Si les victimes de la Shoa (ou l’extermination de cinq à six millions de Juifs par l’Allemagne nazie) seront ressuscitées un jour, quelle serait leur attitude vis-à vis des horreurs commises envers les Palestiniens par leurs propres descendants? Et que penseraient-ils de ces derniers qui, en instrumentalisant leur mémoire, se comportent en bourreaux contre un peuple aux abois et sans défense.
Par Adel Zouaoui *
Dans l’avion qui le ramenait d’Israël après avoir assisté à la cérémonie de commémoration des 75 ans de la libération du camp d’Auschwitz, le 22 janvier 2020, Emanuel Macron, dans un entretien avec des journalistes, avait comparé la Shoa à la guerre d’Algérie, avant de se ressaisir sous la pression de sévères critiques en déclarant que «la Shoa est un crime absolu qui ne peut être comparé à aucun autre».
La Shoa est incontestablement un crime contre l’humanité, absurde et innommable. Mais aller jusqu’à la rendre singulière, absolue et incomparable c’est minimiser la gravité de tous les autres crimes dont l’histoire de l’humanité regorge. Plus qu’erroné, le point de vue du président français est on ne peut plus condescendant envers les peuples qui, à travers l’histoire, ont souffert le martyre.
Les crimes contre l’humanité ne doivent en aucun cas être hiérarchisés
Ceci étant, nul n’a le droit de se douter de la férocité d’un pareil crime qu’est celui de la Shoa. Encore aujourd’hui des images insoutenables hantent notre conscience collective. Des images de femmes, d’hommes, d’enfants et de vieillards, le regard vide et hagard, chargés comme du bétail dans des wagons de la mort pour être déportés vers des camps de concentration, vers Auschwitz, vers l’enfer. Aussi, des images de corps nus et rachitiques, des silhouettes désarticulées et fantomatiques conduits vers des chambres à gaz ou des fours crématoires interpellent encore notre conscience et notre humanité et nous interrogent sur la bête hideuse qui sommeille en nous.
Mais qu’à cela ne tienne, les crimes contre l’humanité aussi absurdes soient-ils ne doivent en aucun cas être hiérarchisés. Il n y a pas de crimes pire que d’autres. Une pareille démarche risquerait de minimiser l’horreur d’autres monstruosités ou de mettre sous boisseau d’autres dérives humaines.
La Shoa n’est ni moins ni plus horrible que la traite des noirs
Force est de souligner que la Shoa de par son horreur n’est pas le seul crime que l’humanité ait connu. L’histoire témoigne de tant d’autres abominations. La Shoa n’est ni moins ni plus horrible que la traite des noirs qui s’est étalée sur plusieurs siècles, que l’extermination de milliers d’Amérindiens en Amérique du Sud, que le génocide des Arméniens, ou celui du Rwanda, que l’apartheid en Afrique du Sud, que les crimes coloniaux en Afrique et en Asie, ou le massacre des Rohingyas, pour ne citer que ceux-là.
Par ailleurs, là où la Shoa se distingue véritablement des autres crimes, c’est par le fait qu’elle a engendré un autre crime, celui contre le peuple palestinien. La sur-victimisation voulue a servi sournoisement d’argument pour bafouer les droits les plus élémentaires d’un autre peuple, les Palestiniens. Pour résoudre un crime on en a créé un autre, lequel dure depuis plus que soixante ans et vraisemblablement demeura irrésolu pour longtemps. Tout un peuple a été chassé de sa terre pour y être remplacé par un autre. Et de quelle manière?
Jetés de leurs demeures, arrachés à leurs terres, les Palestiniens, s’ils n’ont pas été poussés à l’exil, ont été acculés, au su et au vu des chantres des droits de l’homme, à vivre sur deux territoires exigus et séparés, la Cisjordanie et Gaza, de véritables prisons à ciel ouvert. Gaza un territoire de 360 km² avec une population de 1.500 000 habitants, la plus forte concentration humane au monde avec 4 010 hab./km².
La Shoa sert de prétexte justifiant l’injustice infligée aux Palestiniens
À l’aube de ce troisième millénaire, humiliés et brimés, des milliers de Palestiniens sont obligés chaque jour de passer par plusieurs check-points pour pouvoir se déplacer d’une ville à une autre, d’un village à un autre. Ils doivent patienter d’interminables et longues heures pour se rendre à leurs écoles, universités ou lieu de travail. Des malades meurent parfois pour n’être pas, à cause du bouclage des frontières, transportés à temps dans les hôpitaux israéliens ou égyptiens. Et ce sans parler des coupures d’électricité et de toutes les conséquences qui en découlent, ainsi que bien d’autres incommodités.
Les enfants palestiniens, eux, ne ressemblent pas à d’autres enfants de par le monde, ils n’ont pas le droit de rêver, de voyager, de vivre l’insouciance au quotidien. Ils vivent plutôt dans la crainte des bombardements arbitraires qui peuvent se déclencher à tout moment. Les massacres perpétrés à Dir Yassin, à Khan Youness, à Sabra et Chatila, pur ne citer que les plus anciens, hantent encore notre conscience.
Gaza n’équivaut-elle pas Auschwitz-Birkenau ? La déportation des juifs ne ressemblerait-elle pas à celle des millions de Palestiniens, vivant en exil ?
La souffrance humaine n’est-elle pas la même? Ou alors, Il y a celle qu’on comptabilise et qu’on commémore et celle qu’on efface de notre mémoire et qu’on oublie. Si on a pu dénombrer les six millions de juifs, victimes de la Shoa, combien sont-ils ceux qui ont été victimes de Tsahal, l’armée israélienne.
Considérer la Shoa comme un crime à part est on ne peu plus obscène et ridicule. Parce que différencier entre les souffrances humaines est déjà un crime en soi.
Et c’est parce qu’ils sont tous immondes que tous les crimes contre l’humanité doivent être continuellement rappelées et commémorées de la même manière. Notre devoir de mémoire à nous tous, citoyens du monde, est celui de les faire sortir de l’oubli, dans l’espoir «peut-être» de ramener les Hommes à plus de raison, à plus de sagesse; et surtout à plus d’humanité.
Et si les victimes de la Shoa seront ressuscitées quelle serait leur attitude vis-à vis de ces horreurs commises envers les Palestiniens par leurs descendants? Et que penseraient-ils de ces derniers qui, en instrumentalisant leur mémoire, se comportent en bourreaux contre un peuple aux abois et sans défense.
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