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Attaque contre les installations de l’Aramco : La nouvelle guerre à petit prix

Au lieu d’amasser des armes sophistiqués mais inefficaces, car mal utilisées, les Saoudiens feraient mieux de confier la défense de leur pays entièrement aux Américains, leur payant dîme et tribut afin de vivre en paix et en sécurité pour se consacrer à ce qu’ils font de mieux : les meurtres à la tronçonneuse.

Par Yassine Essid

Le 14 septembre 2019, deux sites pétroliers importants de l’Aramco, la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures, ont été la cible d’attaques des rebelles Houthis. Ces frappes dévastatrices ont conduit à la suspension provisoire de la production sur les deux sites touchés, ce qui représente environ 50% de la production totale de l’entreprise, soit 5,7 millions de barils/jour, environ 5% de la production mondiale quotidienne de brut.

Les Houthis, qui en sont à leur troisième attaque du genre en cinq mois contre des infrastructures pétrolières saoudiennes, ont revendiqué les frappes. Donald Trump avait au départ préféré réserver son jugement en déclarant qu’il avait sa petite idée quant aux vrais coupables. Tulsi Gabbard, représentante de l’Etat d’Hawaï au Congrès des Etats-Unis, candidate démocrate à la présidentielle de 2020, et qui n’a pas la langue dans sa poche, avait déclaré que si le président Trump n’a pas encore désigné le responsable, c’est parce qu’il attend de recevoir les instructions de ses «maîtres saoudiens». En d’autres termes, déclara-t-elle, à «faire jouer à notre pays le rôle de la ‘‘chienne’’ de l’Arabie saoudite».

De riches rois fainéants surarmés

Comme disait Mao, une guerre ne peut être gagnée si l’on se fige dans son immobilisme. Or dans ce domaine les monarchies du Golfe en sont devenues l’incarnation la plus sordide. À ce titre, ils ne méritent même plus le titre de bédouins par lequel on qualifie leurs ancêtres itinérants et nettement plus entreprenants. Ils ne sont rien de plus que de riches rois fainéants surarmés, régnant sur des populations de rentiers culturellement arriérés et rongées par la surconsommation de tout ce qu’on produit en Occident et ailleurs.

Pour tout pays, la politique militaire se fonde sur la défense du territoire, l’endiguement de troubles intérieurs, la crainte de l’hégémonie de certains Etats. Pour la région du Golfe, le facteur idéologique et confessionnel est devenu un motif suffisant pour le renforcement du potentiel militaire des monarchies pétrolières. Dans un tel contexte, la construction d’alliances ou de solidarités politiques vise à présenter un front commun dissuasif ou défensif contre toute attaque qui prend la forme d’agression armée.

Par ailleurs, la politique d’une superpuissance, comme les Etats-Unis, consiste à défendre ses intérêts dans le monde et à protéger ses ressources d’approvisionnement d’éventuels rivaux et agresseurs. Des traités de défense, un front commun et autres coalitions imposent aux signataires une garantie voire une obligation de défendre leurs alliés par un effort de prévention ou d’intervention.

Il arrive aussi qu’un pays riche, capable de se doter d’armes à haute technologie, voire l’arme nucléaire, décide de devenir une puissance régionale afin de contrecarrer la menace d’un adversaire qu’il juge hostile et dangereux. Or, en d’autres temps et en d’autres circonstances, les frappes ayant touché le cœur économique du principal exportateur de pétrole dans le monde, auraient été considérées comme un casus belli susceptible d’entraîner les Saoudiens et leurs alliés dans un conflit généralisé. Mais les attaques répétées des Houthis appuyés par l’Iran, répondent en fait à un plan parfaitement calculé dans lequel Téhéran avait beaucoup plus à gagner qu’à perdre.

La guerre est en continuel changement, les opérations militaires doivent être sans cesse révisées. L’art de la guerre étant fondé sur la raison et la dissimulation, ceux qui remportent des batailles sont ceux qui ont médité, calculé et dissimulés leurs intentions avant d’engager le combat. Dans cette affaire, l’homme demeure le facteur décisif; les armes sont importantes mais non pas décisives.

Rompus au jeu de guerre autant qu’au jeu d’échecs, un jeu par excellence de l’art de la guerre et de l’art du gouvernement, les frappes iraniennes constituent les éléments essentiels qui se traduisent sur l’échiquier mondial par la recherche de la combinaison jamais dévoilée qui ne vise pas le mat immédiat. À l’instar des jeux d’échecs, la diplomatie iranienne est moins un jeu, qu’un exercice de l’esprit et l’habilité à tromper l’ennemi.

Un appétit pour les armes jamais satisfait

L’appétit de l’Arabie saoudite pour les armes, jamais satisfait, s’est accru parallèlement à ses ambitions régionales et à la rivalité qui l’oppose à l’Iran. La guerre en cours au Yémen et l’inquiétude suscitée par l’influence iranienne se traduisent par une augmentation démesurée pour ne pas dire indécente d’achats d’armes. Les États-Unis lui fournissent un très large éventail que les princes d’Arabie se pressent de payer rubis sur l’ongle : avions de combat, chars et missiles, capteurs très perfectionnés et matériel de collecte de renseignements, souvent embarqué à bord d’avions, en plus des frégates et autres navires.

En réalité, tout le paquet d’armes que l’Arabie saoudite souhaite posséder correspond à ce que les États-Unis sont toujours disposés à lui fournir. Il y aurait là un arsenal capable de terroriser tous les pays de la région.

Alliée stratégique des Occidentaux, entretenant avec les Etats-Unis un partenariat scellé depuis 1954 basé sur la sécurité et le pétrole, l’Arabie saoudite est le plus grand acheteur d’armes au monde et le plus gros employeur du complexe militaro-industriel américain qui lui fournit 70% de son arsenal militaire.

Ravis de tourner la page de l’ère Obama, les dirigeants saoudiens ont chaleureusement salué l’arrivée au pouvoir du VRP en biens militaires stratégiques made in USA : Donald Trump. Reçu avec faste à Ryad pour son premier déplacement présidentiel à l’étranger, il appela vigoureusement à «isoler» l’Iran chiite accusé, entre autres, d’armer les rebelles au Yémen soumis depuis 2015 à des pluies de bombes d’une coalition arabe dirigée par les Saoudiens. La déclaration de Trump a suffi à lui rapporter des méga-contrats excédant 380 milliards de dollars, dont 110 pour des ventes d’armements américains.

Classé troisième plus gros budget militaire au monde, représentant 8% du PIB de la monarchie, les dépenses consacrées à la défense des forces armées saoudiennes avaient atteint, en 2018, 67.6 milliards de dollars. Or ce redoutable arsenal, destiné, entre autres, à renforcer la politique américano-saoudienne d’endiguement de l’Iran, s’est avéré bien maigre pour protéger les installations pétrolières, du royaume wahhabite et ses atouts les plus précieux.

Au cours des cinquante dernières années, les États-Unis ont formé l’armée saoudienne et vendu au royaume pour plus de 150 milliards de dollars d’armes de haute technologie, notamment des avions de combat et des systèmes de défense anti-aérienne tactique mobile contre les cibles évoluant à basse altitude. Les batteries de missiles anti-missiles MiM 104 F Patriot étaient censées répondre à toutes formes de menaces en protégeant en priorité les installations pétrolières saoudiennes.

Les récentes attaques ont révélé non seulement d’inquiétantes carences dans le système de défense d’un pays disposant d’un coûteux appareil militaire, mais constituent un tournant dans la conduite de la guerre en général. Voilà une armée suréquipée, qui n’a toujours pas réussi à venir à bout des insurgés Houthis soutenus par l’Iran, malgré une campagne de bombardement de quatre ans qui a fait plus de 8.500 morts et plus de 9.600 blessés, des civils en majorité.

Pour couronner le tout, 18 drones et 7 missiles de croisières bon marché et d’un niveau technologique moins avancé que leurs équivalents modernes ont trompé le dispositif anti-missile saoudien.

Surarmée, l’armée saoudienne est incapable d’agir efficacement

De plus, bien que largement soutenue par les services de surveillance américains, l’armée saoudienne a été incapable d’agir efficacement, renforçant ainsi l’opinion largement partagée que l’Arabie saoudite est simplement incapable de se défendre. Pendant trois ans, les services de renseignements américains n’avaient cessé d’indiquer, vainement, à leurs homologues saoudiens l’emplacement des insurgés Houthis qui franchissaient allégrement les frontières, pénétraient le territoire du royaume sans jamais être inquiétés.

Maintenant, comment expliquer le succès de la récente attaque de missiles de croisière à basse altitude et de drones lancés du Yémen qui ont réussi à tromper les 6 batteries de missiles sol-air Patriot qui avaient été déployées justement pour contrecarrer de telles incursions ?

Les raisons invoquées par les Saoudiens pour justifier un tel revers est que les drones ennemis volaient beaucoup trop bas pour être détectés et provenaient d’une direction différente de celle à laquelle on aurait pu s’attendre. De telles explications semblent troublantes au regard des mérites vantés par les fabricants américains des missiles d’interception.

En effet, dans leur argumentaire, les Saoudiens écartent sciemment la défaillance localisée de leur système de défense et refusent à mettre en cause l’efficacité même de leur armée, sa faible maîtrise du matériel militaire, le fait que le système de défense antiaérien était déployé à proximité d’importantes installations militaires au lieu de protéger les infrastructures pétrolières.

Partout et toujours, la détermination de l’institution militaire est tributaire de la nature des sentiments qu’éprouvent les combattants quant à leur rôle et missions spécifiques. Dans ce domaine, l’armée saoudienne commence à s’interroger quant au bien-fondé de la rivalité avec l’Iran via une interminable guerre d’agression contre le Yémen perdue d’avance. Des officiers américains ayant participé à des programmes de formation de l’armée saoudienne ont décrit leur frustration vis-à-vis de leurs homologues d’Arabie. L’armée saoudienne, disent-ils, ne dispose pas du même type de corps d’armée qui constitue l’épine dorsale de toute organisation militaire. De même que de nombreux officiers saoudiens montent en grade grâce au favoritisme, népotisme et leurs liens avec la famille royale.

Par ailleurs, ce même système est moins à même de constituer une grande armée professionnelle dotée d’un code de discipline strict enraciné dans une chaîne de commandement qui impose la rigueur. Il en est ainsi de l’armée de l’air saoudienne qui n’exige pas le même type de formation continue, avec des heures de vol obligatoires comme celles imposées aux pilotes de l’armée de l’air et de la marine des États-Unis. Au cours des premiers mois de la campagne de bombardement au Yémen, de nombreux pilotes saoudiens étaient dès lors incapables de voler à basse altitude et ont fini par larguer des bombes à haute altitude, faisant davantage de victimes civiles.

Les attaques contre l’usine de traitement de pétrole Abqaiq et le champ pétrolifère de Khurais ont considérablement atténué cette dichotomie. Bien que des responsables militaires aient déclaré qu’il était impossible de protéger complètement les cibles fixes telles que les champs pétrolifères de toutes les attaques aériennes sur une vaste zone, le fait que l’Arabie saoudite compte plusieurs entités responsables de la défense aérienne, souvent concurrentes, entrainait un manque de coordination, voire l’absence de toute coordination. Cela a empêché tout effort visant à mettre en place une défense adéquate, toujours selon les responsables du Pentagone et les analystes militaires.

Ainsi, le fait d’être en décalage permanent avec les gouvernants génère un puissant sentiment de mécontentement pouvant entraîner de forts désinvestissements allant jusqu’à la défection. Même la soi-disant coalition de guerre anti-yéménite a été réduite à la portion congrue depuis que les Emirats ont décidé de la quitter par crainte d’avoir à subir les missiles et les drones d’Ansar Allah.

Epaves des drones et des missiles iraniens.

Un armement américain dernier cri inefficace car mal utilisé

Tout compte fait, ces événements révèlent surtout que pour les richissimes monarchies du Golfe, l’important n’est-il pas d’avoir toujours l’armement américain dernier cri pour en faire des objets de parade dans les défilés sans avoir la capacité d’en faire l’instrument d’une force militaire efficace et dissuasive ?

Quant aux fomentateurs de l’attaque, il ne fait aucun doute qu’Iraniens et Houthis se sont partagé les rôles. L’Iran orchestrant l’opération et fournissant le matériel, les Houthis se contentant de mettre à disposition le lieu de lancement et de revendiquer après coup la paternité des frappes. Mais cette insistance excessive sur l’identification des responsables occultes en réalité le vrai problème : comment une puissance très moyenne comme l’Iran, de surcroît victime de sanctions américaines draconiennes, disposant de ressources et d’une expertise limitées, est-elle arrivée à infliger des dommages sans précédent à une Arabie saoudite surarmée, censée être défendue par les Etats-Unis, la plus grande puissance militaire du monde ?

Ce qui entraîne une deuxième interrogation. Pourquoi l’Arabie saoudite, appuyée par son allié américain, n’exercera-elle pas de représailles ? Parce qu’ils sont conscients qu’une contre-attaque ne sera jamais une partie de plaisir. Ce qui s’est passé en septembre peut se reproduire, avec cette fois pour objectif non pas seulement les installations de production de pétrole mais aussi les usines de dessalement qui fournissent une grande partie de l’eau douce du royaume. Des infrastructures idéalement concentrées pour servir de cible aux drones et aux petits missiles.

Par ailleurs, l’indiscutable suprématie aérienne des États-Unis, la puissance de l’Otan et d’Israël contre toute menace potentielle, a été battue en brèche par l’attaque des installations saoudiennes. Le cercle très fermé des pays disposant d’une inégalable puissance de frappe aérienne n’est plus un dispositif impénétrable. Il est désormais à la portée de pays bien moins nantis.

Certains experts avaient noté ce changement, estimant que les frappes en Arabie saoudite constituent un avertissement stratégique clair que désormais l’ère de la suprématie aérienne des États-Unis dans le Golfe ainsi que le monopole quasi américain en matière de capacité de frappe de précision sont en train de s’étioler.

Une nouvelle génération de drones, de missiles de croisière et de missiles balistiques de précision à faible coût et à fort rendement a fait son entrée dans les stocks iraniens et commence à se répandre chez les Houthis du Yémen et le Hezbollah de Liban.

Regardez de près l’épave des drones et des missiles iraniens et vous constaterez que les redoutables armes qui ont servi aux raids aériens et secoué l’économie mondiale n’avaient pas l’aspect d’un équipement militaire coûteux, en tout cas pas autant que les missiles Patriot qui se sont avérés si inutiles mais hors de prix, valant 3 millions de dollars pièce.
Bientôt les gouvernements du monde entier exigeront de leur état-major qu’ils leur expliquent pourquoi ils ont besoin de dépenser des milliards de dollars alors que des substituts peu coûteux mais efficaces sont disponibles.

Tout compte fait, les Saoudiens feraient mieux de confier la défense de leur pays entièrement aux Américains, leur payant dîme et tribut afin de vivre en paix et en sécurité pour se consacrer à ce qu’ils font de mieux : les meurtres à la tronçonneuse.

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