«Il y a des engagements si sérieux qu’un homme perd son honneur à ne pas les remplir», disait l’écrivain et philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel. Il y a aussi des combats inutiles et destructeurs qu’un homme perd son honneur à mener sous les applaudissements imbéciles, intéressés ou manipulateurs.
Par Ali Sellami *
Durant cette période d’intenses tractations postélectorales imprégnées de mensonges, de tromperies et de fumisteries pour la constitution d’alliances et la composition de coalitions, et à l’occasion des pseudo-concertations impliquant les partis et d’innombrables personnalités politiques et de la société civile pour la formation du gouvernement, j’ai observé avec surprise et étonnement une absence remarquée, d’un homme «incontournable» ayant notoirement marqué la scène publique et la vie politique en Tunisie ces derniers mois. Un homme dont les intentions et positions «chevaleresques» et bienveillantes étaient promptes à sauver la Tunisie d’un coup d’Etat annoncé ! Un homme qui incarne l’honnêteté et l’intelligence politique, vigilant aux abus d’utilisation des moyens de l’Etat ! Un homme qui était dépositaire de la puissance militaire et de la sécurité nationale tunisienne ! Un homme qui était à deux doigts de décrocher la législature suprême ! Un homme à l’élocution exceptionnelle, et au discours mobilisateur ! Un homme aux multiples responsabilités mémorables en tant que ministre des illustres chefs d’Etats : Ben Ali, Marzouki, et Caïd Essebsi ! Un homme qui s’engage sur les actes et non point sur les paroles !!! Bref, l’homme providentiel qu’attendaient la Tunisie et les Tunisiens de tous leurs vœux… Je pense, bien sûr, à monsieur Abdelkarim Zbidi.
L’absence de cet homme voire sa disparition totale de la scène à cet instant particulier m’a grandement intriguée en considérant que les grands hommes ne peuvent apparaître et se distinguer que lors de grandes circonstances, lorsque les tensions s’accentuent et les enjeux deviennent vitaux.
Casser la mouvance moderniste et offrir la nation aux islamistes et aux mafias
De nombreux questionnements m’ont effleuré l’esprit, concernant sa personnalité réelle, sa vision, son projet… et sur cette éclipse totale.
Les plus avertis parmi les observateurs étaient conscients que Zbidi, homme aux faibles présence et prestance, «s’est fait porter» candidat aux présidentielles anticipées du mois de septembre, suite à une ultime «consigne macabre» de Béji Caid Essebsi, à la mise en marche d’une énorme machine de propagande totalement désynchronisée par rapport au personnage, et surtout à la mobilisation d’une équipe cynique et vengeresse d’anciens ministres, présidents de partis et d’autres personnalités écartées de la vie publique…
Les mentors de Zbidi, au mépris d’une large fraction de citoyens ayant naïvement cru en lui, ont très bien réussi leur mission testamentaire de casser l’ennemi désigné, d’anéantir le leadership de la mouvance centriste et moderniste, d’offrir la nation tunisienne aux islamistes réactionnaires, aux intégristes et autres mafias de l’argent sale, des médias corrompus et de la contrebande.
Zbidi, psychologiquement fragile et humainement anéanti, a subi une véritable déroute personnelle doublée d’une débâcle politique. L’état de déperdition a provoqué des comportements sournois et irresponsables : refus de reconnaître la défaite devant sa propre équipe et devant les centaines de milliers votants désabusés, rejet en bloc de toutes les initiatives de rassemblement pour de nouveaux défis, rébellion gouvernementale, niaiseries politiques, puis disparition totale de la scène…
Un homme qui s’est laissé emporter par le vent de la mégalomanie
Zbidi, hier soulevé aux plus hauts des podiums, exposé sur tous les plateaux et acteur des plus grandes révélations, est aujourd’hui totalement abandonné, inexistant, définitivement entré dans le monde de l’oubli, sans aucun référentiel ni aucune considération…
Le nouveau chef du gouvernement désigné, en bon profane inexpérimenté des hautes fonctions de l’Etat, brasse très large dans sa démarche de concertation pour la constitution du gouvernement et rencontre pêle-mêle des personnalités et personnages de tous bords : des chefs de partis, d’anciens hauts responsables, des députés, des journalistes, des chanteurs, des agriculteurs, des chroniqueurs, des magistrats, des repris de justice, etc. Mais bizarrement, il néglige monsieur Zbidi, porte-voix de 10,73% des électeurs tunisiens… Est-ce par manque de considération à l’homme ? Est-ce la certitude du manque d’intérêt du personnage ou est-ce un mépris pur et simple pour un parcours politique d’une vingtaine d’années ???
De la même manière, la classe politique entière et plus particulièrement les partis politiques pourtant bien motivés par le besoin de renforcement de leurs bases et pour la formation d’alliances et coalitions, ne s’intéressent aucunement à l’homme ni au potentiel qu’il représente.
Zbidi a totalement fondu dans la nature sans le soupçon d’aucune prise de position ou d’expression d’opinion… Est-ce le vide absolu qui caractérise le personnage qui fait surface ? Est-ce un manque total de confiance en lui-même et en ses capacités qui le tétanise ? Est-ce que les centaines de milliers de Tunisiens, qui ont voté pour lui, ont été à ce point bernés et trompés par lui et par ses mentors? Où est passée l’image de l’homme providentiel mobilisant les foules jusqu’à l’hystérie? Sommes-nous face à un homme qui s’est laissé emporter tel une plume par le vent de la mégalomanie et de la surestime ?…
En réponse, on ne peut que citer cet extrait du «Discours à la Jeunesse» de Jean Jaurès que devrait méditer Zbidi dans la solitude de sa retraite bien méritée : «Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. C’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.»
* Expert consultant auprès des entreprises.
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