 692, imposaient aux pèlerins de lui prêter allégeance. C’est ainsi que le Dôme, bâti au-dessus du Rocher où le prophète a posé le pied lorsqu’il monta au ciel selon la tradition, devint un lieu concurrent du pèlerinage à La Mecque. On y a suspendu des draperies de brocart, préposé des desservants, et on imposa aux gens d’y accomplir la circumambulation rituelle comme cela se faisaient autour de la Ka’aba. Il semble même que pratique ne s’arrêta pas avec la mort du calife rival, perdurant tout au long du temps des Omeyyades.
Pourquoi donc ne pas rééditer l’histoire et détourner le pèlerinage de La Mecque ? Et bien mieux que vers Jérusalem, même si cela se justifie dans le cadre de la cause de Palestine, pourquoi ne serait-ce pas vers les œuvres pies indispensables dans les pays musulmans eux mêmes, redéfinissant le sens pèlerinage qui n’est une obligation que pour qui peut y déférer, en avoir la capacité ? Or, la déférence n’est plus possible pour accomplir le pèlerinage au vu de l’exploitation commerciale qui en est faite et des turpitudes attribuées aux autorités qui en sont responsables. Car la déférence est la considération respectueuse portée à quelqu’un; peut-on en avoir avec ce qui touche aujourd’hui les autorités en charge d’un pèlerinage transformé en pur commerce lucratif dont les rentrées sont mal utilisées ? Y a-t-il encore capacité avec un rite vidé de toute spiritualité véritable ou aptitude à faire du pèlerinage acte de piété quand on peut s’en acquitter bien mieux chez soi ?
* Diplomate et écrivain.
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