La sécurité, la discipline, la paix sociale, la qualité de la formation, la qualité de vie et la proximité du marché jouer un rôle central dans l’attractivité de l’investissement.
Par Moez Labidi*
Le code d’investissement figure en tête de liste des réformes les plus urgentes. Les institutions internationales, le FMI en premier, ne ratent aucune occasion pour rappeler aux décideurs tunisiens que le retard pris dans l’élaboration du nouveau code éloigne la Tunisie du radar des investisseurs internationaux.
Pourquoi des régions sont plus attractives que d’autres alors qu’une majorité des codes d’investissement se ressemble à la virgule près? Est-ce uniquement une question d’avantages fiscaux? Ou de facilité d’accès au marché?
Certes, les mesures incitatives peuvent jouer un rôle central dans l’attractivité de l’investissement. Mais ce sont d’autres variables qui demeurent d’une importance capitale : la sécurité, la discipline, la paix sociale, la qualité de la formation, la qualité de vie, la proximité du marché…, qui guident le plus le comportement des investisseurs.
Dans le présent billet, nous allons d’abord essayer d’expliquer les facteurs qui justifient l’urgence de relooker le code actuel, promulgué en 1993.
Ensuite, nous reviendrons sur les limites du projet du nouveau code, présenté par le ministère du Développement et de la Coopération internationale (MDCI).
Enfin, nous nous interrogeons sur la portée de la nouvelle version du code dans un contexte économique et social miné.
Pourquoi un nouveau code ?
A travers le nouveau code, les autorités tunisiennes veulent émettre un message positif pour séduire les investisseurs internationaux.
Un nouveau code qui intègre les mutations de la société tunisienne en matière de stabilité politique, d’efficience administrative et surtout de rupture avec les pratiques de mauvaise gouvernance qui ont fleuri sous l’ancien régime.
Un code qui simplifie les procédures administratives et qui booste l’initiative d’investissement.
Un code qui favorise l’émergence de nouveaux mécanismes de gouvernance, renforçant l’attractivité du site Tunisie pour les investisseurs étrangers.
Le code actuel, promulgué en 1993, est devenu à la fois complexe et contraignant. Complexe par l’avalanche de modifications qu’il a subi (33 décrets). Et contraignant pour répondre aux impératifs de compétitivité : accès à la propriété, recrutement des étrangers, etc. Bref, un certain essoufflement du système d’incitation est observé.
Le code de 93 est resté plus proche d’un catalogue d’avantages alors que les textes précisant les garanties, les facilités d’accès aux marchés…, se logent ailleurs, dans d’autres dispositifs réglementaires.
• Le code, qui est censé générer des recettes supplémentaires à l’Etat, s’est avéré une source d’incitations très coûteuse pour le budget de l’Etat. La facture des avantages financiers et économiques s’élève à environ 1,4 milliard de dinars par an, soit 8% des recettes fiscales et 2% du PIB. Cerise sur le gâteau : seulement 10% des sociétés ont bénéficié de 90% des avantages fiscaux.
• Le code, qui prétend corriger le déséquilibre régional, a fini par creuser davantage les inégalités entre le littoral et les régions de l’intérieur, offrant du kérosène à la révolte du bassin minier de 2008, et au déclenchement de la révolution en décembre 2010 [Figure 1].
• Le code qui priorisait la création d’emploi, deux décennies après, n’a pas réussi à ramener le taux du chômage en dessous de 15%. Un niveau alarmant surtout lorsqu’on observe le chiffre du chômage des diplômés qui continue de flirter avec la barre des 30% (32% au troisième trimestre de 2015). Selon les estimations du MDCI, les emplois créés grâce aux avantages ne dépassent pas les 2% des emplois créés dans les secteurs de service et d’industrie.
• Le code qui visait à rehausser la compétitivité de l’économie tunisienne, plombe aujourd’hui le pays dans un déficit courant chronique autour de 8% du PIB.
Bref, un bilan très décevant pour l’économie tunisienne, surtout lorsque ses concurrents des années 70 (Corée du Sud en particulier) occupent une bonne place en tête du peloton des pays émergents, et le gap avec son voisin marocain ne cesse de se creuser.
Tous ces arguments plaident pour la rénovation du code d’investissement afin qu’il puisse répondre aux nouveaux défis, et redonner des couleurs aux fondamentaux de l’économie tunisienne.
La chute de la croissance économique est devenue inquiétante, et le code actuel ne serait pas d’un grand secours pour changer la donne.
De ce fait, la Tunisie a besoin d’un nouveau code pour accompagner la dynamique des réformes et booster l’investissement, surtout dans les régions défavorisées.
Cependant, la question qui taraude les analystes reste celle de savoir si le projet du nouveau code serait à la hauteur des défis auxquels la Tunisie fait face aujourd’hui.
Le nouveau code : La Tunisie pourrait mieux faire
Certes, le projet du nouveau code s’impose comme une réponse à la lourdeur administrative et aux contraintes réglementaires. Près de la moitié des activités économiques font l’objet d’une autorisation ou d’un cahier des charges, ce qui représente près de 75% de la valeur ajoutée. Certes, le nouveau code consolide la marche vers la libéralisation de l’économie tunisienne, en permettant à l’investisseur étranger de transférer librement ses bénéfices et ses actifs à l’étranger et en limitant le pouvoir discrétionnaire de la Banque Centrale.
Toutefois, sur d’autres terrains, le nouveau code souffre d’un manque de clarté. Il n’a pas été très clair pour attirer les IDE ou pour encourager les entreprises à exporter.
Contrairement au code en vigueur, les incitations pour les entreprises exportatrices n’ont pas eu la place qu’elles méritent.
Une gouvernance de l’investissement via trois structures, telle qu’elle est avancée dans le cadre du nouveau code, n’est pas forcément génératrice d’efficacité. Lancer une structure (Tunisian Investment Fund) jouant le rôle de fonds souverain, dans un pays déficitaire (balance courante et budget), n’a aucun sens. La Tunisie n’est ni un pays pétrolier, comme c’est le cas des pays de l’Opep, ni un exportateur net de produits manufacturés, comme c’est le cas des pays du sud-est asiatique. Quel est l’intérêt d’une autre structure qualifiée de fonds d’investissement, lorsque la CDC peine à décoller?
Le nouveau projet n’a pas montré une grande détermination pour accélérer la normalisation des activités informelles qui gangrènent l’économie depuis plusieurs années (manque à gagner fiscal pour l’Etat et concurrence déloyale pour le secteur formel).
Les incitations favorisant le développement durable (économie d’énergie, économie d’eau…, etc.) n’ont pas trouvé la place qu’elles méritent dans ce nouveau code.
L’avantage accordé aux entreprises de recruter un personnel d’encadrement de nationalité étrangère, dans une limite de 30% du total du personnel d’encadrement, va à l’encontre de l’objectif de baisser le chômage.
N’est-il pas plus opportun de cibler davantage cette faveur en la limitant aux secteurs à forte valeur ajoutée?!
Et si on codifie le plus important ?
Sortir un nouveau code aujourd’hui est-il la priorité de l’économie tunisienne ?
La réponse est non. On se trompe de bataille. Dans un tel contexte, où l’entrepreneur a perdu l’enthousiasme d’investir et la volonté de recruter, il est inimaginable de déplomber son comportement, même avec le meilleur code de la planète. La bataille est plus sur le terrain sécuritaire et social.
L’entrepreneur, aussi bien tunisien qu’étranger, a besoin d’une détermination politique pour assainir le climat sécuritaire et social.
Il a besoin d’un gouvernement courageux pour siffler l’arrêt du jeu de notre sport national: «contourner la loi ou ne pas la respecter», afin qu’il puisse regarder sa confiance.
Il a besoin d’un gouvernement audacieux pour engager les réformes structurelles, et non d’un gouvernement qui hésite de s’inscrire sérieusement dans une dynamique de réforme.
Bref, L’entrepreneur a besoin d’un gouvernement qui dispose d’une vision claire et crédible.
L’effort considérable doit être engagé pour assainir le climat sécuritaire et rénover l’appareil administratif, et instaurer les pratiques de bonne gouvernance, plutôt que de chercher à multiplier les incitations dans un environnement miné par le désordre et l’insécurité.
Le port de la ceinture, le droit des piétons, la propreté des villes et des toilettes dans les lieux publics, sont autant d’indices pour évaluer le degré de civisme et du respect de la loi dans une société. Des indices déterminants pour savoir comment une société, se retrouvant dans l’incapacité de faire respecter la loi, pourrait rendre justice à un homme d’affaires étranger en cas de conflit?
Fini le capitalisme du temps de Zola. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui accordent de l’importance aux simples détails de la vie courante dans le pays hôte.
En somme, l’instauration d’un Etat de droit est incontournable pour dynamiser l’investissement.
L’entrepreneur étranger a toujours les yeux rivés sur le respect de la loi, le climat sécuritaire et l’état de l’infrastructure. Aujourd’hui, il est certain que la nébuleuse terroriste n’est pas prête de s’éteindre. Et il est aussi quasi certain que le site-Tunisie ne sera pas prisé par les investisseurs étrangers. Cependant, rester tétanisé par la barbarie des assassins du Bardo ou de l’Avenue Mohamed V, reviendrait à leur rendre les armes.
C’est par le courage politique, la fermeté dans l’application de la loi et l’audace dans le déclenchement des grandes réformes, que la haine sera vaincue et que la croissance sera de retour.
Source : Cet article a été publié dans le ‘‘Billet économique de Mac SA’’ (n°25 décembre 2015) sous le titre : «Le nouveau code d’investissement est-il soluble dans une société décodée?»
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