A Sfax, Gabès, Gafsa et partout ailleurs en Tunisie, on manifeste contre les rejets industriels polluants.
L’événement : sous une forte pression encadrée de la société civile, le conseil municipal de Sfax a décidé, dimanche 30 décembre 2018, d’interdire la circulation à l’intérieur de la ville de tout engin transportant des matières polluantes telles que le phosphate et le soufre.
Par Khémaies Krimi
Elu démocratiquement depuis mai 2018, le conseil municipal, en tant que dépositaire du pouvoir local, comme le stipule la constitution, est habilité à prendre une aussi importante décision tant il est convaincu, tout autant que le reste des citoyens, des effets nocifs de la circulation en ville des engins transportant des produits polluants, notamment du phosphate, sur la santé des Sfaxiens.
La non-acceptabilité environnementale s’amplifie
Cette décision vient forcer la main au gouvernement qui, en dépit de ses engagements à ce sujet, a tendance à traîner des pieds avant de transférer en dehors de Sfax les industries polluantes. Intervenant après des mouvements de la société civile à Gafsa, à Gabès et à Tozeur, contre la pollution générée par le phosphate et ses rejets, elle constitue, de toute évidence, la consécration d’une prise de conscience salutaire des Sfaxiens de leur droit légitime à un environnement sain.
Pour mémoire, le conseil municipal de Menzel Habib (gouvernorat de Gabès) avait manifesté, dans un communiqué publié le 4 décembre 2018, son rejet du projet d’enfouissement ou de valorisation, sur son territoire, du phosphogypse, matière extrêmement polluante rejetée par les industries chimiques de transformation de phosphate installées dans cette région.
Ce rejet a été suivi, le 8 décembre 2018, par une grande manifestation des habitants de la délégation d’El-Hamma, dont dépend la mairie Menzel Habib. Les manifestants ont scandé des slogans hostiles au gouvernement, opposant un refus catégorique à ce projet qui, selon leurs propos, «constitue un risque pour toute la localité».
Les habitants de Gafsa et des villages avoisinants (Bouzayane..), ont, pour leur part, constamment déploré les répercussions négatives sur leur santé de l’extraction et du transport à ciel ouvert du phosphate. Ils accusent la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG) et le gouvernement de n’avoir jamais élaboré une étude d’impact de ces industries extractives sur la santé des communautés qui résident à proximité.
Tirant des enseignements de ces dérapages écologiques et anticipant sur les conséquences désastreuses que pourrait avoir le futur gisement de phosphate de Tozeur sur leur santé et sur celle de l’oasis, à l’écosystème très fragile, les oasiens refusent à leur tour l’ouverture d’un gisement de phosphate dans leur région, qui plus est a vocation touristique.
Le rejet du phosphate aura un coût
Cette aversion pour le phosphate a tendance à s’ériger en véritable front de refus de toute industrie polluante.
Toutes ces manifestations et décisions viennent illustrer de manière éloquent l’émergence, dans tout le bassin minier et les zones de transformation de phosphate, d’une forte demande sociale pour une meilleure qualité de vie, pour un environnement sain et, surtout, pour une gestion inclusive des ressources naturelles lorsque leur exploitation devient nécessaire.
Une telle prise de conscience environnementale ne sera pas à coup sûr du goût du gouvernement pour une simple raison. Elle va avoir un coût, un coût fort exorbitant en ce sens où, tôt ou tard, il sera obligé de transférer les industries extractives et de transformation polluantes en dehors des zones urbaines.
Lors d’un séminaire sur l’avenir du phosphate, Kais Dali, ancien Pdg de la CPG avait estimé le coût de cette non-acceptabilité environnementale, et son corollaire, les transferts des usines en dehors des villes, à 3 milliards de dinars. À l’époque l’euro s’échangeait contre 2,3 dinars, contre 3,4 dinars actuellement.
Cela pour dire que la décision du conseil municipal de Sfax d’interdire la circulation des engins de phosphate en ville constitue un tournant historique et risque de faire boule de neige. Une nouvelle tendance à suivre…
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