Exilé politique en France, opposant aux régimes successifs en place en Tunisie au cours des cinquante dernières années, Abdellatif Ben Salem, dont les lecteurs de Kapitalis ont souvent apprécié les articles très fouillés dénonçant les accointances d’Ennahdha avec les groupes terroristes, est inexplicablement privé de passeport depuis plus de sept mois.
Ecrivain et traducteur (de l’espagnol, langue qu’il maîtrise à merveille), militant des droits de l’homme qui a été de tous les combats pour les libertés et opposant aux régimes successifs de Bourguiba, Ben Ali et Ghannouchi, Abdellatif Ben Salem était privé de passeport pendant toute la durée du règne de Ben Ali. C’est d’ailleurs après la chute de ce dernier, le 14 janvier 2011, qu’il eut droit à un passeport qui lui fut délivré par les services du consulat de Tunisie à Paris, quelques heures après la chute du dictateur, soit au cours de la journée du 15 janvier (voir illustration). Il était évident que le veto qui le concernait, ainsi que plusieurs autres opposants résidant à Paris, avait été levé dans la nuit du 14 au 15 janvier et que les autorités voulaient, par leur geste, ouvrir une nouvelle page de l’histoire du pays.
Soit, mais le problème c’est que cette volonté n’a pas duré longtemps, et les mêmes autorités n’ont pas tardé à revenir à leurs péchés mignons : le musellement des opposants par le biais des pouvoirs régaliens de l’administration publique.
En effet, notre collaborateur a déposé son ancien passeport périmé accompagné d’une demande de renouvellement depuis le 16 décembre 2021 et jusqu’à ce jour, soit plus de 7 mois après, et après moult démarches auprès des services consulaires tunisiens en France, aucune explication ne lui a été donnée sur ce qui s’apparente à un refus : «On n’a pas reçu de réponse de Tunis vous concernant», se contente-t-on de lui répéter. Et par «Tunis», il faut comprendre le ministère de l’Intérieur, donc la police politique qui aurait repris du service, car, dans un Etat républicain qui respecte le droit, seule une décision judiciaire dûment justifiée peut priver un citoyen de sa… citoyenneté, le passeport étant l’un des attributs de celle-ci, sinon le plus important des attributs, surtout pour un Tunisien résidant à l’étranger, qui a besoin de ce document officiel pour faire valoir ses droits dans le pays d’accueil et, notamment, pour le renouvellement de sa carte de séjour.
De là à penser que le refus tacite de délivrer son passeport à un citoyen résidant à l’étranger, qui plus est opposant au régime en place, est une forme insupportable de chantage politique, il y a un pas que nous sommes tentés de faire. Car si on doit désormais montrer patte blanche aux hérauts du régime pour pouvoir bénéficier d’un droit reconnu à tout citoyen, comme ce fut le cas sous le régime de Ben Ali, cela prouverait ce que beaucoup d’opposants qualifient aujourd’hui de «dérive autoritaire» et que trahit, généralement, le comportement des forces de sécurité ?
I. B.
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