Arthur Essebag et le choc de l’écriture

Avec ‘‘J’ai perdu un Bédouin dans Paris’’ (éd. Grasset, Paris, 1er octobre 2025), Arthur Essebag signe son premier livre. Connu pour son parcours dans le divertissement, il choisit ici une parole personnelle, construite autour des événements du 7 octobre 2023. Le texte se concentre sur l’expérience vécue et la manière dont l’écriture devient un outil pour traverser le choc, sans émettre de jugement politique ou moral.

Djamal Guettala 

Le récit commence sur un moment de rupture. Dans le chapitre En apnée, l’auteur écrit : «Ma vie s’arrête. D’un coup. Comme un flingue sur la tempe.» Cette phrase inaugure une écriture fragmentée et haletante, reflétant l’état de sidération. «Le 7 octobre, quelque chose explose. Pas dehors. Dedans», poursuit-il, illustrant le basculement intérieur et la violence de l’expérience.

Arthur Essebag rapporte ce qu’il voit sur son téléphone : «Des enfants éventrés. Des femmes violées jusqu’à ce que mort s’ensuive. Des bébés brûlés.» Il souligne que ces images sont filmées et diffusées par les auteurs eux-mêmes : «Des vidéos. Des putains de vidéos. Avec des bébés.» Le texte décrit la paralysie, l’isolement et l’obsession qui suivent, ainsi que les tentatives infructueuses de comprendre ou d’espérer que tout soit faux : «À chercher une faille, une contradiction, un miracle. Quelqu’un pour me dire : c’est faux. Mais non. Personne.»

Transformer la douleur en action

L’écriture est marquée par la fragmentation et la répétition, reflétant la tension psychologique de l’auteur. Il évoque également un temps suspendu : «Des jours sans parler. Des jours sans manger.» Le rythme haletant et les phrases courtes rendent le récit immersif, permettant au lecteur de percevoir la difficulté à reprendre un rythme normal après le choc.

Une dimension essentielle du texte est la mémoire et l’identité. Arthur Essebag explique comment cet événement réactive un héritage familial et historique : «Un cri juif. Un cri venu du fond. Des cendres. Des trains. Des barbelés.» Il souligne l’émergence d’une parole identitaire jusque-là silencieuse : «J’ai dit “Je” et j’ai dit “juif”. Presque malgré moi.» La quatrième de couverture précise que l’écriture est née du besoin de «transformer la douleur en action» et de retrouver un souffle dans l’expérience du traumatisme.

Le titre, ‘‘J’ai perdu un Bédouin dans Paris’’, fonctionne comme une métaphore. L’auteur précise : «Et ce Bédouin, finalement… c’est moi.» Il s’agit d’une image de l’errance intérieure et de la désorientation, sans référence géographique ou politique.

Le livre se distingue par ses valeurs humanistes. Il met en avant le respect de la dignité humaine, l’empathie et la résilience. Le récit ne hiérarchise pas les victimes et ne cherche pas à moraliser : il décrit un vécu individuel confronté à des situations extrêmes, avec une attention portée à la souffrance et à la mémoire.

Le style d’écriture contribue directement à cette immersion. L’alternance de phrases courtes et de répétitions, la narration à la première personne et l’usage de métaphores rendent tangible l’expérience psychique de l’auteur. Le texte est fragmenté, introspectif, visuel et direct, créant un rythme qui reflète le choc initial et le processus de récupération intérieure.

Sur le plan littéraire, le livre représente un phénomène notable. La publication attire l’attention parce que l’auteur est une figure du grand public et parce que le texte aborde un événement récent avec une approche introspective. 

L’originalité tient à la combinaison d’une expérience vécue et d’une écriture immersive, transformant un récit personnel en objet littéraire distinct.

Douleur à géométrie variable

Enfin, ‘‘J’ai perdu un Bédouin dans Paris’’ ne prétend pas analyser ou expliquer un conflit. Il s’agit d’un témoignage de perception et de mémoire, centré sur le vécu individuel et la réaction psychologique à un événement traumatique. Le texte offre un regard introspectif, où l’écriture devient un moyen de tenir debout et de continuer à vivre.

On fera cependant remarquer que la compassion du narrateur-auteur est ici entièrement tournée vers la douleur des Israéliens victimes du Hamas, jamais vers celle des Palestiniens victimes de Tsahal, l’armée d’occupation israélienne. Même dans la douleur, l’auteur choisit son camp : une douleur à géométrie variable.

Arthur Essebag, né à Casablanca en 1966, est animateur de radio, télévision, et producteur. Français 

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!