Las de servir de punching ball à ses adversaires politiques, tous ligués contre lui, position peu confortable que lui assigne sa position de chef de gouvernement, Youssef Chahed est enfin sorti de son silence pour s’expliquer et dire «sa» vérité. A-t-il convaincu ? difficile à dire…
Par Imed Bahri
C’est un homme blessé, incompris et, surtout, fatigué – trois ans de pouvoir au milieu de la tempête ça use – qui apparut, hier soir, jeudi 1er août 2019, sur la chaîne Wataniya 1 (l’entretien était diffusé simultanément par deux autres médias Hannibal TV et Shems FM).
Le chef du gouvernement parut un peu seul. Son ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi, porté par une immense machine de propagande (des centaines de comptes Facebook, Twitter et Instagram chantent ses louanges et l’appellent à se présenter à la présidentielle), continue de recevoir les chefs de partis et les personnalités politiques et de négocier leur soutien. Ses autres ministres, ou la plupart d’entre eux, pensent déjà à l’après. En course pour les prochaines législatives, ils ont, eux aussi, la tête ailleurs.
La Tunisie a besoin d’un changement générationnel
Cette position d’homme à abattre, M. Chahed s’y est un peu habitué depuis le temps qu’on lui fait porter la responsabilité de tout ce qui ne marche pas dans le pays : cela va des hôpitaux publics dégradés aux invasions de grillons et autres épidémies de gale. Et pour cela, il a son explication : la vieille garde n’a jamais supporté l’avènement d’un jeune homme de 40 ans, qui plus est, sans passé militant, à la tête du gouvernement. Or, la Tunisie n’a pas besoin aujourd’hui pour se redresser de vieux militants ayant gagné des galons en luttant contre la dictature; elle a besoin plutôt de bons gestionnaires, intègres, patriotes et dévoués.
En d’autres termes, la Tunisie a besoin d’un changement générationnel : M. Chahed le pense, le dit ouvertement, quitte à faire grincer quelques dents, et en fait même son combat. Les vieux schnocks, qui encombrent encore la scène politique et bloquent l’horizon des possibles, savent ce qui leur reste à faire : prendre la retraite et laisser le pays respirer un air nouveau.
Dans ce contexte, le chef du gouvernement reprendra sans doute à son compte cette phrase d’Antonio Gramsci : «Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres». N’est-ce pas contre ces monstres que le pays lutte depuis la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier 2011 : la corruption, le clanisme, le clientélisme, le népotisme, la gabegie, l’égoïsme, les rentes de situation, etc.
Un évadé fiscal poursuivi pour blanchiment d’argent par le Pôle judiciaire financier crée un parti et va présenter sa candidature à la présidence de la république, déplore le chef du gouvernement, faisant allusion à Nabil Karoui, patron de Nessma TV. Il faut moraliser la vie politique, par la loi s’il le faut, estime-t-il, en parlant du projet d’amendement de la loi électorale adopté par l’Assemblée, mais que l’ex-président de la république, Béji Caïd Essebsi, n’a pas signé, signant ainsi l’arrêt de mort de ce texte.
Feu Caïd Essebsi s’inquiétait de la persistance des divisions au sein de la famille progressiste
Youssef Chahed s’est attardé sur ses relations avec le défunt chef de l’Etat: leurs relations ont été parfois heurtées, et c’est normal en politique, M. Caïd Essebsi avait eu lui-même des divergences voire des querelles avec l’ancien président Habib Bourguiba, expliquera-t-il, en soulignant que ses relations avec le défunt président se sont normalisées depuis mars 2019: «Nous nous sommes rencontrés à de nombreuses reprises. Nous avons discuté de l’avenir de la Tunisie. Feu Caïd Essebsi s’inquiétait de la persistance des divisions au sein de la famille progressiste qu’il avait lui-même rassemblée, en 2012, au sein de Nidaa Tounes. Il m’a demandé de revenir à ce parti et même quand j’ai intégré Tahya Tounes, il ne m’en a pas voulu. Il a continué à appeler à l’union», raconte M. Chahed, en rappelant le rôle central qu’il a joué lui-même, à côté du président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur, pour organiser la succession dans le strict respect de la constitution et préparer les funérailles nationales dignes de l’ancien chef de l’Etat.
Traduire: il faut donner à César ce qui lui appartient et, contrairement à ce qui est dit par certains médias, la réussite des funérailles de M. Caïd Essebsi n’est pas le fait d’une seule personne (Abdelkrim Zbidi en l’occurrence). Elle est le fruit du travail de l’ensemble du gouvernement et des corps constitués de l’Etat.
Reste une question que se posent tous les Tunisiens: M. Chahed sera-t-il candidat à la présidence de la république, comme le souhaite son parti ? Le chef du gouvernement a préféré ne pas répondre à cette question et jouer encore la carte du suspense. «J’ai pris ma décision, mais je préfère ne pas en parler pour le moment», s’est-il contenté de répondre, en assurant
que les candidats de Tahya Tounes n’utilisent pas les moyens de l’Etat dans leurs activités partisanes, et en défiant ceux qui le disent d’en apporter les preuves concrètes.
Le chef du gouvernement a-t-il répondu à toutes les questions que se posent les Tunisiens ? A-t-il été convaincant ? Il l’a sans doute été pour ses partisans qui ont retrouvé l’homme déterminé et droit dans ses bottes, prêt à se battre pour défendre son bilan, même s’il est décrié de toutes parts.
Le chef du gouvernement a aussi donné du grain à moudre à ses détracteurs qui, parions-le, vont encore se déchaîner contre lui : «La bête bouge encore!»
Que M. Chahed nous pardonne cette expression…
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